Le prestigieux prix Pritzker, une distinction considérée comme le prix Nobel d'architecture, a été remis à deux femmes, les architectes irlandaises Yvonne Farrell et Shelley McNamara. Leur travail est salué par le jury qui a souligné leur « capacité à être cosmopolites tout en respectant l'unicité de chaque lieu dans lequel elles travaillent ».


au sommaire


    Yvonne Farrell (69 ans) et Shelley McNamara (68 ans) sont le premier duo féminin récompensé par le prix Pritzker, créé en 1979. Les deux femmes ont cofondé leur cabinet, Grafton Architects, en 1978 et réalisé plusieurs bâtiments universitaires, notamment la Toulouse School of Economics ou le campus de l'Institut Mines-Télécom de Paris-Saclay.

    Le duo succède au Japonais Arata Isozaki, couronné l'an dernier. La Japonaise Kazuyo Sejima avait été colauréate avec son collègue Ryue Nishizawa, en 2010, et Carme Pigem figurait parmi le trio du cabinet catalan RCR Arquitectes, récompensé en 2017, mais l'Anglo-Irakienne Zaha Hadid reste à ce jour l'unique femme à avoir reçu seule le prix Pritzker.

    Yvonne Farrell et Shelley McNamara, lauréates du prix Pritzker 2020. © <em>Courtesy of The Pritzker Architecture Prize</em>
    Yvonne Farrell et Shelley McNamara, lauréates du prix Pritzker 2020. © Courtesy of The Pritzker Architecture Prize

    Une architecture qui dialogue constamment avec l'environnement

    Yvonne Farrell et Shelley McNamara ont développé une architecture aérée, qui utilise des matériaux très divers, de la brique au béton, en passant par le boisbois. À Toulouse, pour la School of Economics, elles ont choisi la brique, intimement liée à l'histoire de la ville. À Dublin, pour les bureaux du ministère irlandais des Finances, c'est le calcairecalcaire local qui a été retenu. Certains de leurs bâtiments, à l'allure très minérale, comme l'Universidad de Ingenieria y Technologia de Lima, au Pérou (photos ci-dessus) ou la Toulouse School of Economics, rappellent Le Corbusier, même s'ils ne constituent qu'un aspect de leur travail.

    Des pionnières dans un domaine historiquement dominé, jusqu'à ce jour, par les hommes

    Le cabinet Grafton se veut le véhicule d'une architecture citoyenne, à l'écoute de ses futurs utilisateurs et de leur environnement. « Leurs réalisations mettent en valeur et améliorent la cité », a souligné le jury qui a salué « des pionnières dans un domaine historiquement dominé, jusqu'à ce jour, par les hommes ».

    Les jurés ont aussi rendu hommage à une architecture « honnête », marquée par une attention au projet d'ensemble mais aussi aux détails, qui peuvent faire la différence, « en particulier pour des bâtiments construits avec un budget modeste ». La School of Economics de la Universita Luigi Bocconi, à MilanMilan, achevée en 2008 est l'un de leurs projets les plus renommés. Il leur a valu le prix du bâtiment mondial de l'année au festival international d'architecture, la même année, à Barcelone.

    Le campus universitaire, Lima, Pérou. © <em>Courtesy of Iwan Baan, The Pritzker Architecture Prize</em>
    Le campus universitaire, Lima, Pérou. © Courtesy of Iwan Baan, The Pritzker Architecture Prize

    Une architecture citoyenne qui améliore la cité

    « Les architectesarchitectes sont des traducteurs, avait expliqué Yvonne Farrell dans une interview pour l'université espagnole IE University, en 2015. Nous traduisons les besoins des gens et leurs rêves en réalité. » 

    « Nous avons souvent eu du mal à trouver un espace pour exprimer des valeurs comme l'humanisme, l'artisanat, la générosité et le lien culturel entre chaque lieu et le contexte dans lequel nous travaillons, a expliqué Shelley McNamara, citée dans le communiqué. Il est donc extrêmement gratifiant de recevoir cette reconnaissance du travail que nous avons produit sur de nombreuses années. »

    Les deux architectes ont cherché à transmettre leur vision de l'architecture par l'enseignement, en donnant des cours dans plusieurs écoles, à Dublin, mais aussi en Lausanne, à Yale et à Harvard. En 2018, Yvonne Farrell et Shelley McNamara ont été conservatrices de la Biennale d'architecture de Venise.

    Pour Yvonne Farrell, interviewée en 2015, avec l'accélération de l'exode rural et l'importance de plus en plus marquée des villes, « l'architecture est plus importante que jamais. L'architecture n'est pas la constructionconstruction, avait-elle expliqué dans un entretien au site Dezeen, en 2018. Il s'agit de trouver les ingrédients qui font passer quelque chose de passable à une chose de valeur. »

    <em>Toulouse School of Economics</em>. Université Toulouse 1 Capitole, à Toulouse. © Dennis Gilbert
    Toulouse School of Economics. Université Toulouse 1 Capitole, à Toulouse. © Dennis Gilbert

     

    Le Corbusier, l'architecte français du social

    Le Corbusier : visionnaire et urbaniste, en IndeLe Corbusier et le plus grand ensemble architectural d'EuropeLe Corbusier : la Cité radieuse, brute de décoffrageLe Corbusier : l'unité d'habitation à BerlinLe Corbusier : la maison familiale, son laboratoire d'essaiLe Corbusier : la Villa turque, son œuvre de jeunesseLe Corbusier : Notre-Dame-du-Haut, une chapelle tout en paradoxesLe Corbusier : la cabane de rondins, son œuvre ultimeLe centre Le Corbusier : un musée de verre et d’acier, en SuisseLe Corbusier et le musée de l’art occidental à TokyoLe Corbusier et la révélation de la verticalité à New YorkLe Corbusier : le Couvent de la Tourette ou l’incarnation de la quête spirituelleLe Corbusier : le Centrosoyuz, son incursion russe
    Le Corbusier : visionnaire et urbaniste, en Inde

    L'esprit avant-gardiste de Le Corbusier s'est exporté aux quatre coins du monde comme ici, en Inde, à Chandigarh, capitale des États du Pendjab et de l'Haryana. L'Unesco souligne qu'elle est considérée comme « l'expression la plus aboutie de ses principes et de l'idée de la Ville radieuse. » Le Corbusier n'a pas fait que construire des bâtiments comme cet ensemble également appelé « Complexe du Capitole » et qui abrite l'Asemblée législative, le Secrétariat et la Haute Cour de justice des deux États. Bien sûr, il s'est emparé de toute innovation technologique pour répondre aux exigences en matièrematière de climatisation naturelle qui s'effectue par récupération des eaux de pluie via les plans d'eau notamment, et des systèmes de toiturestoitures doubles.

    En 1947, après l'indépendance de l'Inde, cette ville nouvelle s'est construite selon les plans de Le Corbusier qui en a organisé les 59 quartiers en rectangle de 800 × 1.200 mètres de côté. Très structurée, la ville s'articule autour de sept niveaux de circulation qui fluidifient le trafic et préservent la tranquillité des habitants. La ville était prévue pour accueillir 500.000 citadins, ils sont aujourd'hui le double, et aucune difficulté de circulation ne se fait ressentir. Fait rare dans les grandes villes indiennes !

    Grâce au génie visionnaire de Le Corbusier et à son ingénieuse répartition des différentes zones (habitat, écoles, commerces, bureaux), il est aujourd'hui possible traverser la capitale à pied en n'empruntant que les jardins.

    Assembly building, Chandigarh © duncid, Wikimedia Commons, CC by-sa 2.0