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Interview Développement Durable
E&DDM : Dans un texte publié en 1995, vous exprimiez vos craintes concernant un possible antagonisme entre la notion de développement durabledéveloppement durable et le développement économique et vous proposiez le terme de développement adaptatif régulé. Aujourd'hui, alors qu'on parle beaucoup de développement durable et que des entreprises s'impliquent, quel est votre avis sur cette notion ?
Joël de Rosnay :
Si on demande à des responsables de développement durable dans les entreprises de définir exactement leurs fonctions et leurs rôles, on obtient des versions différentes. Le développement durable et l' application des politiques d'entreprise ou des stratégies d'entreprise au développement durable restent encore assez flous. On a du mal à vraiment définir de quoi il s'agit. Les économies d'énergie certes, la protection de l'environnement évidemment, la formation des personnes pour lutter contre les désordres occasionnés par les développements économiques non régulés, également. En anglais, « Sustainable development », dont développement durable est une traduction imparfaite, signifie la capacité d'un système à s 'auto-maintenir en fonction d'un flux d'énergie et d'information qui le traverse et qui permet la conservation de la structure et de l'organisation. En français, la signification de développement durable n'est pas claire : s' agit-il d'un développement qui doit durer longtemps ou qu'on est capable de faire durer ? Développement adaptatif régulé, même si le terme est un peu technique, présente trois avantages. Le premier, c'est qu'on tient compte du développement comme de celui d'un organisme vivant, qui se développe harmonieusement dans plusieurs dimensions à la fois. Adaptatif, cela signifie que ce développement va s'adapter à son environnement pour ne pas être en contradiction avec l'écosystèmeécosystème dans lequel se trouve le système qui se développe. Enfin, régulé, c'est le rôle des écocitoyens, chacun étant responsable de ce développement harmonieux.
E&DDM : Le marché et les actions volontaires qui sont souvent prônés sont-ils suffisants pour assurer un tel développement ?
Joël de Rosnay :
Je pense que ce n'est pas suffisant dans la mesure où les lois du marché en elles-mêmes ne vont pas permettre de réguler ces grands développements que nous connaissons, économiques, techniques, industriels, scientifiques. Nous avons besoin du rôle de chacun des acteurs à son niveau, grande entreprise, PME ou organisme public. C'est pourquoi, à la Cité des sciences, nous attachons une grande importance à l'information des écocitoyens par rapport aux égocitoyens. Ceux-ci sont égoïstes, individualistes, utilisent leur voiture pour aller faire leurs courses à quelques centaines de mètres. Ceux-là ont une vision solidaire de l' évolution, de leur capacité à gérer et à contrôler leur environnement. L'égocitoyen, c'est chacun pour soi, l'écocitoyen, c'est chacun pour tous. Il reste donc à réaliser un changement de mentalité, auquel la Cité des sciences contribue, notamment par ses exposition sur le grand thème actuel « gérer la planète ». J'ajouterai qu'il ne suffit pas d'un seul moyen, comme la réglementation ou la fiscalité, mais qu'il faut une combinaison de moyens, d'incitations fiscales, d'information, de régulation par un retour d 'information sur ses actions, pour en apprécier tout de suite les résultats.
Ceci est difficile à mettre en ouvre car on est plus enclin à créer une loi et à tenter de la faire appliquer qu'à créer une combinaison de moyens moins spectaculaire mais dont les résultats sont plus efficaces.
E&DDM : Pensez-vous qu'il y a un espoir pour que les pays où les besoins de transports se développent très rapidement, comme la Chine ou l'Inde, ne suivent pas les mêmes voies que celles que nous avons suivies en terme de solutions de transport énergivores et polluantes ? N'y a-t-il pas là une possibilité pour développer des produits très peu polluants et très efficaces puisqu'il y a des marchés ?
Joël de Rosnay :
Je crois qu'il n'y a pas beaucoup d'espoir de conduire l'Inde ou la Chine à consommer moins pour réduire leurs émissions de CO2. Ce sont des pays qui vont se développer avec de forts taux de croissance et dont les populations constituent une telle masse critique par rapport à l'ensemble de l'humanité qu'il sera difficile dans les décennies à venir, pour des raisons culturelles, politiques, géostratégiques, de ralentir ce développement.
