Les chercheurs le soupçonnaient sans réellement avoir pu le prouver. Aujourd’hui, des mesures réalisées sur les récifs coralliens montrent que le phénomène El Niño s’est intensifié ces dernières cinquante années en raison du réchauffement climatique.
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À la fin du XIXe siècle, des marins péruviens ont remarqué l'apparition d'un courant chaud à la période de Noël. Ils l'ont baptisé El Niño. Mais le phénomène se produit probablement depuis des millénaires. Un phénomène océanique à grande échelle qui affecte le régime des vents, la température de la mer et les précipitations. Avec son pendant La NiñaLa Niña, il constitue les deux phases opposées du phénomène couplé océan/atmosphère appelé Enso pour El NiñoEl Niño SouthernSouthern Oscillation.
Les modèles suggèrent que le réchauffement climatique en cours pourrait affecter la puissance de ces phénomènes. Mais pour l'affirmer avec certitude, il faudrait pouvoir s'appuyer sur plusieurs siècles de données climatiques. Et c'est justement ce qu'offre une récente étude menée par des chercheurs de Georgia Tech (États-Unis). Des preuves convaincantes que les épisodes El Niño sont devenus plus extrêmes depuis le début de l'ère industrielle.
« Ce que nous avons observé est en dehors de toute variabilité naturelle », assure Kim Cobb, chercheur à Georgia Tech. Ces cinquante dernières années, la puissance des oscillations d'Enso a augmenté de pas moins de 25 % par rapport à la période préindustrielle.
El Niño, un phénomène décidément bien capricieux
Cette conclusion, les chercheurs la tirent de l'analyse de centaines de coraux vivants et fossiles recueillis pendant plus de 20 ans. Car pendant un épisode chaud d'El Niño, les coraux absorbent moins d'isotope 18 de l’oxygène. Et plus au cours des épisodes La Niña. Lorsque les coraux grandissent, ils forment ainsi des couches dont la composition dépend de leurs conditions de vie. De quoi retracer les températures de surface de la mer sur les 7.000 dernières années.
“Des chiffres qui coïncident parfaitement avec les données satellites”
Lire les couches d'isotopesisotopes fabriquées par les coraux n'est pas aisé. Mais si les chercheurs sont aussi sûrs de leurs résultats, c'est que les chiffres fournis par les enregistrements coralliens de la période 1981-2015 coïncident de manière incroyablement précise avec les températures de la mer mesurées par les satellites.
Par ailleurs, les chercheurs indiquent que certaines de leurs conclusions questionnent les modèles informatiques établis des épisodes El Niño. Par exemple, le phénomène semble, à l'inverse d'aujourd'hui, avoir été particulièrement faible entre il y a 3.000 et 5.000 ans. « Peut-être qu'El Niño entre parfois dans un mode particulier et y reste tout simplement coincé pendant un bon millénaire », conclut Kim Cobb.
El Niño de plus en plus actif avec le réchauffement climatique ?
Voilà 600 ans que la plus importante manifestation de la variabilité climatique naturelle n'avait pas été aussi intense. Le phénomène Enso, qui gouverne le climat mondial, aurait eu une activité plus importante ces trente dernières années que toute série de 30 ans de ces 600 dernières années.
Article de Delphine BossyDelphine Bossy paru le 04/11/2013
La variabilité naturelle du Pacifique équatorial joue un rôle majeur dans le climat mondial. Si l'océan est plus chaud ou plus froid que l'état moyen, des sécheressessécheresses, des pluies diluviennes engendrant des crues ou d'importantes disparations de la faunefaune marine peuvent survenir dans différentes régions du monde. Cette variabilité est caractérisée par le phénomène El Niño Southern Oscillation. Il est d'origine naturelle, mais d'après une étude publiée dans le Climate Past change, Enso aurait semble-t-il été plus intense au XXe siècle que durant les 600 dernières années.
En phase El Niño, les alizésalizés s'affaiblissent, le Pacifique équatorial se réchauffe et la circulation atmosphériquecirculation atmosphérique est modifiée. Le nord de l'Amérique du Sud subit des pluies diluviennes, les cyclonescyclones dans le Pacifique changent leur trajectoire et l'Australie connaît d'importantes sécheresses. Enso modifie le climat mondial, et l'une des questions sensibles est de savoir s'il est affecté par le réchauffement d'origine anthropique actuel, qui agirait alors comme un forçage externe. L'enjeu est de taille car cette question constitue l'une des plus grandes incertitudes dans la prévision climatique.
Le phénomène Enso n'est pas linéaire et n'est pas un cycle, il est donc difficile de prévoir ses fluctuations futures. Par ailleurs, les données instrumentales sont trop récentes pour que les scientifiques puissent déterminer précisément la fréquence, ou l'intensité de l'événement au cours du temps. Aujourd'hui, les climatologuesclimatologues utilisent les données paléontoclimatiques comme les coraux, les cernes des troncs d'arbrearbre ou encore les sédimentssédiments lacustreslacustres pour mieux déterminer l'activité d'Enso. Mais bien souvent, les reconstructions de sa variabilité temporelle, à partir de ces témoins, divergent.
Le paléoclimat confronté aux prévisions climatiques
D'après une équipe australo-américaine, réunissant les universités de Nouvelle-GallesGalles du Sud et d'Hawaï, cette divergence vient des méthodes employées pour reconstruire la dynamique passée d'Enso. Les scientifiques combinent les données paléoclimatiques sans tenir compte des incertitudes temporelles qui peuvent exister entre les différents témoins, elles seraient pourtant souvent grandes. Dans ce contexte, l'équipe menée par le chercheur Shayne MacGregor a développé une nouvelle approche qui évalue d'abord l'activité des événements d'Enso indépendamment dans chacune des reconstructions paléoclimatiques. Lorsque les différentes séries temporelles se chevauchaient, les chercheurs les ont combinées pour obtenir une image plus cohérente et robuste de l'activité passée d'Enso.
Ensuite, l'équipe a confronté sa reconstruction de l'activité d'Enso à celles établies par deux simulations de modèles climatiquesmodèles climatiques couplés en vue de confirmer la fiabilité de leur nouvelle approche. Les scientifiques ont ainsi déterminé que les événements El Niño ou La Niña ont été plus actifs durant la période 1979-2009 que durant n'importe quelle série de trois décennies durant 1590 et 1880. Les résultats suggèrent même qu'Enso est plus intense durant la période 1979-2009 que durant n'importe quelle période de 30 ans de ces 600 dernières années. Néanmoins, la barre d'erreur pour les années inférieures à 1590 est trop importante pour assurer ce résultat.
Cette étude donne des informations sur l'activité d'Enso passée, mais apporte surtout de meilleures précisions aux modèles de prévisions climatiques. « Appliquer ces observations et déterminer quels sont les modèles climatiques qui reproduisent le mieux ces variations passées nous donne une meilleure idée sur les modèles climatiques les plus susceptibles de reproduire la réponse Enso au changement climatique à venir », explique Shayne MacGregor dans un communiqué. L'étude montre comment le phénomène Enso a répondu par le passé aux forçages externes liés à des réchauffements climatiquesréchauffements climatiques, mais la question du pourquoi réagit-il est toujours ouverte.
Ce qu’il faut
retenir
- Des chercheurs ont reconstruit la température de surface de la mer sur les 7.000 ans écoulés.
- Ils notent que les épisodes extrêmes d’El Niño sont plus puissants depuis le début de l’ère industrielle. En cause : le réchauffement climatique.