Une nouvelle fois, les éléphants révèlent l’ampleur de leur intelligence. On les savait déjà capables de distinguer grâce à la vue et l’odeur les ethnies humaines qui présentaient un danger de celles dont ils ne risquaient rien. Il a été récemment montré qu’ils les discriminent même à la voix, et qu’ils différencient également les hommes, chasseurs, des femmes et des enfants.

au sommaire


    Les plus gros animaux terrestres n'ont qu'un seul prédateur à l'âge adulte : l'Homme. Et encore, pas tous les Hommes. Au Kenya par exemple, l'éléphant d’Afrique (Loxodonta africana) subit parfois les attaques de tribus maasaï, des semi-nomades en concurrence pour les points d'eau et pour les zones de pâturage du bétail. En revanche, le peuple kamba, agriculteur, se montre bien moins véhément vis-à-vis des pachydermes.

    Des différences d'attitude que les éléphants n'ont pas manqué de remarquer. En effet, les longues tuniques rouges caractéristiques des Maasaï ainsi que leur odeur suscitent la crainte au sein des troupeaux des géants africains, alors que ces mêmes sens n'engendrent pas de panique lorsqu'ils perçoivent les Kamba. Une capacité de discrimination plutôt rare à ce niveau dans le monde animal.

    Néanmoins, Karen McComb et Graeme Shannon, éthologues à l'université du Sussex, à Brighton (Royaume-Uni) pensaient les pachydermes encore plus doués. En plus de la vue et de l'olfactionolfaction, peuvent-ils également se servir de la voix pour distinguer l'origine potentielle d'un danger ? Une étude fascinante dans les Pnas répond par l'affirmative.

    Les éléphants discriminent les voix d’Hommes

    Dans un premier temps, des hommes adultes de ces deux ethnies kényanes ont été enregistrés en prononçant calmement dans leurs langues maternelles, bien différentes, « regardez, regardez là-bas, un groupe d'éléphants en approche ». Ces sons ont ensuite été émis via des haut-parleurs à destination de 47 familles de pachydermes vivant dans le parc national d'Amboseli, au Kenya, et leur comportement a été scruté.

    Les Maasaï (à l’image) constituent un peuple semi-nomade et guerrier, doté d’une langue d’origine nilotique. Ils sont très différents des Kamba, agriculteurs parlant une langue bantoue. © Nezumi, Wikipédia, cc by sa 3.0

    Les Maasaï (à l’image) constituent un peuple semi-nomade et guerrier, doté d’une langue d’origine nilotique. Ils sont très différents des Kamba, agriculteurs parlant une langue bantoue. © Nezumi, Wikipédia, cc by sa 3.0

    La voix des chasseurs maasaï suscite aussitôt une réaction de prise de conscience d'un danger chez les éléphants : ceux-ci se regroupent soudainement et se blottissent les uns contre les autres deux fois plus intensément que lorsque ce sont les Kamba qui parlent. Ils hument également l'airair à la recherche de l'odeur de leurs ennemis. Un résultat exceptionnel... mais qui ne s'arrête pas là.

    Puisque le peuple guerrier se reconnaît à la voix, les auteurs ont voulu voir si les éléphants pouvaient aussi distinguer les individus selon l'âge et le sexe. La même phrase a été récitée par des femmes et des enfants maasaï et proposée aux animaux géants. Comme précédemment, seuls les sons d'hommes adultes, les chasseurs, ont suscité un véritable émoi parmi l'ensemble les troupes. Les voix d'enfants n'ont fait trembler que 40 % des groupes dirigés par des matriarches jeunes. Mais lorsque les femelles dominantes avaient plus de 42 ans, la horde continuait son avancée tranquillement.

    Peut-on parler d’un langage des éléphants ?

    L'étude révèle d'autres détails intéressants. Alors qu'à l'écoute d'un son de lionlion, un adulte se jette sur le haut-parleur pour faire fuir le grand carnivore, les pachydermes ont adapté leur comportement et se sont regroupés pour faire front commun. D'autre part, lorsque les enregistrements ont été trafiqués pour entraîner la confusion des genres (en virilisant les voix féminines ou en adoucissant les sonorités masculines), les pachydermes n'ont pas été dupes. Un éléphant, on ne le trompe pas si facilement !

    À l'heure actuelle, il est impossible de conclure avec certitude si cette faculté relève de l'inné ou de l’acquis. Mais les auteurs ont leur idée sur la question : pour eux, pas de doute, cela tient de la culture. Bien que le nombre d'animaux tués par les Maasaï ces dernières années ait diminué, ces géants ont pu se transmettre les clés du savoir d'une époque plus ancienne, en observant les réactions des matriarches successives associant ces voix à des dangers, ou peut-être en communiquant.

    Car certains éléments tendent à penser que les éléphants recourent peut-être à un langage. Du moins, il est désormais admis, depuis la publication d'une étude très récemment dans Plos One, que les pachydermes sont en mesure de communiquer oralement la nature d'un danger. Confrontés à un essaim d'abeilles en furie, ils émettent une fréquence particulière et unique qui fait fuir tout le troupeau. De la même façon, la vue d'un Maasaï les pousse à générer un autre cri, unique également, pour signaler l'ennemi. À la lueur de ces expériences, il y a fort à parier que les éléphants n'ont pas fini de nous surprendre par leur intelligenceintelligence.