Il y a environ 250 millions d’années, la biosphère a subi la pire de ses extinctions massives, celle du Permien-Trias. Pourtant, quelques millions d’années plus tard, les archives géologiques grouillent de traces de pas de reptiles comme jamais dans l’histoire ultérieure de la Terre. Selon deux paléontologues, les clés de cette énigme se trouvent en partie dans les conditions écologiques particulières survenues juste après cette grande crise biologique.

On estime que 95 % des espèces marines et 70 % des espèces vivant sur les continents ont été exterminées par un événement qui s'est produit il y a 252 millions d'années. La nature exacte de cet événement fait encore débat, même si l'on pense que des éruptions volcaniques massives à l'origine des Trapps de Sibérie et d'Emeishan en ont probablement été des acteurs importants. Toujours est-il qu'il a mis fin au Permien et au Paléozoïque, faisant débuter le Trias qui va voir la montée en puissance des dinosaures qui apparaissent pendant cette période.

Le début du Trias correspond donc à un moment de l'histoire de la biosphère où la diversité biologique a été fortement réduite et où les espèces vivantes sont représentées par un plus faible nombre d'individus. Pourtant, les paléontologues ont découvert récemment dans les archives sédimentaires de notre Planète une brusque augmentation temporaire des empreintes laissées dans la boue par les tétrapodes de l'époque. Rappelons que ces animaux sont des vertébrés dont le squelette comporte deux paires de membres et dont la respiration est pulmonaire. Les premiers, apparus à la fin du dévonien moyen, il y a entre 275 et 280 millions d'années, étaient des animaux exclusivement aquatiques. De nos jours ce sont les amphibiens, les reptiles, les oiseaux et les mammifères.

Un gros plan de dalle ci-dessus trouvée dans une région de l’Utah, aux États-Unis, occupée par le <em>Capitol Reef National Park</em>. On voit qu’il s’agit en réalité de contre-empreintes, c’est-à-dire celles laissées dans une couche de boue qui est venue recouvrir celle contenant les empreintes. © Tracy Thomson

Un gros plan de dalle ci-dessus trouvée dans une région de l’Utah, aux États-Unis, occupée par le Capitol Reef National Park. On voit qu’il s’agit en réalité de contre-empreintes, c’est-à-dire celles laissées dans une couche de boue qui est venue recouvrir celle contenant les empreintes. © Tracy Thomson

La conservation de véritables pistes de locomotion de tétrapodes n'a rien d'évident. Dans le cas d'animaux vivant en partie dans l'eau, l'identification des traces laissées en tant qu'empreintes est compliquée par le fait que ces animaux flottaient une partie du temps. Ils ne prenaient donc pas appui systématiquement sur des sédiments boueux comme le ferait un animal terrestre. Les traces ne s'organisent donc que rarement sous forme de pistes. Surtout, la boue elle-même n'est pas facilement dans des conditions qui permettent la conservation des empreintes.

Un bioturbation presque nulle au Trias

Mary Droser, professeur de géologie à l'Université de Californie, Riverside, vient pourtant de publier avec son collègue Tracy J. Thomson un article dans le journal Geology dans lequel ils proposent une explication au brusque pic du nombre de traces de locomotion laissées par les tétrapodes du début du Trias. Selon eux, ce pic ne s'expliquerait pas par une diversification rapide de ces animaux et une brusque augmentation de leurs populations juste après la crise Permien-Trias, mais en grande partie par les conditions écologiques de l'époque. En effet, l'extinction massive aurait fortement affecté les formes de vie responsables de la bioturbation des sédiments des deltas et des lagunes à ce moment-là. Le faible nombre de vers et de petits animaux dans ces sédiments les aurait rendus beaucoup plus stables et c'est pourquoi ils se seraient mieux prêtés temporairement à la conservation des empreintes des tétrapodes. Une bioturbation quasiment inexistante se serait aussi combinée avec un paléoenvironnement conduisant à la formation de sédiments fins, ce qui là aussi facilite la conservation d'empreintes d'excellente qualité comme on peut le voir avec les calcaires lithographiques.

Ce qui est sûr c'est ce que ces empreintes nous révèlent une certaine diversité biologique restée cachée jusqu'ici et qu'elles constituent une source d'informations précieuses aussi bien sur les processus sédimentologiques et stratigraphiques que sur le comportement et la biomécanique des tétrapodes amphibiens du Trias inférieur. Voilà de quoi obtenir de nouvelles contraintes sur les scénarios proposés pour comprendre ce qui s'est passé à la fin du Permien et au début du Trias.