Quand l'art ancestral du pliage de papier rencontre l'architecture naissent des bâtiments au design unique. Au-delà de l'intérêt esthétique, les « sciences de l'origami » se mettent au service des ingénieurs et des architectes dans l'idée de créer des structures utiles et plus résistantes en leur donnant des formes originales... sans aller jusqu'à imaginer des maisons en forme de grue.
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C'est une tradition qui dure depuis des siècles, voire plus d'un millénaire. Aujourd'hui, l'origami, l'art japonais du pliage de papier, apprend à de futurs ingénieurs à « orienter la matièrematière » pour réfléchir aux bâtiments qu'ils construiront un jour.
« L'utilisation des origamis dans la construction des bâtiments (...) est très ancienne », explique à l'AFP Arthur Lebée, chercheur au laboratoire Navier, lié à l'École des Ponts ParisTech. Il la relie à l'école allemande du Bauhaus au début du XXe siècle.
Au sein de l'annuaire de l'établissement, ex-école des Ponts et Chaussées et prestigieuse formation d'ingénieurs, Arthur Lebée est associé à des thématiques classiques : mécanique, constructionconstruction... Ses recherches sont plus originales : il travaille sur « les sciences de l'origami ».
L'art de l'origami vise à créer des formes variées en pliant sans déchirer une feuille de papier. Il est difficile d'établir où et quand il est né - Chine ou Japon s'en disputent la paternité et certaines sources le font remonter à des usages religieux du Moyen Âge - mais les premiers ouvrages à l'avoir formalisé sont japonais et datent d'environ trois siècles.
Le saviez-vous ?
Le Hiden Senbazuru Orikata (ou « Secret du pliage des mille grues ») publié en 1797 est un des plus anciens textes japonais, si ce n'est le plus ancien, décrivant l'art de l'origami.
Les sciences de l'origami entrent dans l'architecture
Depuis plusieurs décennies émerge un volet scientifique. Plusieurs conférences internationales réunissent des chercheurs du monde entier et de multiples disciplines. « Cela combine un aspect ludique avec des mathématiques fondamentales, de la mécanique... plein de disciplines différentes », résume Arthur Lebée. Lui-même anime des enseignements qui s'inscrivent dans un double cursus d'architectearchitecte et d'ingénieur afin de relier deux métiers souvent dissociés dans la naissance d'un bâtiment : l'un compose et l'autre rend faisable.
« Pourquoi on construit ? Pas juste pour que ce soit le plus résistant possible : il faut que cela rende le meilleur service à la personne qui habite, estime le chercher. Un ingénieur doit être sensible à ça et l'architecte doit être sensible à la réalité physiquephysique. Les origamis ont une place tout à fait intéressante pour faire ce lien. »
De nouvelles formes pour une structure plus résistante
En première année, Arthur Lebée anime généralement un atelier de construction d'abris en origami - il envisage de passer prochainement aux ponts en carton. L'idée est d'éveiller les étudiants à de nouvelles formes. Plus tard dans le cursus, le chercheur donne un cours plus théorique sur les liens entre « plis et structures ».
« Je ne sais pas s'il y a d'autres enseignements de ce type : il y en a plutôt en école d'architecture, avance-t-il. Par contre, la compréhension de la modélisationmodélisation mécanique et du fonctionnement structurel des origamis, je pense que c'est une spécificité de l'École. »
“Ça n'arrive pratiquement jamais qu'un bâtiment soit une cocotte.”
L'éventail de ces cours illustre les leçons multiples de l'origami pour la construction : de manière évidente, il apprend à générer du volumevolume à partir d'une surface plane. Via certaines techniques, il permet aussi de créer l'équivalent d'une paroi courbe en n'usant que de pliages rectilignes. Reste que « le contresens basique, c'est dire: "le pliage c'est génial, je veux faire un bâtiment, donc je vais plier un bâtiment", prévient Arthur Lebée. C'est quelque chose qui est naïf. Ça n'arrive pratiquement jamais qu'un bâtiment soit une cocotte. »
Quelques rares exemples obéissent à des objectifs spécifiques. À l'université américaine de Notre-Dame, dans l'Indiana, une chercheuse, Ashley Thrall, travaille depuis quelques années sur des structures destinées à servir d'abris militaires. En général, l'origami « n'est pas une structure au sens de l'ingénieur : un objet qui peut supporter des charges (et) qui ne va pas se déformer tout seul », explique Arthur Lebée, pour qui l'enjeu des cours est de « comprendre le fonctionnement mécanique » des pliages.
Une idée est centrale : améliorer la résistance d'une structure en changeant sa forme et non en lui ajoutant des matériaux plus solidessolides. « Vous prenez une feuille de papier : si je la pince un petit peu, elle arrive à s'autoporter et à tenir horizontalement. En imposant une toute petite courbure, on obtient un objet beaucoup plus rigide, illustre le chercheur. Cela veut dire orienter la matière pour qu'elle travaille de la manière la plus efficace possible. »
“Il y a une affaire de goût et d'esthétique.”
Avant de s'orienter vers la recherche, l'enseignant a d'ailleurs envisagé de créer une entreprise à partir d'un brevet de panneau de construction à la résistance accrue par un remplissage en origami. « Je faisais de l'origami depuis toujours : c'est clairement ma personnalité. Il y a une affaire de goût et d'esthétique », conclut-il.
Ce qu’il faut
retenir
- Les origamis trouvent de nouvelles applications dans la construction de bâtiments et d'infrastructures, qu'il s'agisse d'œuvres architecturales ou de solutions d'urgence pour les populations en difficulté.
- L'idée est d'imaginer de nouvelles formes afin d'améliorer la résistance des structures, mais aussi leur praticité : pensons aux ponts ou abris dépliables.
- Arthur Lebée, chercheur au laboratoire Navier (École des Ponts - IFSTTAR - CNRS), étudie les sciences de l'origami et anime des ateliers de construction d'abris inspirés de l'art du pliage de papier.