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Objectif des industriels : augmenter les capacités de transport du courant électrique
Retour sur ce record, avec Julien Bok, professeur émérite au laboratoire de physique du solide de l'ESPCI.
On le sait, les supraconducteurs sont des matériaux dépourvus de résistance électrique en dessous d'une température dite « critique » Tc. Si la plupart affichent leurs propriétés aux alentours de quelques Kelvins seulement, ce qui freine leur développement industriel, des supraconducteurs dits à haute température « HTS » (100 K) ont été découverts à partir des années 1980. Avantage : il suffit de les refroidir à l'aide d'azote liquide pour pouvoir les exploiter dans le transport d'électricité.
Une première génération de câbles HTS (à base de bismuthbismuth, strontiumstrontium, calciumcalcium et oxyde de cuivrecuivre, BSCCO) a bien été mise sur le marché, permettant de multiplier par 100 la quantité de courant transportée par rapport à un câble de cuivre classique... mais à des coûts eux aussi multipliés par 100 ! Il y a 10 ans, des câbles de deuxième génération ont vu le jour, au Japon et aux Etats-Unis, à base d'yttriumyttrium, baryumbaryum, cuivre et oxygèneoxygène (YBCOYBCO), moins coûteux à fabriquer mais encore difficiles à utiliser.
L'avancée d'AMSAMS consiste à fabriquer et dérouler des câbles YBCO de 100 mètres de long et seulement 4 mm de diamètre, en déposant en couches le matériaumatériau supraconducteur sur un substratsubstrat en alliagealliage à base de nickelnickel (voir la figure). Selon la société, le câble YBCO, refroidi avec de l'azote liquide, peut transporter jusqu'à 140 AmpèresAmpères, soit 150 fois plus qu'un câble en cuivre de même dimension. « Un seul câble de ce type pourrait servir à alimenter 1000 foyersfoyers
» a déclaré dans un communiqué le directeur technique d'AMS.
Sur ce graphique, les deux architectures de base des câbles. A gauche, un HTS de 1° génération : la structure interne est un composite multifilamentaire. A droite, un HTS de 2° génération fabriqué par AMS, en couches, plus facile à manufacturer pour des câbles longs.
Entretien avec Julien Bok,professeur émérite, laboratoire de physique du solide de l'ESPCI
« Le record d'AMS est significatif, mais il reste à gagner un ordre de grandeur pour les applications. »
Futura Sciences : Quels sont exactement les enjeux scientifiques, techniques et économiques de tels développements ?
Julien Bok : "Il existe actuellement trois applicationsapplications principales des câbles supraconducteurs. L'imagerie par résonance magnétiqueimagerie par résonance magnétique (IRM), le confinement magnétique des plasmas pour la fusion nucléairefusion nucléaire (ITERITER par exemple), et les gros aimantsaimants pour accélérateurs de particules (CERNCERN et autres). Ces câbles nécessitent un refroidissement à l'héliumhélium liquide. Les supraconducteurs à haute Tc se contentent d'azote liquide, un gazgaz beaucoup moins cher, et de techniques cryogéniques moins complexes donc moins onéreuses. Ils permettent d'augmenter de façon significative les performances des dispositifs existants et ouvrent tout un champ nouveau d'applications. Parmi celles-ci les plus prometteuses sont :
- l'alimentation en électricité de zones à forte densité de population Des projets sont en cours pour les agglomérations de Hong Kong, New York et Tokyo ;
- la constructionconstruction de trains à lévitation magnétique. Des prototypes existent en Allemagne et au Japon fonctionnant sur une quarantaine de kilomètres ;
- en électrotechnique, la baisse de coûts de réfrigération permet d'envisager la commercialisation de moteurs et de générateursgénérateurs en particuliers pour la propulsion des navires. Des prototypes existent déjà en Europe, aux Etats-Unis, au Japon et en Chine ;
- d'autres dispositifs, comme des limiteurs de courants, des bobines pour le stockage d'énergieénergie, des transformateurstransformateurs, etc. sont à l'étude.
