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Une étude portant sur des dizaines de cimetières méso- et néolithiques comme celui de la Chaussée- Tirancourt a révélé une explosion des naissances survenue lorsque les hommes se sont sédentarisés.© C.Masset
La preuve de cet accroissement vient d'être apportée par deux anthropologues-démographesdémographes, Jean-Pierre Bocquet-Appel, directeur de recherche au laboratoire CNRS « Dynamique de l'évolution humaine : individus, populations, espèces », et Stephan Naji, étudiant en thèse à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) (2). Mieux, ils ont révélé un véritable baby-boom survenu lorsque les hommes sont devenus sédentaires. Pour cela, ils ont procédé à une étude statistique des ossements de dizaines de cimetières méso- et néolithiques en Afrique du Nord, en Europe et en Amérique du Nord (3). Et parmi les squelettes, ils ont remarqué que la proportion d'enfants et d'adolescents est beaucoup moins nombreuse dans les cimetières mésolithiques. Elle est d'environ 20 % avant la sédentarisation et atteint les 30 % quelque 600 ou 800 ans après l'avènement du Néolithique. « À l'inverse de ce qu'on pourrait croire, ceci ne veut pas dire que les conditions se sont dégradées et que la mortalité des jeunes a augmenté. Cette proportion montre seulement que la base de la pyramide des âgespyramide des âges de la population vivante s'est fortement élargie »,
décrypte Jean-Pierre Bocquet-Appel.
Le chercheur révèle aussi que le même scénario s'est déroulé dans les différents foyers d'apparition du Néolithique. Les hommes se sont d'abord installés à des endroits riches en ressources - gibier, poissons, végétaux, coquillages -, et la sédentarisation a stimulé les naissances. Mais l'économie fondée sur la chasse et la cueillette a vite trouvé ses limites. « Pendant plusieurs générations, ils ont subi une véritable crise démographique. Ils avaient trop d'enfants, bien plus qu'ils ne pouvaient en nourrir. La population a tellement souffert qu'elle est tombée parfois sous le seuil de remplacement des générations, raconte le chercheur. C'est alors que sont apparus l'agriculture et l'élevage et la possibilité de nourrir beaucoup plus de monde. »
Mais pourquoi la sédentarisation a-t-elle provoqué ce baby-boom ? D'après Jean-Pierre Bocquet-Appel, lorsque les chasseurs-collecteurs nomades se déplacent, les femmes portent les enfants, qui sont souvent en contact avec le sein maternel et peuvent téter à tout moment. Or l'allaitementallaitement retarde la reprise du cycle menstruelcycle menstruel après la naissance d'un enfant. La féconditéfécondité des femmes nomades est donc plus faible. En revanche, chez les peuples sédentaires, les femmes posent leurs enfants et les allaitent moins longtemps. Leur fertilité est bien plus importante et peut atteindre huit à douze enfants en moyenne. Ceci expliquerait le baby-boom néolithique.
L'étude montre que le rapport de cause à effet entre la sédentarisation et l'invention de l'agriculture et de l'élevage est plus subtil que cela : « C'est la crise démographique due au trop grand nombre d'enfants qui a certainement conduit à l'adoption de ce nouveau moyen de production. Ce dernier a ensuite intensifié la sédentarisation, laquelle a augmenté encore la fécondité. Une sorte de processus qui s'est auto-alimenté. »
1. Le Néolithique est apparu à des époques différentes selon les endroits : il y a environ 9 000 ans au Moyen-Orient, il y a 3 000 ans en Amérique du Nord.
2. Voir National Geographic News, 9 janvier 2006. Consulter le site web
3. Ces périodes sont appelées en Amérique du Nord Early and Middle Woodland.
Contact :
Jean-Pierre Bocquet-Appel
« Dynamique de l'évolution humaine : individus, populations, espèces », Paris
[email protected]