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On connaissait déjà la capacité de certains singes à utiliser des outils, partagée quelquefois avec d’autres animaux. Mais l'observation de la nature dans ce domaine, décidément, réserve encore bien des surprises...
L'étude débute en 2004 lorsqu'une équipe de scientifiques de l'unité de primatologie de l'université de Kyoto observe un bien curieux comportement de macaques crabiers (Macaca fascicularisMacaca fascicularis) ayant élu domicile autour du temple bouddhiste de Prang Sam Yot, situé dans la petite ville de Lopburi, à 154 km au nord de Bangkok (Thaïlande). Il s'agit d'une zone sablonneuse d'environ 50 mètres de côté, entourée de trois routes et d'une voie de chemin de ferfer, fréquentée par de nombreux touristes.
Neuf animaux adultes, tous des femelles, avaient alors pour habitude de grimper sur la tête des visiteuses, non pour mendier de la nourriture, mais pour arracher quelques cheveux qu'ils emportaient. Ils les utilisaient ensuite comme s'il s'agissait de fil dentaire pour se nettoyer les dents le plus consciencieusement du monde.
Macaque occupé à se passer du fil dentaire. Crédit : université de Kyoto
Ayant décidé de rester sur place pour analyser ce comportement pour le moins curieux, le professeur Nobuo Masataka est allé de surprise en surprise...
De 2004 à février 2008, le nombre de singes ayant adopté ce comportement a augmenté jusqu'à 50, tous des adultes, sur les quelque 200 animaux formant cette population. Mais s'agissait-il d'instinct d'imitation sans but précis, ou d'un réel apprentissage ?
Durant la période d'observation qui fut alors entreprise, sept des femelles élevaient des petits (3 mâles et 4 femelles âgés d'un an environ). Ces sept animaux ont été choisis comme sujets d'observation privilégiés, avec un protocoleprotocole pour collecter un maximum de renseignements sur leur comportement sans l'influencer. Pour des raisons de commodité (les touristes apprécieront...), des cheveux humains d'une longueur moyenne de 20 cm ont été disséminésdisséminés sur le territoire des macaques chaque matinée d'observation.
Macaque occupé à se nettoyer les dents au moyen d'un cheveu humain utilisé comme fil dentaire improvisé. Crédit : Equipe Pr. Nobuo Masataka, université de Kyoto
Une pratique devenue routine
Les animaux partent à la recherche des cheveux environ 30 minutes après leur repas. Dès qu'un macaque s'empare de cet outil, un enregistrement vidéo est déclenché, qui ne s'arrête que lorsque l'action sera terminée. Les chercheurs peuvent ainsi déterminer la duréedurée du nettoyage dentaire et toutes ses composantes, nombre de fois que le cheveu a été réinséré, vitessevitesse des gestes, insistance du nettoyage...
Parmi les séquences vidéo enregistrées, certaines l'ont été alors que les animaux étaient seuls, d'autres en présence de leur progéniture. En tout, 50 enregistrements montraient au moins un jeune en bas âge à proximité immédiate, ou faisant face à l'animal, tandis que dans 50 autres, le macaque restait seul. Dans 21 autres cas, un petit s'est présenté à proximité immédiate du singe occupé à se curer les dents, le plus souvent en l'observant (18 cas) ou sans s'attarder (3 cas seulement). Durant l'expérience, une caméra enregistrait le singe adulte de face, une seconde montrait une vue d'ensemble de son environnement.
La différence de comportement de l'adulte est frappante et démontre une volonté d'enseignement de la mère à son petit. Les femelles modifiaient leurs gestes, les rendant plus amples, y mettant plus d'insistance et intercalantintercalant de plus longues pauses entre eux. Les actions elles-mêmes étaient exagérées afin de mieux en détailler le déroulement à leurs jeunes, dont l'âge s'échelonnait alors de 6 mois à 13 mois.
Maman macaque montre à son petit comment les humains fournissent de quoi conserver ses dents propres. Crédit équipe Pr. Nobuo Masataka, université de Kyoto
L'acte d'apprentissage volontaire est encore confirmé par le fait que les macaques se nettoie les dents de la même manière lorsqu'ils sont seuls ou en présence d'autres adultes. En tout, les macaques observés passaient environ deux fois plus de temps à se passer le fil dentaire improvisé lorsque les jeunes étaient présents, alors que l'action se réduisait à un bref nettoyage en temps normal...
Macaque s'appliquant à enseigner son art à un juvénile. Crédit Université de Kyoto
L'observation a de quoi surprendre. Jusqu'ici, la possibilité d'enseignement délibéré chez l'animal a toujours été niée. Des jeunes chimpanzés ont bien été observés en train de suivre attentivement le comportement d'un adulte mais l'hypothèse est que celui-ci ne s'en préoccupe pas. Il y a bien apprentissage mais pas enseignement. Nobuo Masataka, qui publie ses résultats dans la revue PloS One, reste d'ailleurs prudent et affirme en rester à l'hypothèse. On peut remarquer que, chez le macaque, uen autre équipe avait déjà observé un comportement particulier des femelles pour communiquer avec les jeunes . « J'étais surpris, car enseigner une technique visant à utiliser convenablement un outil à un tiers a toujours été décrit comme une activité réservée aux humains », rappelle-t-il. Il faut donc poursuivre les observations pour aboutir à une conclusion ferme. « Nous aimerions nous focaliser sur les bébés singes pour vérifier si les actions de leur mère les aident effectivement à apprendre comment se nettoyer les dents ».