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Depuis plus de quinze ans, elle accumule des preuves, travaillant parfois sur ses fonds propres et avec l'aide d'un réseau de scientifiques. Un peu partout dans le monde, jusque dans le fond des océans, les traces d'un événement considérable sont inscrites dans le sol. Pour elle, son origine cosmique ne fait aucun doute. Elle travaille actuellement à réaliser un dossier solidesolide, qui sera prochainement publié dans une revue scientifique internationale. Marie-Agnès Courty est directrice de recherche au CNRS, UMR 5198, Centre Européen de Recherches Préhistoriques de Tautavel dans les Pyrénées Orientales.
Futura Sciences : Comment une géologue comme vous peut-elle se préoccuper d'archéologie ?
Marie-Agnès Courty : Ma spécialité est l'étude du sol en relation avec les activités humaines, sur une période vaste, disons de l'Erectus (vers un million d'années) jusqu'au Moyen-Âge. Techniquement, c'est une forme de pétrographie. On parle aussi de micromorphologie. Nous étudions le sol jusque dans ses structures microscopiques et nous parvenons à lire sa micro-organisation pour reconstituer les événements qui s'y sont déroulés. On peut aussi restituer avec beaucoup de précision l'environnement (climat notamment) qui existait au moment correspondant à des restes d'activités humaines. À la limite, nous sommes capables de dire, devant des traces d'un foyer allumé par des hommes, qu'il pleuvait ce jour-là. C'est une discipline récente, que j'ai créée avec deux collègues étrangers il y a une vingtaine d'années, car j'ai toujours été fascinée par l'archéologie.
Une couche rougeâtre, riche en éléments fondus, surmonte un niveau noirci : voilà un exemple de la « couche 4000 », en Charente, dans un fossé datant du Néolithique final (fouilles de Claude Burnez. Crédit : Marie-Agnès Courty
FS : Comment vous êtes-vous lancée sur la piste d'un astéroïde ?
Marie-Agnès Courty : Il faut dire « impacteurimpacteur », car il peut s'agir d'une comètecomète ! En 1990, en Syrie, à l'occasion d'une prospection géoarchéologique (on tente de repérer des sites, on ne fouille pas), je suis tombée sur une couche bizarre, datant de 4.000 ans avant le présent, faite de matériaux pulvérulentspulvérulents, d'agrégats de la taille de grains de sable, avec des verres volcaniques. Certains minérauxminéraux avaient fondu à des températures supérieures à 1.500 °C. D'après leur composition, ces agrégats n'avaient rien à faire là ! J'ai cherché un volcan en Syrie qui pourrait expliquer cette couche. Mais il n'y en a pas, les seuls candidats potentiels étaient un peu plus au nord, en Turquie. En 1993, nous avons publié dans Science avec Harvey Weiss un article expliquant que cette catastrophe avait pu conduire à la disparition de l'empire Akkad. Mais la suite de mes recherches en Syrie m'a conduite à reconnaître que l'événement a eu lieu au début de cet empire... Nous avons été piégés par les résidus volcaniques. Ils ne provenaient pas d'un volcan proche : ils ont été transportés avec les autres matériaux de la couche. Ils venaient de beaucoup plus loin...
Les matériaux de ce bloc ont fondu à plus de 1.500 °C, une température que les hommes ne savaient pas produire il y a 4.000 ans. Crédit : Marie-Agnès Courty
FS : Comment la communauté scientifique a-t-elle accueilli votre thèse ?
Marie-Agnès Courty : Cela a été difficile ! En 1994, il y a eu un congrès de paléoclimatologues. À l'époque, je défendais l'idée d'un changement climatiquechangement climatique brutal associé à des vents violents. Le congrès s'est transformé en cacophonie ! Il a été proposé que l'on vote pour savoir si mon idée était bonne. C'était ahurissant ! J'ai dû hurler pour qu'on ne le fasse pas. La science, ce n'est pas de la démocratie... L'année suivante, la majorité de ces congressistes avaient rejoint mon avis mais j'avais changé le mien ! De nouveaux éléments m'avaient conduite à abandonner l'hypothèse volcanique pour m'engager sur la piste d'un impact et j'ai cherché des traces ailleurs.
FS : Comment avez-vous pu remonter sa trace ?
Marie-Agnès Courty : J'ai cherché cette couche de matériaux fondus partout où c'était possible mais les financements étaient très difficiles à trouver. On a dû se débrouiller. J'ai profité de campagnes faites pour d'autres recherches, notamment au Pérou, et une partie de mes travaux dans d'autres régions a été conduite sur mes fonds propres ! Des collègues m'ont aidée dans le monde entier, et surtout en France, avec l'aide de l'Institut National de Recherche Archéologique Préventive (qui réalise des fouilles sur des chantiers). Des grands labos ont fait des analyses gratuitement. J'ai pu m'appuyer sur les travaux de paléo-océanographes français qui disposent de carottescarottes prélevées dans différents océans pour lire l'évolution du climat de la planète. J'ai ainsi pu rechercher cette couche de 4.000 ans BP (before present, NDLRNDLR) dans les sédimentssédiments marins sous différentes latitudeslatitudes. Pendant toutes ces années, j'ai affiné la reconnaissance des signatures présentes dans la couche.
