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Réplique de catapulte. Crédit : Château des Baux (France).
C'est par une analyse poussée d'écrits remontant au 5e siècle avant notre ère que Mark Schiefsky, professeur à la faculté d'Arts et Sciences de Harvard, est arrivé à cette conclusion. "Les artisans disposaient de leurs propres bases de connaissances qui n'étaient pas obligatoirement basées sur la théorie", explique-t-il, ajoutant que "tous ne sont pas allés à l'Académie de Platon pour étudier la géométrie, mais ils pouvaient construire des dispositifs calibrés avec précision".
L'usage et le développement de la balance illustre parfaitement la pensée du chercheur, qui signale que les systèmes de pesage utilisant des bras de longueurs inégales étaient déjà répandus au cours des 5e et 4e siècles avant J-C, bien avant qu'ArchimèdeArchimède (-287 à -212) et les autres penseurs hellénistiques aient démontré le principe du levier par des démonstrations mathématiques.
"Il était communément admis qu'Archimède fut le premier à utiliser la balance à contrepoids, car il était considéré comme impossible de la concevoir avant que le célèbre penseur ait élaboré la théorie du levier", annonce Schiefsky, "alors que les artisans possédaient leurs propres méthodes pour construire et calibrer leurs propres balances". Et il ajoute qu'en pratique, le développement de cet instrument a été permis par une succession d'erreurs et de réussites, arrivant à produire des outils extrêmement précis bien avant qu'Archimède n'en énonce sa propre loi.
Schiefsky appuie ses constatations par des exemples pratiques. Ainsi, si un éleveur apportait une pièce de viande de 100 livres sur un marché, comment la peser ? On ne pouvait tout de même pas jouer avec des contrepoids de 50 kgkg, alors qu'en utilisant une simple balance à bras asymétriquesasymétriques, on pouvait utiliser des poids dix fois plus légers... Très tôt, les marchands ont dû constater que cela était aisé à réaliser simplement en changeant le point d'appui du levier, et il ne restait dès lors qu'à comprendre le principe de proportionnalité entre le poids et la distance à ce point d'appui. Selon Schiefsky, cette technique ne nécessitait aucune connaissance particulière, seulement de l'observation et un peu de tâtonnement à partir de quelques poids-étalons.
Les perfectionnements
L'accroissement des connaissances qui s'est poursuivi durant l'ère hellénistique a exercé une grande influence sur le développement des technologies antiques, et les perfectionnements de la catapulte démontrent l'évidence de ces progrès au cours du temps.
Les rois d'Alexandrie ont instigué et patronné un véritable programme de recherches, qui est peut-être le premier exemple connu d'une organisation de ce type. Les écrits anciens, mais aussi les découvertes archéologiques, ont montré comment le principe de la catapulte avait pu se perfectionner depuis le 3e siècle avant J-C. L'applicationapplication des principes mathématiques découverts par Archimède, puis affinés par d'autres chercheurs, ont permis de perfectionner la catapulte et d'y adjoindre des mécanismes compliqués afin d'augmenter la puissance de l'impulsion donnée au bras de lancement. Ces engins ont alors pu propulser des charges de 50 livres ou plus.
Selon Schiefsky, ces perfectionnements ont marqué l'Histoire et lui ont fait prendre un sens nouveau, car il devenait tout à coup possible d'attaquer des villes jusqu'alors réputées imprenables.
En dissociant la connaissance théorique de la réalisation pratique, les chercheurs de l'université de Harvard apportent un éclairage nouveau sur l'Histoire des civilisations en expliquant comment certaines inventions ont pu être réalisées alors que les bases scientifiques manquaient pour en expliquer le fonctionnement. N'avons-nous pas un peu trop souvent considéré comme acquis que la pratique devait nécessairement découler de la théorie, alors que l'inverse est tout aussi envisageable ?
Et après tout, lorsqu'il a inventé la photographiephotographie, Nicéphore Niepce connaissait-il la nature du photonphoton ?