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« Tout nouveau matériau, déclare l'architectearchitecte américain Frank Lloyd WrightWright, si on l'utilise selon sa nature, génère une nouvelle forme, un nouvel usage. » Cet impératif de traiter les matériaux selon leur nature, vu comme le trait décisif d'une architecture authentiquement moderne, naît des débats qui entourent au XIXe siècle la notion de stylestyle, mais il est profondément lié à l'émergenceémergence de la science moderne.
Galilée et Léonard de Vinci ont tous deux compris que l'on ne peut pas simplement augmenter ou réduire la taille d'une structure, mais qu'il faut modifier toutes les proportions en fonction de sa taille et des matériaux (de même, relève GaliléeGalilée, pour le squelette des animaux). La position classique postulant l'indépendance des formes et de la matière n'est plus tenable. Les scientifiques et ingénieurs commencent à quantifier les propriétés de ces matériaux pour pouvoir calculer mathématiquement leurs performances.
La nouvelle conception de l'architecture comme art de construire se développe autour d'une conviction : en appliquant les lois de la structure aux propriétés des matériaux, on ferait naître une forme architecturale nouvelle. En France, Viollet-le-Duc développe de façon systématique ce rationalisme fondé sur la construction, soutenant qu'une connaissance approfondie des matériaux est « la première condition de la composition », et que l'architecte doit « procéder comme le fait la nature elle-même ».
Une spirale pour la fluidité du béton
Toutefois, exprimer la nature d'un matériau est plus simple en théorie qu'en pratique. Louis Kahn pouvait interroger une brique, lui demandant « ce qu'elle voulait », s'il devait pratiquer une ouverture, et recevoir pour réponse « je voudrais un arc », mais pour bien d'autres matériaux, la réponse n'est pas si claire. Par exemple, il est dans la nature du verre d'être à la fois transparenttransparent et réfléchissant, propriété indésirable pour qui cherche à révéler la structure à travers lui, mais dont on peut aussi tirer parti, comme le font, entre autres, Peter Zumthor ou l'agence Gigon Guyer.
Avec un matériau composite comme le béton armé, les choses se compliquent encore : sa résistancerésistance dépend de son armaturearmature d'acier, qui reste cachée ; étant liquide lors de la coulée et solide à la prise, son aspect final est en fin de compte déterminé par la nature du matériau de coffragecoffrage, plus que par sa propre composition. Le musée Guggenheim de New York, conçu par Frank Lloyd Wright, est un monument à la fluidité du bétonbéton, tandis que pour la dalle surplombant le parvisparvis de l'opéra de Sydney, Jørn Utzon exploite la même propriété pour créer une structure qui donne l'impression de refléter les forces en jeu aussi fidèlement que les os du squelette.
Pour Frank Lloyd Wright, la nature du béton réside dans sa fluidité, une idée qui trouve son expression la plus spectaculaire dans la forme en spirale du musée Guggenheim de New York (1943-1958).
Comme toute tentative de fonder la forme architecturale sur tel ou tel déterminant absolu, que ce soit la fonction ou la structure, la volonté d'œuvrer dans la nature des matériaux n'offre pas une voie unique vers une solution logique. Elle décrit une attitude consistant à laisser la forme se développer en réponse à tout un ensemble de conditions particulières, et non selon un mode imposé par un style préexistant.