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D'emblée les plus folles rumeurs ont circulé : attentat, malveillance, « simple » accidentaccident industriel ; s'est-il passé ce jour-là un accident initial à la SNPE (Société Nationale des Poudres et Exposifs) proche qui serait le facteur déclanchant ? Le nitrate d'ammonium, couramment utilisé comme engrais, est-il un explosif ou non ?
Les experts se sont aussi posés pas mal de questions. En effet il est connu que dans certaines circonstances le nitrate d'ammonium peut exploser, mais on sait aussi qu'il faut un apport d'énergie considérable pour en arriver là. En effet, chauffé à 165° C il fond, mais il faut monter à plus de 200° C avec du nitrate d'ammonium maintenu en milieu confiné pour qu'il explose.Rien de tel ne semblait pouvoir se produire sur un stockage comme celui de Toulouse.
Mais on sait aussi que les choses peuvent être différentes si le produit est mélangé à d'autres substances. En particulier les spécialistes savent qu'un mélange de nitrate d'ammonium et de fioul avait été utilisé pour le premier attentat du World Trade Center (1993) et celui d'Oklahoma City (1995). Mais là encore il faut un détonateur puissant. Lorsqu'on utilise ce mélange en travaux publics on emploie souvent un bâton de dynamite pour amorcer l'explosion. On a donc supposé à un moment que le nitrate d'ammonium avait été pollué par des hydrocarbures (huile, fioul) provenant des engins manoeuvrant dans le hangar. Mais le déclanchement de l'explosion posait toujours un problème.
L'hypothèse de loin la plus vraisemblable aujourd'hui est très différente. Une autre partie de l'usine fabrique des « pastilles de chlore » pour la désinfection des piscines, en fait de l'acide trichloroisocyanurique (TCATCA) ou un produit voisin. On suppose que dans le quart d'heure précédent l'explosion une benne de ce produit a été déversée dans le hangar, sur le tas de nitrate d'ammonium.
Le chlore du TCA réagit avec le nitrate d'ammonium pour former, à température ambiante, du trichlorure d'azoteazote. Ce produit est connu depuis le début du 19ème siècle pour ses propriétés explosives. C'est un liquideliquide instable, volatil, extrêmement dangereux à manipuler car il explose très violemment dès qu'il est chauffé à 60° selon certaines sources, à 93° selon d'autres.
En réalité certains chimistes sont arrivés à obtenir sans problème l'explosion à température ambiante en utilisant un nitrate d'ammonium impur et en jouant sur les proportions des réactifsréactifs mis en œuvre. Or justement le nitrate d'ammonium stocké à l'usine AZF ne pouvait pas être pur : c'était un produit industriel déclassé et tout laisse supposer que d'autres déchetsdéchets ont été entreposés dans de hangar.
Diverses supputations ont résulté du fait que plusieurs témoins ont affirmé avoir entendu deux explosions. Sans préjuger des résultats de l'expertise on peut supposer sans difficulté que la réaction a mis un certain temps avant de devenir irréversible. Un déversement dans un hangar à produits déclassés n'aboutit pas à un mélange homogène des réactifs, loin de là. Que la réaction ait eu plusieurs points d'amorçage, dont l'un a conduit à une première explosion d'importance limitée n'a rien d'étonnant.
Il faut savoir que la formation de trichlorure d'azote lors de la mise en contact de chlore (ou d'une substance pouvant dégager du chlore) et de divers composés azotés est un risque très connu. Si cette hypothèse hautement probable était confirmée par l'enquête cela signifierait qu'une énorme erreur a été commise. Il appartiendrait alors à la justice de déterminer si cette erreur relève d'une faute inexcusable au niveau des consignes de sécurité de l'usine.
Selon nos informations l'équipe d'experts sollicitée par la justice réunit chimiste, spécialiste de détonique (science des explosifs), spécialiste en électromagnétismeélectromagnétisme (en effet certains ont évoqué que l'élément initiateur aurait été un arc électriquearc électrique, mais avec le trichlorure d'azote un apport extérieur d'énergie n'est pas nécessaire), spécialiste en sismique (l'explosion a été enregistrée par un sismographe situé à quelques kilomètres de l'usine). Les conclusions de cette commission sont attendues avec impatience.
Par J.P. Louvet