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P2P-TV, vers une nouvelle télévision
Bien qu'il s'agisse d'une démarche illégale, la mise à disposition des épisodes successifs d'un feuilleton ou d'une série prend tout son sens sur l'internet, dont le caractère international et immédiat semble rendre caducscaducs les impératifs temporels qui régissent les modèles de distribution de l'industrie audiovisuelle. Et, à défaut de constituer une solution légale, le modèle "alternatif" qui s'est mis en place sur le P2P n'en préfigure pas moins ce que pourrait être la télévision à la demande.
Ce modèle tire parti des technologies innovantes qui ont marqué ces dernières années. En particulier, BitTorrentBitTorrent, le protocole d'échanges en P2P le plus populaire aujourd'hui se prête particulièrement bien à la diffusiondiffusion des films et des épisodes de séries.
D'abord parce que chaque personne qui télécharge un fichier aide les autres à le télécharger eux-mêmes (avec pour effet que plus un fichier est "populaire", comme peut l'être le dernier épisode d'une série télévisée, plus il est rapide et facile à télécharger). Ensuite parce que ce protocole d'échanges repose sur des torrentstorrents, de petits fichiers qui servent à initier le téléchargement, mais n'indiquent rien quant au contenu du fichier téléchargé proprement dit. Les torrents sont donc régulièrement publiés et classés sur des sites qui n'abritent aucun fichier illicite, mais de simples "pointeurs" vers ces fichiers. Souvent, ces sites proposent des fils RSS propres à chaque catégorie de films, ou même à chaque série. Un utilisateur qui s'intéresse à une série donnée s'abonne au fil RSS correspondant. Dès qu'un nouvel épisode apparaît, il reçoit une alerte dans son agrégateur RSS, avec un lien vers le torrent concerné. Il n'a plus qu'à cliquer pour démarrer le téléchargement. Facile, et diablement efficace.
Reste que les fichiers vidéos doivent être mis à disposition des autres utilisateurs sur l'internet. Et là aussi, la télévision n'impose pas les mêmes contraintes que le cinéma. On le sait, pour un film projeté en salles, le piratage est compliqué. Soit on utilise une caméra qui filme depuis la salle au milieu du public, avec un piètre résultat, peu recherché des internautes, soit on effectue une capture vidéo, depuis la cabine de projection ou depuis une salle vide, avec une prise de son direct (un procédé appelé Telesync). Dans les deux cas, la chose n'est pas à la portée du premier venu, et ce type de piratage, qui nécessite organisation et appareillage sophistiqué, émane de groupes structurés. A l'inverse, tout internaute ou presque peut, de chez lui, créer des versions numériques des émissionsémissions qu'il reçoit sur son téléviseur, ou a fortiori sur la carte tuner TV de son micro-ordinateur. Et la vaguevague des enregistreurs de salon à disque durdisque dur qui, outre leur énorme capacité de stockage, permettent d'éliminer les publicités insérées dans les films, facilite encore les choses.
Le logiciellogiciel n'est pas en reste, et la télévision est peut-être même en train, paradoxalement et à son insu, de donner naissance à un nouveau média. Ce média combine toute la puissance des deux principaux moteurs - au sens technologique et au plan des usages - de l'internet de ces dernières années : le P2P et les blogsblogs.
Le projet Blog Torrent est assurément emblématique de cette tendance. Développé par Downhill Battle, une association activiste qui lutte contre les monopoles de l'industrie musicale, Blog Torrent est un logiciel qui s'installe sur un serveurserveur, et qui permet facilement à tout utilisateur de créer ses propres torrents, donc de diffuser ses propres fichiers en P2P. En somme, le projet vise à rendre la diffusion de fichiers, a fortiori de grande taille, aussi simple d'emploi qu'un blog, à commencer par l'installation, qui ne "nécessite pas de savoir ce qu'est BitTorrent", jusqu'à la publication effective d'un contenu ("il suffit de cliquer sur 'uploadupload', choisir un fichier, et c'est fait", explique-tt-on sur le site du projet).
"Rendre facile le fait de bloguer de gros fichiers vidéos signifie que des gens vont pouvoir partager leurs films amateurs de la même façon qu'ils partagent leurs photos ou leurs écrits. Cela permet aux gens de créer de vastes réseaux de contenus vidéos, qui soient réellement de pair à pairpair à pair, c'est-à-dire de la vidéo réalisée par des individus et partagée par des individus, sans nécessiter un budget bande passantebande passante ou des accords de distribution", expliquent les artisans du projets, ajoutant "Cela signifie-t-il que nous pouvons faire à la télévision ce que les blogs ont fait aux actualités ? A nous de le découvrir..."