La principale difficulté est la fabrication de câbles de grande longueur avec des propriétés électriques et mécaniques satisfaisantes. Les HTSC sont des cupratescuprates, composés à base d'oxyde de cuivre, se présentant sous forme de céramiquescéramiques. Ils n'ont donc pas les propriétés mécaniques des métauxmétaux et alliages ; on ne peut les étirer ou les laminer. Il faut donc soit les préparer dans des tubes métalliques (argentargent) soit les déposer sur des rubans de nickel ou d'acier inoxydableacier inoxydable. Du point de vue physiquephysique, ces matériaux sont fortement anisotropesanisotropes. Ils ont une structure lamellairelamellaire et la supraconductivitésupraconductivité apparaît dans des plans d'oxyde de cuivre. Ils sont de mauvais conducteurs dans la direction perpendiculaire à ces plans.
Lors de la fabrication des câbles, il faut trouver une méthode pour déposer tous les grains avec leur bonne orientation. Les joints de grains posent aussi des problèmes car s'ils n'assurent pas de bons contacts électriques, la densité de courant transportée décroît rapidement. De nombreux problèmes physiques et technologiques doivent être résolus pour arriver à de bonnes performances ce qui explique le prix élevé, pour le moment, de ces câbles. Les matériaux étudiés sont les composés à base de bismuth et à base d'yttrium de formule chimique YBa Cu O. Ce dernier semble le plus prometteur.
Du point de vue économique, le marché actuel des supraconducteurs est d'environ 3 milliards d'euros. Il est difficile de prévoir l'avenir, mais si les applications débouchent, certains instituts prévoient un marché de 10 Md d'euros en 2020. Beaucoup plus si les trains à lévitation magnétique se développent. Le principal intérêt des supras est donc de faire de considérables économies d'énergie et ceci est un atout important au vu de l'augmentation du prix de l'énergie".
Futura Sciences : Pouvez-vous mesurer la portée du "record" d'AMS. Comment ont-ils pu y parvenir techniquement ?
Julien Bok : "Il est important de fabriquer des câbles transportant de forts courants et de grande longueur, plusieurs kilomètres pour les applications aux grandes métropoles. Dans un câble, il suffit d'un défaut, mauvaise orientation d'un grain ou joint de grain défectueux pour tout gâcher.
La probabilité de rencontrer un tel défaut augmente évidemment avec la longueur. Le record d'AMS est donc significatif, car il suppose une grande maîtrise des conditions de dépôt et du traitement thermique et mécanique du ruban. Il reste à gagner un ordre de grandeurordre de grandeur pour les applications".
Futura Sciences : Quelles sont les prochaines étapes ? Quels est l'état de la recherche France et en Europe sur ce sujet ?
Julien Bok : "Il faut développer les conducteurs dits de seconde génération : dépôt sur acier inoxydable, contrôle de la granulométrie à l'échelle nanométrique. Etudier de nouveaux supraconducteurs comme le diborure de magnésiummagnésium. Mieux comprendre les phénomènes qui limitent le courant maximum transportable (recherche fondamentale). Et développer des processus industriels pour minimiser les coûts
Comparé à l'effort des Etats-Unis et du Japon et même à celui de la Chine et de la Corée du Sud, celui de l'Europe apparaît faible et surtout fragmenté (manque de coordination à l'échelle européenne). L'Europe est au tout premier plan mondial pour la recherche de base et le niveau de ses laboratoires publics. Mais elle a un sérieux handicap au niveau industriel. Dans le « 6th framework program » européen la supraconductivité n'était pas mentionnée, de même dans le septième !
Après un emballement considérable suite à la découverte en Europe (Zurich) de la supra HTc l'enthousiasme est retombé faute d'applications immédiates. Ce financement en dents de scie n'est pas favorable à des études longues haleine. Un effort soutenu de longue duréedurée est nécessaire. Comme pour toute recherche le résultat n'est pas garanti mais l'enjeu en vaut la peine..."