au sommaire
Une illustration d'artiste du disque de transition troué autour de l'étoile du système Oph-IRS 48. On voit en haut à gauche la zone où se situe un piège à poussières, un anticyclone prédit en 1995 par deux chercheurs français qui voulaient comprendre comment des corps rocheux d’une taille supérieure au mètre pouvaient se former dans un disque protoplanétaire. Il s'agissait d'une énigme cosmogonique à l'époque. Aujourd'hui les observations d'Alma semblent bel et bien confirmer la théorie de l’astronome Pierre Barge et son collègue le physicien Joël Sommeria. © Philip J. Armitage, Science
Oph-IRS 48 est un système planétaire en formation situé à environ 390 années-lumière de la Terre dans la constellation d’Ophiuchus. « Oph » se réfère à la constellation Ophiuchus dite du Porteur de serpents, et IRS signifie source infrarouge. On savait son étoile entourée par un disque contenant du gaz et des poussières. Des observations, effectuées au moyen du VLT (Very Large TelescopeVery Large Telescope) de l'ESOESO, avaient montré un disque percé d'un trou central sans doute créé par une planète invisible dont la massemasse est estimée à dix fois celle de Jupiter, à moins qu'il ne s'agisse d'une autre étoile.
Une plongée à travers la Voie lactée en direction du système Oph-IRS 48. Alma vient d'y révéler l'existence d'une sorte de piège à poussières tourbillonnant permettant la formation de comètes et de planètes. © Nick Risinger, Alma (ESO-NAOJ-NRAO), YouTube
La mise en service de l'Atacama Large Millimeter/submillimeter Array (Alma) a permis de faire une découverte surprenante qui a donné lieu à la publication d'un article dans la revue Science. Nienke van der Marel, doctorante à l'observatoire de Leyde aux Pays-Bas et l'une des auteures principales de l'article, se rappelle son étonnement et celui de ses collègues lorsque l'instrument a fourni de nouvelles images de Oph-IRS 48 : « Dans un premier temps, la forme de la distribution de poussière révélée par le cliché nous a profondément surpris. En lieu et place de l'anneau que nous nous attendions à voir, nous avons découvert une [forme de] noix de cajounoix de cajou ! Nous avons dû nous convaincre que cette caractéristique était bel et bien réelle, mais le signal fort et la netteté des images d'Alma ne laissaient aucune place au doute concernant cette structure. Puis nous avons compris ce que nous avions découvert ».
Des tourbillons anticycloniques géniteurs de planètes
Selon les astronomesastronomes, il ne s'agissait pas moins que de la preuve observationnelle qui faisait jusqu'ici défaut à un modèle avancé en 1995 par Pierre Barge du Laboratoire d'AstrophysiqueAstrophysique de Marseille (Lam) et Joël Sommeria du Laboratoire des écoulements géophysiques et industriels de Grenoble (Legi). Ce modèle avance que des tourbillons gazeux géants sont responsables de la capture et du confinement des poussières contenues dans le disque de gaz qui entoure l'étoile, ceci avec une telle efficacité que la formation de comètes et même de planètes deviendrait possible. Il suppose l'existence de tourbillonstourbillons anticycloniques, les seuls capables de survivre sans être déchirés par la rotation du disque.
Voici l'image (couleurs non réelles) du disque de transition que montre Alma autour de Oph-IRS 48. Dans la zone orange se trouvent des grains de poussières de petites tailles, de l'ordre du micron. En vert, on observe des grains de la taille du millimètre. On est donc en présence d'un piège à poussières permettant à celles-ci de croître en taille comme dans la théorie proposée en 1995 par Pierre Barge et Joël Sommeria. L'échelle est donnée par la taille de l'orbite de Neptune en haut à gauche, et par la barre en bas à droite indiquant 60 fois la distance Terre-Soleil, donc 60 unités astronomiques (UA, AU en anglais). © Nienke van der Marel, Alma (ESO-NAOJ-NRAO)
C'est un de ces tourbillons, véritables pièges à poussières, que révéleraient les images d'Alma. Toutefois, comme l'explique Nienke van der Marel : « Il est probable que nous ayons sous les yeuxyeux une sorte de fabrique de comètescomètes puisque les conditions sont réunies pour que la taille des particules croisse du millimètre à celle des comètes. La poussière n'est pas susceptible de former de véritables planètes à cette distance de l'étoile. Mais dans un futur proche, Alma sera capable d'observer des pièges à poussières situés à plus grande proximité de leurs étoiles hôtes, là où se produisent de semblables processus. De tels pièges à poussières pourraient véritablement constituer les berceaux de nouvelles planètes ».
