L’opération de bypass gastrique, pratiquée sur les personnes souffrant d’obésité sévère, fait effectivement mincir. Mais cela ne s’expliquerait pas uniquement par la réduction du volume de l’estomac. Les modifications de la flore intestinale induite par l’acte chirurgical interviendraient à hauteur de 20 % de la perte de poids totale.


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    C'est un peu le monde à l'envers. D'ordinaire, en science, on expérimente dans les laboratoires et on applique au patient lorsque le succès est avéré. Le bypass gastrique, opération de chirurgie bariatrique pour lutter contre l'obésité, a connu le chemin inverse. Si bien qu'aujourd'hui, on découvre encore de nouvelles raisons de son succès, qu'on ne supposait pas à l'origine.

    Cette technique consiste à former une poche avec la partie supérieure de l'estomac et de l'isoler du reste de l'organe. On connecte ensuite cette dérivation au milieu de l'intestin grêle pour court-circuiter une partie du système digestif. En limitant le volumevolume gastrique, on diminue inéluctablement les apports alimentaires des patients, ce qui aboutit à une perte de poids. Le raisonnement paraissait évident.

    Les incohérences du bypass gastrique

    Pourtant, il pourrait être bien plus complexe. En effet, il persistait certaines incohérences qui jusque-là n'avaient pas pu être réellement expliquées. Les personnes en surpoids se mettant au régime ont tendance à avoir davantage d'appétit. Pourquoi ? Parce que le corps privé de sa dose habituelle de nourriture diminue ses dépenses énergétiques de base et réclame plus.

    Dans le cas du bypass gastrique, on observe l'inverse. Alors que les apports alimentaires sont restreints, le métabolismemétabolisme basalbasal tourne à un régime supérieur. Cette incohérence laisse donc supposer qu'il existe d'autres mécanismes sous-jacents expliquant la réussite de l'opération chirurgicale. Mais quoi ?

    Peter Turnbaugh, chercheur au Massachusetts General Hospital de Boston, a été intrigué par les observations montrant que la flore intestinaleflore intestinale des patients et animaux traités par la technique de bypass gastrique la plus célèbre, le Roux-en-Y, était modifiée. Avec ses collègues, il a suivi cette piste.

    La bactérie <em>Escherichia coli</em> est l'un des principaux micro-organismes constituant la flore intestinale. Le bypass gastrique lui convient bien, car après l'opération, sa population augmente. © <em>Agricultural Research Service</em>, Wikipédia, DP
    La bactérie Escherichia coli est l'un des principaux micro-organismes constituant la flore intestinale. Le bypass gastrique lui convient bien, car après l'opération, sa population augmente. © Agricultural Research Service, Wikipédia, DP

    La flore intestinale effectivement altérée par l’opération

    La première étape de cette expérience décrite dans Science Translational Medicine a consisté à séparer des souris en trois groupes. Les rongeursrongeurs du premier lot subissaient l'opération de chirurgie bariatrique. Dans le deuxième, on pratiquait simplement une opération factice, sans rien toucher, afin de servir de contrôle. Enfin, le dernier groupe comprenait les animaux subissant cette opération placéboplacébo mais étant en plus soumis à un régime alimentaire strict. Des échantillons fécaux ont été prélevés avant le début des manipulations, puis toutes les semaines pendant trois mois une fois les souris passées sous le bistouri.

    Au bout d'une semaine, les fècesfèces des souris sous bypass se sont fortement enrichis en trois types de bactériesbactériesBacteroidetesVerrucomicrobia et Proteobacteria, des groupes retrouvés chez les personnes saines. Jusque-là, rien d'anormal. La flore intestinale des rongeurs au régime a également été modifiée, mais dans une moindre mesure. Cela n'a rien d'étonnant : en court-circuitant une bonne partie de l'estomac et de l'intestin grêle, on altère le pH ou les concentrations en bilebile, ce qui change l'environnement.

    Des bactéries qui font perdre du poids

    La suite s'avère plus originale. À la fin, les microbiotesmicrobiotes des 23 animaux ont été récupérés et transplantés dans les intestins de souris ayant grandi dans un environnement complètement dépourvu de microbes et ne possédant même pas de flore intestinale. Sans pour autant réduire leur apport alimentaire, les rongeurs recevant les bactéries des souris opérées par bypass gastrique ont perdu 5 % de leur massemasse corporelle en l'espace de deux semaines. Pour les autres, en revanche, rien n'a changé.

    Ainsi, l'acte chirurgical chez l'Homme transformerait la flore intestinale des patients, ce qui contribuerait selon les estimations des auteurs à 20 % de la perte de poids totale. Lorsqu'on sait que ces bactéries sont en étroite interaction avec le cerveau, au sein duquel on trouve le centre de la satiété, on peut supposer par exemple que ces microbesmicrobes altèrent la production de certaines hormoneshormones. Mais cela reste encore à déterminer.

    Une autre question reste en suspens : la transplantationtransplantation aurait-elle eu le même effet chez des animaux sauvages, c'est-à-dire pas aseptisés ? Il est important d'y répondre car on se rapprocherait là davantage de la situation humaine.