En revanche, il y a effectivement des marchés importants, à condition qu'ils soient solvables, pour proposer des solutions alternatives qui réduiraient les émissions de CO2 et qui permettraient de réguler ces croissances et ces développements.
E&DDM : On trouve maintenant des constructeurs de batteries ou de piles à combustible qui vont s'installer en Chine en espérant bénéficier, d' une part de coûts de fabrication moindres, d'autre part du marché local à partir duquel il serait possible d'exporter des produits bon marché vers les États-Unis ou l'Europe.
Joël de Rosnay :
On a vu que certains pays comme l'Islande ou certains États comme Hawaï se sont proposés comme pays ou État pilote pour la production et l'utilisation d'hydrogènehydrogène à des fins de transport ou à des fins domestiques ou industrielles. Si on imagine que la Chine décide, grâce à une politique volontariste, de faire de l'hydrogène une de ses priorités stratégiques, le monde basculerait dans une nouvelle forme d'économie et, effectivement, les fabricants de piles à combustible et les utilisateurs pourraient trouver en Chine un marché en expansion continue. Mais ce n'est pas encore le cas et il n'y a aucun signe avant-coureur que cela puisse se produire. D'autant qu'il faut produire l'hydrogène, soit en utilisant de l'énergie solaire avec de grandes surfaces et des panneaux solaires à haut rendement, soit à partir de l'énergie nucléaire. Il reste une troisième voie encore embryonnaire qui est celle de la biomassebiomasse qui permet, par des techniques sous pressionpression avec des catalyseurscatalyseurs, de libérer de l'hydrogène contenu dans les composés carbonés d'origine végétale.
E&DDM : En Europe, on a surtout développé le diesel, aux États-Unis, on compte sur un changement technologique vers l'hydrogène, radical mais encore lointain comme vous venez de l'expliquer, et c'est actuellement du Japon que vient une solution à laquelle on ne croyait pas beaucoup et que vous expérimentez vous-même, qui est le véhicule hybridehybride. On pourrait aussi parler des biocarburantsbiocarburants. Comment voyez-vous une transition possible vers des formes de transport plus propres ?
Joël de Rosnay :
Si on parle de diesel, il faut parler du diesterdiester, pour lequel Peugeot par exemple lance des véhicules de compétition, avec des moteurstrès performants qui, s'ils sont bien réglés, sont peu polluants avec moins d'émission de dioxyde de carbonedioxyde de carbone. Encore faut-il une volonté politique et des mesures fiscales pour permettre aux voitures et pas seulement aux autobus de rouler au diester.
En ce qui concerne les voitures hybridesvoitures hybrides, il y a là une voie d'avenir qui reste à mon avis une transition entre les automobilesautomobiles actuelles à essence ou diesel et les voitures à pile à combustible dans quelques dizaines d'années. Les ingénieurs de R&D de Toyota, qui propose actuellement la voiture hybride la plus évoluée sur le marché, la Prius 2, m'ont expliqué que la voiture à pile à combustible hydrogène est prévue mais que, pour des raisons de distribution et de sécurité, ils ne voient pas ces automobiles commercialisées avant probablement quinze à vingt ans. Au début de cette période de transition, la voiture hybride aura un marché de niches particulières pour un public de précurseurs. Ce sont néanmoins des voitures qui comportent des caractéristiques extrêmement porteuses qui annoncent les voitures de demain.
E&DDM : Les voitures hybrides ne pourraient-elles pas devenir celles de tout le monde ?
Joël de Rosnay :
Absolument, mais cela ne se réduit pas aux seules voitures et les véhicules hybrides peuvent aussi être des bus, des camions, des utilitairesutilitaires ainsi que des équipements non routiers, comme par exemple des tondeuses autoportées à la place des modèles à moteur 2 temps très polluants. Ces solutions se heurtent cependant aux difficultés de développement de nouveaux marchés, pour lesquels on ne trouve pas de clients disposés à payer le prix des équipements.
Si on prend par exemple le cas du scooter électrique Peugeot que j'ai acheté il y a cinq ans, voici un véhicule capable de me transporter à 50 km/h sur une distance de 80 km, qui se recharge en une heure et demi et qui a suffisamment de puissance pour alimenter une tondeuse. Or, il n'existe pas de tondeuse autoportée électrique, parce que les fabricants estiment que le marché n'existe pas compte tenu du prix de tels produits.