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Est-il possible de modifier la théorie de la gravitation d'EinsteinEinstein ? Philippe BraxPhilippe Brax, chercheur théoricien (interview complète pages 3 à 9 de ce dossier), nous explique qu'il est possible de mettre des bornes sur les déviations autorisées aux prédictions de la relativité générale par les théories tenseur-scalaire.
Ne pourrait-on pas chercher à simplement modifier la théorie de la gravitation ? On sait que plusieurs alternatives à la théorie d’Einstein ont été proposées.
Einstein a essayé de généraliser sa théorie de la gravitation. Il espérait découvrir une théorie unitaire des forces et de la matière par ce moyen. Cet idéal occupe toujours les physiciens théoriciens. © InformiguelCarreño, Wikimedia Commons, CC by-sa 4.0
Philippe Brax : En effet, et cela a d'ailleurs commencé quelques années seulement après la publication par Einstein de la forme finale de sa théorie de la relativité générale, en 1916. Il y a eu les tentatives des grands mathématiciensmathématiciens Alfred North WhiteheadAlfred North Whitehead et Herman Weyl ainsi que du grand astrophysicienastrophysicien Arthur Stanley Eddington et d'Albert Einstein lui-même dès les années 1920. Quoique dans le cas des trois derniers auteurs, il s'agissait en fait de tentatives pour unifier la force de gravitationforce de gravitation et la force électromagnétique dans un même cadre lié à la géométrie de l'espace-temps.
Plus tard, notamment pendant les années 1960, on a découvert que plusieurs des tentatives pour modifier la théorie d'Einstein étaient souvent des cas particuliers d'une grande classe de théories que l'on a baptisées « théories tenseur-scalaire ». Elles émergentémergent aussi, souvent, des extensions de la relativité générale proposées pour unifier les forces, comme les fameuses théories de Kaluza-Klein et la théorie des supercordes.
Les alternatives à la théorie de la gravitation d'Einstein sont ce qu'on appelle des théories métriques, c'est-à-dire que l'on garde un espace-temps courbe décrit par ce qu'on appelle un champ de tenseur de rang deux, que l'on peut voir comme une sorte de tableau de nombres définis en chaque point de l'espace-temps. Ce tableau, que l'on appelle le tenseur métrique de l'espace-temps, permet de calculer des intervalles de temps et d'espaces entre deux événements. Par contre, on ne conserve pas les équations d'Einstein, ou alors on ajoute des dimensions spatiales supplémentaires.
C'est ce cas que l'on considère avec les théories de Kaluza-Klein. Si l'on écrit par exemple les équations d'Einstein en 5 dimensions, elles redonnent magiquement un ensemble d'équations en 4 dimensions, dont certaines sont les équations d'Einstein habituelles mais les autres sont les équations de Maxwelléquations de Maxwell de l'électromagnétismeélectromagnétisme et surtout celles d'un champ scalaire.
Ce champ scalaire est particulièrement remarquable en ce qu'il autorise la valeur de la constante de la gravitationconstante de la gravitation de NewtonNewton à ne pas être partout la même dans l'espace et même à varier dans le temps. On est donc typiquement en présence d'une théorie tenseur-scalaire de la gravitation.
Un exemple similaire, mais qui est construit sans faire référence à des dimensions supplémentaires, est la théorie de Brans-Dicke, proposée au début des années 1960 par Robert Dicke. Là aussi la constante de Newton peut varier dans l'espace.
Le physicien Robert Dicke. © www.princeton.edu
Toujours dans le cadre des théories métriques, il y a la grande classe des théories f(R).
R est une quantité mathématique scalaire que l'on construit à partir d'un tenseur de courbure d'un espace-temps. D'autres grandeurs scalaires peuvent être obtenues à partir de ce tenseur mais celle-ci est la plus simple. Il se trouve que l'on peut dériver les équations d'Einstein à partie de R.
Certains ont proposé d'employer plutôt une fonction f(R), comme un polynômepolynôme aR2+bR+c, ou même une fraction comme (aR2+b)/R. Lorsque la courbure de l'espace-temps est faible, ou au contraire grande, des termes correctifs aux équations d'Einstein apparaissent. De façon étonnante, on peut montrer que les théories f(R) sont équivalentes aux équations d'Einstein couplées à un champ scalaire avec un tenseur métrique particulier. On est donc ramené aux théories tenseur-scalaire précédentes.
Comme on l'a mentionné précédemment, la supergravitésupergravité et la théorie des cordesthéorie des cordes font, elles aussi, apparaître des champs scalaires. On voit donc qu'il y a, à priori, plusieurs possibilités pour qu'apparaissent une constante cosmologiqueconstante cosmologique qui ne l'est pas vraiment, et qui est en fait un champ scalaire.
Que la constante cosmologique puisse varier intéresse aussi les théoriciens pour donner une explication à un fait curieux. La densité de matière noirematière noire et celle d'énergie noireénergie noire sont du même ordre de grandeurordre de grandeur, et, a priori, il n'y a pas de raison pour qu'elles le soient, pendant des milliards d'années dans un universunivers en expansion où la densité de matière noire diminue avec le temps.
C'est le problème de la coïncidence. Un mécanisme avec constante cosmologique variable, qui s'ajusterait automatiquement pour maintenir des valeurs comparables, serait préférable.
Cela ouvre aussi la possibilité de se passer de la connaissance de la valeur initiale de la constante cosmologique, au début de l'histoire du cosmoscosmos, si cette dernière doit automatiquement évoluer vers une seule et même valeur quelques millions ou milliards d'années plus tard.
Peut-on tester expérimentalement les théories tenseur-scalaire ?
On a cherché à le faire très vite vers la fin des années 1960 et au début des années soixante-dix, au moment de la renaissance de la théorie de la relativité générale, à l'aide de tests dans le Système solaireSystème solaire et plus tard avec les pulsarspulsars binairesbinaires. Le test le plus précis à ce jour a été effectué avec la sonde Cassini, en utilisant ses communications radio avec la Terre.
On peut mettre des bornes sur les déviations autorisées aux prédictions de la relativité générale par les théories tenseur-scalaire. En fait, tout se passe comme s'il y avait une cinquième force véhiculée par des particules massives, similaires aux bosonsbosons de Yukawa. Plus la particule est légère, plus sa portée est grande. Si un champ scalaire de ce type existait dans le Système solaire, sa portée devrait être faible et il devrait donc être massif.
C'est là que les choses se compliquent si l'on veut tenter d'interpréter la constante cosmologique et sa faible valeur comme l'effet d'une théorie tenseur-scalaire. Les observations impliquent qu'il faut alors que la cinquième force soit à très grande portée et la particule la véhiculant très légère... en contradiction avec les tests du Système solaire.
Un autre problème se pose. Un champ scalaire, du fait de la mécanique quantiquemécanique quantique, a tendance à se modifier pour s'ajuster à la plus haute énergie possible de la théorie avec laquelle il est couplé. Il s'agit ici de la théorie de la gravitation et donc, la massemasse de la particule scalaire devrait être proche de la masse de PlanckPlanck, c'est-à-dire très, très lourde ! On peut essayer de résoudre ce problème mais c'est au prix de réglages fins, pas très naturels ni très convaincants.