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Aux origines de l'architecture antique, il y a la cabane primitive. Cette idée nous vient des Dix livres d'architecture, de Vitruve, mais sa place dans la théorie architecturale prend toute son importance avec l'Essai sur l'architecture, publié par l'abbé Laugier en 1753. Préconisant l'emploi structural « honnête » des ordres classiques, Laugier propose de rénoverrénover l'architecture par un retour à ses origines.
Laugier voit dans la hutte primitive le prototype de toute véritable architecture, à commencer par le temple grec, ce qui le conduit à rechercher dans le passé des exemples où les ordres répondaient à un besoin structurel et non à un souci décoratif, comme c'est souvent le cas à l'époque romaine et à la Renaissance.
On découvre à Paestum (colonie romaine) des temples grecs assez primitifs et les partisans du néoclassicisme font de la cabane primitive un type en soi. Par ailleurs, la volonté de retour aux fondamentaux tend à rapprocher Laugier des modernistes, qui s'efforcent de débarrasser l'architecture des lourdeurs du stylestyle et préconisent la rationalité structurelle.
Reconstruits tous les vingt ans, les bâtiments principaux du sanctuaire d'Ise, au Japon, datent du VIe siècle. Ils perpétuent une forme très ancienne, reprise des bâtiments ruraux primitifs. La cabane primitive la plus célébrée de l'histoire de l'architecture est reproduite en 1755 par l'abbé Laugier. C'est une tentative de démonstration des origines naturelles du temple grec.
Au-delà de l'histoire commencée par Vitruve, la cabane primitive est souvent présente dans d'autres cultures, comme contrepoint aux excès supposés de la vie civilisée. Le philosophe cynique grec Diogène (412-323 avant J.-C.) portait des hardes et vivait dans un tonneau (en fait un grand pot en terre cuite). Au XVIIe siècle, les admirateurs de Basho, le poète japonais de haïku, lui construisirent un abri rudimentaire, dans la continuité d'une tradition orientale vieille de 3.000 ans, qui fait de la cabane un lieu poétique ou philosophique. À la même époque, émerge au Japon le style sukiya, calqué sur l'architecture rurale populaire, comme antidoteantidote aux excès des riches shoguns militaristes.
La cabane, un retour à la nature
En Europe du Nord et de l'Est, la cabane à la campagne, comme la datcha russe, est depuis longtemps un moyen de s'éloigner de la ville et de revenir à la nature. L'écrivain américain Henry David Thoreau (1817-1862) passe deux ans dans une maison volontairement très rustique. Le philosophe Martin Heidegger, dont la phénoménologie a une profonde influence sur la théorie architecturale contemporaine, travaille dans une cabane, suivant une tradition qui, comme le fait observer Adam Sharr, englobe « la tour de Tübingen d'Hölderlin, le pittoresque Gartenhaus de Goethe à Weimar, et la maison de convalescence de Nietzsche à Sils-Maria, dans les Alpes suisses ». En compagnie de tous ces grands Hommes, nous ne sommes pas très loin de la fascination actuelle pour l’abri de jardin, lieu idyllique pour écrire ou bricoler.
L'exemple moderne le plus connu de cabane primitive est la seule maison que Le Corbusier ait construite pour lui, comme refuge pour ses vacances au cap Martin (1954-1957) : deux petits bâtiments en boisbois, l'un en rondins pour le logement, l'autre en planches pour l'atelier. Le Corbusier l'appelle la « baraque de chantier », en référence au cabanon qui lui sert de modèle, mais les finitions sont aussi parfaites que la maison de thé du style sukiya le plus raffiné.