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Les orangs-outans ne sont pas des grands singes comme les autres. Déjà parce qu'ils vivent à Sumatra ou Bornéo, au contraire de leurs cousins chimpanzés, gorilles ou humains, tous originaires d'Afrique. Mais aussi parce qu'ils se montrent bien plus solitaires. Les grands mâles dominants parcourent la forêt avec pour seule compagnie les arbres qu'ils arpentent. Cependant leurs instincts grégairesgrégaires les incitent à pousser de longs cris puissants, qui s'entendent à plus d'un kilomètre et demi à la ronde, pour inviter les femelles des alentours à les localiser, et pour inviter les jeunes prétendants à ne pas s'approcher s'ils veulent éviter les ennuis.
Le biologiste suisse Carel van Shaik s'est demandé si ces appels n'avaient pas une autre fonction : celle d'indiquer la direction qu'ils emprunteraient le jour suivant, lors de sa quête de nourriture. Un tel acte impliquerait donc une aptitude à se projeter dans l'avenir. Les orangs-outans en seraient-ils capables ? C'est par l'affirmative que répondent les chercheurs de l'université de Zurich dans la revue Plos One.
Je pense donc je crie
Une quinzaine de mâles orangs-outans de Sumatra (Pongo abelii) ont donc été suivis, sur des périodes ne s'étalant pas au-delà de 10 jours, pour collecter des données sur 320 jours en tout. Les scientifiques ont noté durant cette période 1.169 cris puissants, dont certains peuvent durer plus de 4 minutes. Ces appels peuvent être répétés le long de la journée, et sont lancés dans diverses directions.
La femelle orang-outan élève seule son petit, en cherchant souvent à rester à proximité du mâle dominant, auprès duquel elle trouve du réconfort et qui lui évite les tentatives de viol de jeunes mâles ambitieux. © Drriss & Marrionn, Flickr, cc by nc sa 2.0
Les chercheurs helvétiques ont remarqué que, comme ils le suggéraient, l'orientation de ses cris n'était pas anodine. Le plus souvent, les cris poussés le soir correspondent à la direction empruntée le lendemain. Ceux lancés plus tôt dans la journée sont en revanche moins corrélés à la trajectoire suivie.
Les femelles ne s'y trompent pas : le jour suivant, elles partent généralement dans le même sens que le mâle, sans le voir. Elles peuvent ainsi rester à proximité de leur partenaire privilégié, tout en évitant les mâles subordonnés qui essaient parfois de s’accoupler de force avec elles.
Réfléchir à l’avenir, aptitude courante dans le règne animal ?
Les auteurs de ce travail y voient donc là le signe d'une planification d'un voyage, et donc une anticipation de l'avenir. Une première dans le monde des animaux sauvages. Cependant, cette aptitude, que l'on a longtemps pensée uniquement humaine, avait déjà été montrée avec des animaux captifs, notamment chez d'autres grands singes, mais aussi chez des geais, des oiseaux de la famille des corbeaux.
L'un des cas les plus troublants concerne Santino, chimpanzé du zoo de Furuvik, en Suède, qui s'amuse à collecter puis à cacher des cailloux dans son enclos. Lorsque les visiteurs se rapprochent de sa cage, il se promène nonchalamment jusqu'à l'une de ses cachettes et tout à coup, sans crier gare, se met à mitrailler de pierres les passants, médusés et amusés. Une attitude qui lui a valu une publication dans Plos One en mai 2012.
Les éthologues pensent même qu'il est fort probable que de nombreuses autres espècesespèces soient dotées de cette faculté. On peut tout d'abord penser que notre ancêtre communancêtre commun partageait déjà ce caractère avec nous. Mais leurs intuitions doivent se confirmer par l'expérience, qui n'est pas évidente à mettre en place. Comment interpréter avec certitude des signaux émis par des animaux dont nous ne maîtrisons pas le langage ?