L’interview de Pierre Barge (1/2)
Devant l'importance de cette découverte qui marque sans aucun doute le début d'une meilleure compréhension de la formation des planètes, Futura-Sciences a demandé à Pierre BargePierre Barge de nous parler plus en détails du modèle qu'il avait proposé avec Joël Sommeria et des problèmes qu'il est censé résoudre en cosmogonie.
Pierre Barge est astronome au sein du Laboratoire d'astrophysique de Marseille (Lam). En 1995, avec Joël Sommeria, il a proposé un scénario de formation planétaire utilisant une analogie avec la tache rouge découverte par Cassini à la surface de Jupiter. En 1994, il s’est aussi lancé dans la préparation de la mission spatiale Corot dont l'objectif était la découverte de systèmes exoplanétaires. © Cnes
Futura-Sciences : Pourriez-vous nous expliquer les différents stades des modèles de formation du Système solaire ?
Pierre Barge : Dans les modèles de formation du Système solaire, on a essentiellement deux stades. Le premier est dominé par l'écoulement du gaz autour de l'étoile dans un disque dit protoplanétaire. Ce gaz est parsemé de poussières qui s'agglutinent pour former des planétésimaux, c'est-à-dire des petits corps célestes dont la taille dépasse le kilomètre. La duréedurée de cette phase est mal connue (sans doute 10.000 ans). Elle est suivie par un second stade dominé par les interactions gravitationnelles et qui conduit, en moins de 100.000 ans à la formation d'embryonsembryons de planètes ayant la taille de la LuneLune. Il reste à ces embryons à capturer le gaz environnant, les plus gros d'entre eux conduisant aux planètes gazeuses comme JupiterJupiter ou SaturneSaturne. Tout ceci doit être terminé avant la dissipation totale du gaz au bout de quelques millions d'années.
Les énigmes que les observations d’Alma sont en mesure d’aider à résoudre résident-elles au niveau de la phase gravitationnelle ?
Pierre Barge : Non, car cette phase gravitationnelle est relativement bien comprise. Depuis les travaux de Viktor Safronov et George Wetherill qui ont été des pionniers dans ce domaine, il y a eu de nombreuses études numériquesnumériques sur cette étape. Elles ont validé certains mécanismes de formation des planètes à partir de collisions entre planétésimaux, et permis de mieux comprendre les interactions entre ces planètes et les réajustements qui se sont opérés ensuite dans le Système solaireSystème solaire (le Grand bombardement tardif par exemple).
Viktor Sergueïevitch Safronov (1917-1999) est un célèbre astrophysicien de l'ex-URSS qui a été l'un des principaux pionniers de la théorie de la formation des planètes à partir d'un disque de gaz et de poussière présent autour du Soleil. Sa théorie de la formation du système solaire était basée sur l'accrétion ordonnée de planétésimaux en planètes. © slovari.yandex.ru
C'est la phase disque de gaz et de poussières qui pose le plus de problèmes et qui est la plus mal comprise. Les modèles sont incomplets et pauvrement contraints. Alma devrait nous aider à y voir plus clair, comme le montrent les observations récentes.
Une vue de dessus et en coupe du disque de transition du système Oph-IRS 48. Alma observe à grande distance de l'étoile un anneau contenant du monoxyde de carbone (couleur bleu-violet) dans lequel, en bas du schéma, se trouve une zone avec des grains de poussières (dust) de grandes tailles. Il s'agit très probablement d'un anticyclone piégeant les poussières (dust trap) et permettant la formation de comètes et de planètes géantes puisqu'il se trouve à plusieurs dizaines d'unités astronomiques (UA) de l'étoile. Un trou dans le disque de transition signale probablement la présence d'une jeune planète. Plus près de l'étoile il existe peut-être des planètes rocheuses. © Nienke van der Marel, ESO
Quel type de disque Alma a-t-il permis d'observer autour de l’étoile Oph-IRS 48 ?
Pierre Barge : Alma nous montre, dans le cas de Oph-IRS 48, un exemple de ce qu'on appelle un disque de transition, c'est-à-dire un état intermédiaire entre un disque protoplanétairedisque protoplanétaire et un disque de débris à la fin de la phase gravitationnelle. Les observations des disques de transition, et pas seulement celles effectuées avec Alma, nous signalent un trou dans la répartition des poussières autour de l'étoile qui se situe dans les régions centrales. Il est, pour l'instant, difficile de dire quel est le mécanisme responsable du creusement de ce trou. On pense qu'il pourrait être creusé par une ou plusieurs planètes géantes en train de se former dans les régions internes.
La deuxième partie de l'interview de Pierre Barge (2/2) sera publiée prochainement sur Futura-Sciences.