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Albert Einstein en 1925. © Wikipedia-Deutsches Bundesarchiv
Déjà il y a quelques jours, le physicienphysicien Tommaso Dorigo avait été à l'origine d'une rumeur dans la blogosphèreblogosphère scientifique. Selon lui, les physiciens de la collaboration Opera, qui étudient les oscillations de neutrinos, s'apprêtaient à rendre publique une bombe dans le domaine de la physique théorique. Des neutrinos muoniques produits au Cern et formant un faisceau de particules envoyé à travers la Terre en direction d'un détecteur enfoui sous le Gran Sasso, à plus de 730 km de Genève, auraient été chronométrés à une vitesse dépassant celle de la lumière dans le vide...
La théorie de la relativité restreinterelativité restreinte d'EinsteinEinstein est centenaire, elle a subi de nombreux tests dont certains sont très précis. Autant dire que l'annonce que l'on aurait finalement découvert des particules qui se déplacent plus vite que la lumière n'est pas quelque chose que l'on peut faire à la légère. Surtout, Dorigo indiquait que les observations montraient un écart à la théorie de la relativité de l'ordre de 6 sigma. Dans le jargon des physiciens, cela signifie que l'effet observé, quelle que soit son origine (un défaut de constructionconstruction du détecteur ou une mauvaise mesure dans l'expérience par exemple), est bien réel et ne peut être dû à des fluctuations statistiques dans les mesures.
Pour comprendre un peu ce que cela signifie, imaginez un jeu de pile ou face et comptez 0 pour pile et 1 pour face. Si la pièce n'est pas pipéepipée, il n'est pas impossible de tomber deux fois de suite sur 0, quatre fois de suite (deux sigma) serait beaucoup plus rare mais en gros, pas exclu par le hasard (on ne cherche pas la rigueur mathématique du calcul des probabilités dans cet exemple). Mais 12 fois de suite, là, c'est trop ! Il faut alors en conclure que le hasard n'est pas seul à l'œuvre.
Tommaso Dorigo a ensuite supprimé son post sur son blogblog. Visiblement, l'information avait été révélée avant l'heure mais il était trop tard : la blogosphère la reprenait, surtout qu'il semblait bien qu'un séminaire sur cette découverte était prévu au Cern pour le vendredi 23 septembre 2011. On devrait pouvoir le suivre ici cet après-midi.
Finalement, le CNRS a mis en ligne une vidéo dans laquelle l'un des auteurs de la découverte, le physicien Dario Autiero chercheur du CNRS à l'Institut de physique nucléaire de Lyon (IPNL), confirmait la réalité des observations de la collaboration Opera. La voici.
Dans un communiqué du CNRS, Dario Autiero explique que : « Nous avons mis en place un dispositif entre le Cern et le Gran Sasso nous permettant une synchronisation au niveau de la nanoseconde et mesuré la distance entre les deux sites à 20 centimètres près. Ces mesures présentent de faibles incertitudes et une statistique telle que nous accordons une grande confiance à nos résultats. Nous avons donc hâte de confronter nos mesures avec celles en provenance d'autres expériences, car rien dans nos données ne permet d'expliquer pourquoi nous semblons observer des neutrinos en excès de vitesse. »
Antonio Ereditato, de l'université de Berne et porteporte-parole de l'expérience Opera, ajoute lui que : « Ce résultat est totalement inattendu. De longs mois de recherche et de vérifications ne nous ont pas permis d'identifier un effet instrumental expliquant le résultat de nos mesures. Si les chercheurs participant à l'expérience Opera vont poursuivre leurs travaux, ils sont impatients de comparer leurs résultats avec d'autres expériences de manière à pleinement évaluer la nature de cette observation ».
L'article sur le découverte des chercheurs est disponible ici.
Des neutrinos transluminiques, une idée ancienne
Des neutrinos qui voyageraient plus vite que la lumière, cela se traduit généralement par ce que les physiciens appellent une violation de l'invariance de Lorentz, un des piliers de la physique théorique. Ce n'est pas la première fois que l'on envisage une telle violation. On la cherche même, car il pourrait s'agir d'un effet de gravitation quantiquegravitation quantique. Malheureusement, les observations en gamma récentes de Fermi et Integral ne semblent pas compatibles avec une telle violation.
Bien sûr, il s'agit dans le cas d'Opera de neutrinos, et pas de photonsphotons gamma. Toutefois, les neutrinos de la fameuse supernovasupernova de 1987 avaient été chronométrés cette année-là et ils posent de sérieuses contraintes sur d'éventuels effets transluminiques. Ils jettent même un doute sur les observations d'Opera.
Il se pourrait tout de même que certains neutrinos, comme le laissaient entendre certaines expériences depuis longtemps, soient des tachyons, c'est-à-dire des particules allant toujours plus vite que la lumière.
Le concept de tachyon est ancien puisqu'il remonte à un célèbre article publié en 1967 par Gerald Feinberg portant le titre Possibility of Faster-Than-Light Particles. En gros, le chercheur y considérait que toute limite ayant deux côtés, on pouvait imaginer contourner l'interdit de la théorie d'Einstein en admettant qu'il existait deux types de particule, les tardons, qui vont toujours moins vite que la lumière, et les tachyons, qui vont toujours plus vite qu'elle. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, Feinberg avait montré que des tachyons ne permettent pas d'envoyer un message dans le passé.
En 1985, Alan Chodos était allé jusqu'à proposer que les neutrinos soient effectivement des tachyons et ces dernières années le physicien Alan Kostelecký a publié avec des collègues plusieurs articles envisageant des violations de l'invariance de Lorentz dans la physique des oscillations de neutrinos, précisément le domaine d'étude de l'expérience Opera. Il y a donc en fait une large littérature théorique explorant depuis un certain temps l'idée que des neutrinos puissent franchir le murmur de la lumière.
Il faut rester prudent. Qui sait, par exemple, si des effets géophysiques mal compris ne sont pas venus fausser de façon subtile les mesures ? En son temps, certaines anomaliesanomalies dans le fonctionnement du prédécesseur du LHCLHC, le LEPLEP, avaient été expliquées par les forces de marée terrestres, soulevant le sol et faisant varier de façon infime la longueur du chemin parcouru dans le collisionneur d'électronsélectrons-positronspositrons.