Cette trace se retrouve partout. Nous l'avons détectée dans le sud de la France, à Nîmes, à Mauguio, dans le Tarn, l'Aude, etc. En Irlande, Mike Baillie, spécialiste de paléoécologie à Belfast, l'a repérée dans les cernes des arbresarbres. Il est même beaucoup plus affirmatif que moi et situe l'événement vers 2350 avant Jésus-Christ.
Et les preuves se sont accumulées. Dans les échantillons de Syrie, nous avons trouvé des nanodiamants, déjà connus pour se former lors des impacts. En 2005, les paléo-océanographes ont pu déterminer des fossilesfossiles marins que j'avais identifiés dans ce niveau de 4.000 ans BP, apportant la preuve que ces radiolairesradiolaires, diatoméesdiatomées et foraminifèresforaminifères provenaient d'AntarctiqueAntarctique ! Comment s'étaient-ils retrouvés de l'autre côté du globe ? Dans les carottes océaniques, les épaisseurs de cette couche deviennent considérables à mesure que l'on descend vers le sud : on passe de quelques millimètres dans l'hémisphère nordhémisphère nord à plusieurs mètres dans l'océan austral ! Cela et les indices pétrologiques semblent désigner une région proche des Kerguelen.
Trouvé en Syrie au milieu de blocs basaltiques, ce radiolaire (un microorganisme marin) a vécu… en Antarctique. Crédit : M.-A. Courty
FS : Etes-vous sûre de la datation ?
Marie-Agnès Courty : La datation calendaire (donnant une date précise) est difficile à obtenir. Nous avons comparé avec les carottes tirées de l'Antarctique, mais le calage est dépendant des datations au carbone 14datations au carbone 14. Des stalactitesstalactites et stalagmitesstalagmites ont aussi donné des résultats. Il y a les cernes des arbres. Après corrections (imposées du fait des fluctuations de l'activité solaire), on arrive à 4.200 +/- 200 ans BP en âge calibré. Mais beaucoup d'échantillons sont pollués par des hydrocarbureshydrocarbures qui ont été éjectés par l'impact. On ne peut pas en tenir compte (même si leur analyse a coûté cher !).
FS : Quelle image vous faites-vous de cet événement ?
Marie-Agnès Courty : L'impact a projeté dans l'atmosphèreatmosphère une quantité énorme de blocs incandescentsincandescents qui se sont répandus à des dizaines de milliers de kilomètres. Ils ont provoqué des ignitions : des incendies qui pouvaient être très localisés. Imaginez : sous la chaleurchaleur, la table fond mais à côté tout reste normal.
FS : Pourtant, il manque des pièces au puzzle pour affirmer qu'il s'agit bien d'un impacteur ?
Marie-Agnès Courty : Il manque les traces d'iridiumiridium, considérées comme la signature indubitable d'un astéroïdeastéroïde, bien que tous les impacts ne soient pas associés à un pic d'iridium. Il manque aussi la trace d'un cratère. Il y a aussi la puissance de l'impact. Les spécialistes des impacts disent qu'une telle extension géographique impose un choc gigantesque, certes pas aussi puissant que la chute de l'astéroïde à la fin du CrétacéCrétacé connu pour avoir provoqué une extinction massive, et qu'il aurait dû provoquer des dégâts énormes. Nous sommes toujours là, donc, il ne peut y avoir eu un cataclysme considérable, et en conséquence pas d'impact d'une telle amplitude. Voilà ce que disent les modèles d'impact. Mais les faits sont là, et il faudra bien concilier modèles et données !
FS : Peut-on trouver des traces dans l'histoire humaine ?
Marie-Agnès Courty : Il y a 4 000 ans, l'écriture n'était pas encore installée. Elle n'était utilisée que par une élite et, d'après les spécialistes, elle était cryptée. De plus, nous avons très peu de textes. On n'a pas de données de ce côté-là. En archéologie, il y a des indices. Dans des sites de l'Empire d'Akkad en Mésopotamie du Nord, des restes de jarres montrent qu'elles contenaient les matériaux fondus de la couche 4000 et elles se trouvent dans des lieux rituels ! Cela veut donc dire que ces curieux matériaux ont été ramassés et stockés dans des lieux très particuliers. Mais d'une manière générale, les archéologues ont du mal à croire à cette théorie catastrophiste...
FS : Faut-il revisiter les grands mythes, comme l'Apocalypse ?
Marie-Agnès Courty : Je suis stupéfaite de la précision avec laquelle on décrit un phénomène si proche de la chute d'un impacteur dans le récit de l'Apocalypse. Mais je ne me sers pas de cela pour caler une datation ! Cela m'intéresse intellectuellement, c'est tout...
FS : Et la prochaine étape ?
Marie-Agnès Courty : Publier de nouveaux résultats. Mais notre souci est plutôt que nous avons trop de données ! Il faut les organiser, les épurer pour en faire une thèse simple et solide. Mais il faut faire vite. Des Américains ont annoncé aussi l'hypothèse d'un impact, mais 800 ans plus tôt, à partir de données qui déforment un peu les miennes... Nous en reparlerons bientôt !