Dans une interview publiée sur le blog collaboratif "The BroadbandBroadband Daily", Nicholas Reville, l'un des responsables du projet, est plus précis quant à son potentiel : "Avec Blog Torrent, n'importe qui peut partager ce qu'il produit et cela crée des alternatives totalement nouvelles aux médias de massemasse, et en particulier à la télévision. Nous voulons voir des 'chaînes TV Internet' qui permettent de télécharger des vidéos en tâche de fond et vous permettent de les regarder à votre convenance : un TiVo (*) pour l'internet. Toutes les technologies de base sont disponibles, mais n'ont pas encore été packagées pour les rendre intuitives. Mais cela va arriver très prochainement et je pense que les gens vont être très, très surpris de la qualité, de la diversité et de la popularité de ce qui va émerger". Et d'ajouter : "Que ce soit du fait de notre logiciel ou d'autres, je crois que la télévision est sur le point d'être confronté à la plus sérieuse concurrence qui ait jamais été imaginée". ((*) TiVo est l'un des leaders sur le marché des enregistreurs de salon, NDLRNDLR)
Cette concurrence est en fait double : non seulement le dispositif Blog Torrent est à même de générer de nouveaux programmes, émanant des individus eux-mêmes, mais il permet aussi de faciliter la diffusion illégale des programmes des chaînes télévisées traditionnelles, sans pour autant augmenter leur audimat.
En outre, Blog Torrent n'est pas le seul dispositif qui s'efforce de concurrencer - ou court-circuiter - les schémas traditionnels.
Par exemple, Torrentocracy est un projet qui "combine RSS, Bit Torrent, votre téléviseur et votre télécommande". Là aussi, l'outil vise à libérer l'utilisateur des contraintes de la télévision traditionnelle. "En utilisant Torrentocracy sur un ordinateur connecté à votre télévision, non seulement vous devenez un spectateur de tout contenu disponible sur l'internet, mais vous devenez également une partie d'un vaste réseau de distribution populaire", explique le site du projet, qui souligne aussi "qu'il ne s'agit pas de mettre en place un mode de distribution illégal", mais de "rendre possible une façon entièrement nouvelle de recevoir des vidéos sur un téléviseur". Le serveur du site héberge pour le moment plusieurs torrents, permettant notamment de télécharger l'intégralité des débats télévisés de la campagne présidentielle américaine. Le projet inclut également une suite logicielle destinée à s'intégrer dans un autre projet libre, MythTV.
MythTV se présente comme "un ensemble de logiciels permettant de fabriquer soi-même un décodeur TV numérique (set-top box) en n'utilisant que des briques Open SourceOpen Source". Isaac Richards, l'initiateur du projet, explique : "J'étais fatigué de la faible qualité du décodeur fourni par AT&T pour accéder à leur service de TV câblée. C'est lent pour changer de chaînes, bourré de pub, et le guide des programmes est une plaisanterie. Je me suis dit que ce serait marrant d'essayer de fabriquer quelque chose pour remplacer ça". "J'aurais pu juste acheter une TiVo, mais je voulais davantage qu'un enregistreur de salon. Je veux y mettre un navigateurnavigateur web, un client email, voire des jeux. En fait, je veux un boîtier qui réalise la convergence mythique dont on parle depuis plusieurs années", ajoute-t-il. Démarré en 2002, le projet est encore en version betaversion beta. Mais la liste des fonctionnalités déjà développées sont de nature à faire pâlir d'envie un dispositif de VODVOD professionnel. L'utilisateur peut choisir dans une grille les programmes à visualiser ou à enregistrer, effectuer des pauses, avances-rapides ou retours-arrière sur le flux de télévision "live", supprimer la publicité au passage, programmer des enregistrements à distance via une interface web, transcoder des DVDDVD, mais aussi gérer sa bibliothèque de fichiers musicaux ou encore consulter des fils RSS, le tout sur l'écran de son téléviseur, en n'utilisant que des logiciels libreslogiciels libres et gratuits, à commencer par LinuxLinux.
"Il ne s'agit pas de voler les grands médias", explique Gary Lerhaupt, initiateur de Torrentocracy, "Il s'agit de créer un nouveau service d'accès de bas en haut, pour le plus grand intérêt des consommateurs. Imaginez combien l'internet serait inintéressant si tout le contenu qui s'y trouve était contrôlé par quelques grandes entreprises. Et pensez que cela a toujours été le cas pour la télévision".
