Une élégante expérience vient d’illuminer une vieille question de mécanique quantique remontant à un échange épistolaire entre Erwin Schrödinger, le fondateur de la mécanique ondulatoire, et Hendrik Lorentz, le fondateur de la théorie des électrons. Dans certains cas, le comportement d’un électron dans un atome, malgré son aspect ondulatoire, peut reproduire un comportement prédit en mécanique céleste par Joseph Louis Lagrange.

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Vue du système des troyens de Jupiter dans le plan de l'écliptique. Patroclus fait partie du groupe des "grecs" associé au point d'équilibre de Lagrange L5. Crédit : IMCCE/OP/CNRS

Vue du système des troyens de Jupiter dans le plan de l'écliptique. Patroclus fait partie du groupe des "grecs" associé au point d'équilibre de Lagrange L5. Crédit : IMCCE/OP/CNRS

Lorsque qu'on cherche à décrire le comportement de deux électrons en orbite autour d'un noyau à l'aide de l'équation fondamentale de la mécanique quantique découverte en 1926 par Erwin Schrödinger, on résout une équation décrivant la propagation d'une onde, non pas dans l'espace, mais dans un espace de configurations à 6 dimensions, celle des positions des particules. Schrödinger en était bien conscient mais il pensait malgré tout que les ondes de matière postulées par de Broglie, et dont il était parti pour développer sa mécanique ondulatoire, devaient malgré tout être des densités de charges électriques oscillant et interférant à la manière des ondes à la surface d'un bac à eau dans lequel on aurait jeté une pierre.

Les électrons en orbite devaient donc être des paquets d'ondes de ce champ de densité électrique, se déplaçant à la façon des rayons lumineux dans un milieu d'indice donné. De cette manière, les mystérieuses propriétés ondulatoires de la matière pouvaient être réconciliées avec ses indiscutables propriétés corpusculaires, parfaitement évidentes lorsque l'on considérait le mouvement d'une particule chargée dans l'ancêtre des chambres à bulles, les chambres de Wilson.

Il ne tarda pas à déchanter. La déconvenue vint de ses échanges épistolaires avec Hendrik Lorentz, le grand théoricien hollandais à l'origine de l'introduction de la forme moderne des équations de Maxwell, tenant compte de la théorie cinétique des gaz appliquée aux électrons découverte par Thompson. Les deux chercheurs parvinrent à la conclusion que tout paquet d'onde bien localisé, décrit par l'équation de Schrödinger représentant un électron en orbite dans le champ coulombien électrostatique d'un noyau, devait finir par se disperser.

Au même moment, Max Born, à qui l'on devait la formulation matricielle précise de la mécanique quantique découverte initialement par Werner Heisenberg, arriva à la conclusion que le scalaire de champ introduit par Schrödinger, ce que nous appelons aujourd'hui la fonction d'onde d'un électron, trouvait son interprétation non en tant que densité de charge mais en tant qu'amplitude de probabilité de trouver un quanta de matière en un point de l'espace de configuration. Il était parvenu à cette conclusion en cherchant à décrire l'expérience de diffusion des particules alpha par des noyaux, c'est-à-dire la fameuse expérience de Rutherford.

Erwin Schrödinger. Crédit : <em>th.physik.uni-frankfurt</em>

Erwin Schrödinger. Crédit : th.physik.uni-frankfurt

L'image d'un paquet d'onde stable bien localisé pour décrire le mouvement d'un électron dans un atome vient pourtant d'être en partie ressuscitée à la suite d'une récente expérience décrite dans un article de Physical Review Letters dont les auteurs sont H. Maeda (Japan Science and Technology Agency, Tokyo), J. H. Gurian, T. F. Gallagher (université de Virginie).

Il faut savoir que malgré l'échec des tentatives de Schrödinger et Lorentz, on ne pouvait pas faire complètement l'impasse sur une notion d'orbite d'une particule pour décrire l'intérieur d'un atome. Comme Sommerfeld l'avait montré, on obtient une description plus précise du spectre d'un atome si l'on introduit dans le modèle de Bohr non pas des orbites circulaires mais des orbites elliptiques, comme dans le cas des planètes du système solaire.

En fait, la découverte même de la mécanique des matrices par Heisenberg reposait sur l'utilisation des méthodes mathématiques avancées de la mécanique céleste avec les développements multipériodiques en séries de Fourier. Pas étonnant donc que Schrödinger ait été attaché à l'idée d'une représentation somme toute assez classique du mouvement d'un électron dans un atome.

Or, il existe en mécanique céleste un phénomène bien connu et découvert mathématiquement par Lagrange au dix-huitième siècle. Lorsque l'on considère deux corps, comme le Soleil et la Terre ou Jupiter et le Soleil, il existe 5 points particuliers entraînés par la rotation d'un des deux corps. Il s'agit de valeurs extrêmes relativement à la combinaison des forces de gravitation et de Coriolis dans le référentiel tournant autour du corps principal.

Deux de ces points sont stables. Un corps céleste, comme un astéroïde, s'y retrouve piégé et peut tout au plus effectuer autour de ces points des mouvements selon des trajectoires fermées. Il s'agit des célèbres points de Lagrange L5 et L4.

Remarquablement, le physicien Bialynicki-Birula avait prédit avec quelques collègues en 1994 que si l'on soumettait l'électron d'un atome de Rydberg à une onde électromagnétique polarisée circulairement, de telle sorte qu'elle soit synchronisée avec la période de cet électron sur son orbite, des points de Lagrange similaires devaient apparaître. Un électron sous forme initialement d'un paquet d'ondes bien localisé placé en ces points de Lagrange le restera donc.

L'expérience vient d'être réalisée avec des atomes de lithium ionisés. C'est un résultat remarquable qui montre une fois de plus qu'il faut se méfier des domaines de la physique qui semblent parfaitement explorés et maîtrisés. Pour un chercheur débutant, c'est heureux...