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Spoutnik 1 durant son assemblage par un technicien. Archives russes.
De juillet 1957 à décembre 1958, la planète vivait sous le signe de l'Année géophysique internationale. Celle-ci avait été décidée afin de profiter de la période d'activité solaire maximale, qui ne se produit que tous les 11 ans, et d'organiser une véritable collaboration internationale de programmes de recherches au niveau mondial.
Déjà en juillet 1955, Etats-Unis et Union Soviétique avaient annoncé leur intention de lancer un satellite artificiel à cette occasion. Deux programmes prévalaient à ce moment aux Etats-Unis, Explorer (lancé par une fuséefusée JupiterJupiter de Wernher von BraunWernher von Braun) et Vanguard, de la Marine. Le premier fut écarté pour des raisons politiques (un essai de la fusée complètement équipée le 31 mai 1957 aurait pu aboutir à une satellisation si le carburant du réservoir du dernier étage n'avait pas été remplacé par du sablesable, sur ordre du Pentagone...). Vanguard fut ainsi sélectionné pour devenir le premier satellite artificiel de la Terre.
Mais à l'Est…
Les ingénieurs du Bloc de l'Est travaillaient au programme "satellite artificiel" depuis janvier 1956, et ne s'en cachaient pas. A plusieurs reprises, la presse officielle soviétique avait fait part de ces travaux, sans toutefois éveiller la moindre attention de la part des observateurs internationaux. Car en dehors de l'URSS, tout le monde était persuadé que les Américains seraient les premiers à placer un satellite en orbite.
Mais les tergiversations américaines et l'indécision sur l'auteur de ce premier tir entraînèrent un silence radio dans les communiqués, et la presse n'eut pas grand-chose à se mettre sous la dent... ce qui fut interprété par les Russes comme une intention de ne rien révéler avant que le premier satellite américain ne soit placé en orbite. Désormais, la tournure des événements prit un sens différent du côté de la science soviétique : tout d'abord plus rien ne serait communiqué sur les travaux en cours, et ensuite tous les efforts ne tendraient plus que vers un seul but : battre les Américains au poteau.
Une autre conséquence fut une modification profonde du programme spatial soviétique. Alors que l'intention des Russes avait d'abord été de lancer un satellite bourré d'instruments scientifiques dans le cadre de l'Année géophysique internationale, ce projet fut momentanément ajourné car de nombreux retard dus à des difficultés de mise au point auraient gravement compromis les chances d'arriver les premiers (ce gros satellite scientifique ne sera lancé sous le nom de Spoutnik 3 que le 15 mai 1958). Il fut ainsi décidé de ne satelliser qu'une charge toute symbolique, renfermant un petit émetteur alimenté par une batterie, mais qui suffirait à jalonner les débuts de l'ère spatiale.
Le passage à l'acte
Le 21 août 1957, un missile balistique intercontinental R-7 de 280 tonnes décollait depuis la base de Tyuratam (alias BaïkonourBaïkonour) et enregistrait un premier succès. Un second essai eut lieu cinq jours plus tard, et fut rapporté par l'agence Tass qui cita le premier vol d'un "missile multiétages intercontinental à super longue distance". Désormais, le levier qui allait faire basculer le monde était en place. Mais le monde l'ignorait encore...
Premier lancement réussi de la fusée R-7 dans sa version balistique intercontinentale le 21 août 1957. Cette vidéo est souvent présentée erronément comme le lancement du premier satellite artificiel. Archives russes.
Alors que techniciens et ingénieurs s'affairaient 24 heures sur 24 à Tyuratam, les maîtres du Kremlin avec à leur tête Nikita Khrouchtchev, premier secrétaire du Parti communiste, étaient tenus au courant du moindre événement se produisant dans la base. Cependant l'optimisme n'était pas de mise et personne ne s'attend à un succès dès la première tentative, tant la complexité du système était grande.
Lorsque la terre se mit à trembler le 4 octobre 1957 à 22h58 à Tyuratam, puis qu'une longue flamme orange s'éleva lentement dans le ciel, tout le monde s'attendait plutôt à un nouvel échec, comme cela s'était produit à trois reprises lors des cinq premiers essais. Pourtant, le vol se poursuivit avec une facilité déconcertante et bientôt, seule la lueur des cinq moteurs de la base de la fusée transparut encore à travers quelques nuagesnuages épars...
Images authentiques du lancement de Spoutnik 1 le 4 octobre 1957. Archives russes.