Ce discours n'est pas totalement nouveau. En 1999, Drazen Pantic écrivait que "Everybody will be TV" - la télévision, ce sera chacun d'entre nous. Pantic est à l'origine de plusieurs initiatives destinées à utiliser les nouvelles technologies à des fins politiques (et également du premier FAI en Serbie, dont il est originaire). Il a ainsi cofondé la "StreamingStreaming Alliance", une association fédérant des serveurs vidéo "libres", destinés à échanger et à répliquer des flux de contenus. Parmi ses multiples activités, il est aujourd'hui à l'origine de DV Guide, un répertoire de reportages vidéo diffusés via BitTorrent, dans une interface au format blog.
Dans un long article qui s'apparente à un manifeste, il explique combien "la combinaison de BitTorrent, des blogs et de RSS est puissante" : "Les blogs sont un exemple du fait que les gens sont en train d'évoluer : de spectateurs passifs, ils deviennent des producteurs actifs. Maintenant que la vidéo fait son apparition sur les blogs, il semble bien qu'une alternative viable aux réseaux télévisés centralisés soit sur le point d'émerger".
Autre démarche alternative, le service allemand Cybersky TV sera ouvert en février prochain. Son mot d'ordre est simple : "constituer un nouveau moyen de diffusion de la télévision, comme le câble ou le satellite, mais sur l'internet". Les responsables du projet ne souhaitent pas en détailler le fonctionnement technique, dont on sait seulement qu'il repose sur des technologies P2P, "utilisant la puissance des ordinateurs des membres du réseau pour diffuser les contenus". En revanche, les objectifs visés sont, eux, très clairs : permettre à tous de recevoir le plus grand nombre possible de chaînes, en temps réel, où que l'on se trouve à la surface de la planète, et finalement "constituer un nouveau média de masse, qui soit fiable et gratuit". Les initiateurs du projet n'excluent pas de diffuser des contenus provenant de télévisions payantes ("avec l'accord des diffuseurs"), mais aussi de faciliter la diffusion de chaînes personnelles, produites par les utilisateurs. Un article récent sur le sujet dans le quotidien "The Independent" laisse toutefois présager que les chaînes TV traditionnelles ne voient pas d'un très bon oeil l'arrivée de ce qui pourrait ressembler à un "Napster de la télévision". Bien que non encore ouvert, le service Cybersky sera probablement - et rapidement - confronté aux foudresfoudres juridiques des grands médias.
Toujours est-il qu'en constatant l'ampleur potentielle de ces différentes initiatives, on peut être frappé une fois de plus par un fort décalage.
D'un côté l'engouement bien réel pour le P2P, avec des millions d'adeptes, et des outils innovants (BitTorrent, blogs et RSS, au premier chef) qui sont des réalités de l'internet d'aujourd'hui et que beaucoup d'utilisateurs se sont appropriés pour jeter les bases d'un nouveau mode de diffusion, voire d'un nouveau média. Ce média présente trois caractéristiques : il permet de rediffuser sur l'internet des émissions existantes, il facilite l'enregistrement et le partage de ces émissions, et il favorise la création de contenus inédits, qu'il s'agisse de chaînes locales ou de vidéos personnelles.
De l'autre côté, la réponse légale en matièrematière de VOD ou de diffusion des films sur l'internet paraît lente, timide et parfois inappropriée. L'industrie concernée semble constater que la demande existe : "Le développement d'offres légales de films sur l'internet apparaît clairement comme une alternative à la piraterie, à la condition qu'elles soient attractives pour les internautes. Plus de 70% des téléchargeurs sont favorables à la possibilité d'achats sur l'internet de films de bonne qualité pour 2 à 4 euros par film. 30% d'entre eux se déclarent même prêts à le faire sans hésitation", rappelait Benoît Danard (CNC) en septembre. Mais le débat initié en matière de chronologie des médias, sur laquelle repose l'intégralité du système qui régit l'industrie audiovisuelle, fait là aussi ressortir le décalage, entre les contraintes temporelles héritées du passé et l'instantanéité plébiscitée, semble-t-il, par les internautes.
On ne peut qu'observer aujourd'hui que, à l'instar de la musique, toutes les briques nécessaires à la mise en place d'un nouveau modèle de distribution de la télévision sur l'internet existent bien. Les utilisateurs semblent prêts, les technologies sont là, et les usages sont déjà une réalité. Qu'attend-on ?
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