L'annonce
Au Kremlin, Nikita Khrouchtchev venait de rentrer de Kiev, en Ukraine, où il avait assisté à une démonstration de chars traversant le fleuve DnieprDniepr, prétexte pour discuter avec des généraux soviétiques du devenir du ministre de la Défense Georgi Zhukov, soupçonné de complot envers le pouvoir...
En fin de soirée, il s'attarda inhabituellement à la table du salon où il venait de dîner en compagnie de dirigeants ukrainiens et de son propre fils. Tout le monde était fatigué, mais personne n'osait partir avant lui. Vers minuit, un secrétaire entra et demanda respectueusement à Khrouchtchev de prendre un appel téléphonique dans son bureau. Lorsqu'il revint, il jubilait. Spoutnik 1Spoutnik 1 était sur orbite, la déferlante était amorcée.
Aux Etats-Unis, le choc fut terrible. Voir l'URSS lancer le premier satellite artificiel de la Terre était aussi improbable pour l'Américain moyen que de voir cet exploit réussi par un peuple de Papouasie Nouvelle-Guinée. L'accueil au nouveau "bébé-lune" fut mitigé. Certains voyaient l'événement comme un progrès scientifique considérable, d'autres comme une menace, y voyant la possibilité pour l'ennemi héréditaire d'envoyer une charge nucléaire en n'importe quel endroit du monde. Certains adressèrent des pétitions au Pentagone pour que l'armée envoie des avions abattre cet engin qui survolait impunément le territoire américain.
Vue interne du modèle de vol de Spoutnik 1, montrant notamment les tubes à vide de l'émetteur radio. Archives russes.
Les plus heureux furent probablement les radio-amateurs. Dès sa mise en orbite, Spoutnik 1 lança son fameux bip-bip sur deux fréquences, 20,005 et 40,002 MHz, qui n'étaient pas bien difficile à capter, et qui se hissa probablement en tête de l'audimat de l'époque...
Pendant ce temps, dans le monde entier les regards scrutaient le ciel pour voir passer cet objet qui étincelait au Soleil... sans se douter que ce qu'ils apercevaient n'était pas le minuscule Spoutnik de 58 centimètres, totalement invisible, mais le dernier étage de la Semiorka (nouveau nom de la R-7) de 28 mètres de long qui virevoltait dans son sillage.
Détail de l'intérieur de Spoutnik 1. Archives russes.
Spoutnik 1 était constitué d'une sphère d'aluminiumaluminium AMG6T de 2 mm d'épaisseur pour 58 cm de diamètre, soigneusement polie. Ses quatre antennes disposées selon un angle de 35° transmettaient un signal pulsé de 0,4 seconde sous 1 wattwatt de puissance, produit par un émetteur à tubes alimenté par une batterie zinczinc-argentargent. La thermo-régulation de l'ensemble était assurée par une atmosphèreatmosphère d'azoteazote sous pressionpression, brassée par un ventilateur.
En URSS, l'indifférence…
Mais curieusement, l'enthousiasme n'atteignit pas le peuple soviétique. L'événement fut bien mentionné en première page de la Pravda, mais en seconde position sous l'annonce de la visite officielle du Ministre de la défense Zhukov en Yougoslavie, et sans le moindre commentaire.
La raison de cette indifférence est simple. Les Russes avaient construit la première centrale nucléairecentrale nucléaire, l'avion de ligne Tu-104 était le plus performant au monde dans sa catégorie et les Mig établissaient record sur record depuis une décennie. Aussi, le lancement du premier satellite par l'URSS était tellement évident qu'il n'étonnait aucun Russe.
Les communiqués de l'époque ne mentionnaient pas plus le nom de l'ingénieur en chef de tous les programmes spatiaux russes et concepteur de la Semiorka, Sergueï Korolev. Le KGB savait pourtant qu'il n'y avait aucune raison pour taire ce nom, mais le chef des services secrets de l'époque, Ivan Serov, estimait que puisque les ressources de l'ennemi en matièrematière d'espionnage étaient limitées, autant le laisser les gaspiller dans de vaines tentatives de percer un secret qui n'en était pas un.
MasseMasse inerte sans aucune possibilité de manœuvre, Spoutnik 1 est retombé dans l'atmosphère le 4 janvier 1958. Il ne laissait derrière lui que... Spoutnik 2, lancé le 3 novembre précédent. Mais cela, c'est une autre histoire.