Il y a presque 30 ans, le compositeur français Gérard Grisey faisait équipe avec l'astrophysicien Jean-Pierre Luminet pour créer une œuvre musicale utilisant les « battements de cœur » de pulsars, ces étoiles hyperdenses plus petites qu'une montagne mais aussi lourdes que le Soleil. Le Hubble russe de la radioastronomie, RadioAstron, a permis aujourd'hui une mise en scène artistique et musicale de ces étoiles paradoxalement défuntes.
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En 2011, la Russie a lancé un radiotélescope spatial d'une technologie inédite. Appelé RadioAstron ou encore Spektr-R, on pouvait le comparer au télescope HubbleHubble mais dans le domaine des ondes radio. Sur une orbite particulièrement haute autour de la Terre, on pouvait s'en servir pour faire de la synthèse d'ouverture en combinant ses observations avec celles d'autres radiotélescopes sur Terre de manière à obtenir avec une technique d'interférométrie l'équivalent d'un instrument de plusieurs centaines de milliers de kilomètres. C'est exactement la même technique qui a rendu possible le succès de l'Event Horizon Telescope qui a fourni la première image de ce qui semble bien être un trou noir supermassiftrou noir supermassif : M87*M87*. Futura a consacré plusieurs articles à RadioAstronRadioAstron car son potentiel de découvertes en cosmologiecosmologie et en astrophysiqueastrophysique était important. Le sort du satellite est cependant incertain depuis janvier 2019.
Toujours est-il qu'il a permis d'étudier des quasarsquasars, pour tenter de savoir si les trous noirs supermassifstrous noirs supermassifs que l'on suppose être derrière leurs formidables émissionsémissions d'énergieénergie n'étaient pas des trous de ver, ou encore des pulsarspulsars, ces étoiles à neutronsétoiles à neutrons très denses qui sont des sortes d'horloges et de phares cosmiques que l'on peut utiliser pour la navigation interplanétaire, voire interstellaire. Incidemment, la plaque de Pioneer 11 et le Golden Record des sondes Voyager contiennent les coordonnées du Système solaireSystème solaire en fonction de pulsars connus dans la Voie lactéeVoie lactée pour une éventuelle civilisation E.TT. qui les récupérerait.
La vidéo montrant les coordonnées astronomiques de 10 pulsars observés par RadioAstron avec leurs périodes en seconde. Pour plus de détails, lire les commentaires dans le texte ci-dessous. © Роскосмос ТВ
Le Noir de l'Étoile
L'agence spatiale russe Roscosmos (Роскосмос en russe) vient justement de mettre en ligne une vidéo mettant en scène, en quelque sorte, la musique des pulsars étudiés avec RadioAstron. Ces astresastres donnent en effet lieu à des impulsions électromagnétiques périodiques dont certaines ont des périodes de l'ordre de la seconde et qui peuvent donc être transposées en ondes sonoresondes sonores audibles. Une dizaine vient ainsi d'être mise en scène avec les duréesdurées de leurs pulsations. Il y a les célèbres pulsars du Crabe et Vela PSR B0833-45, plus connu sous le nom de pulsar des Voiles (parfois pulsar de Vela, d'après le nom latin des Voiles).
Ce n'est pas un nouveauté, il y a presque 30 ans, le compositeur de musique spectrale français Gérard Grisey, en collaboration avec l'astrophysicienastrophysicien Jean-Pierre LuminetJean-Pierre Luminet, se servait des battements de cœur des pulsars dans l'une de ses œuvres, Le Noir de l'Étoile, comme les deux hommes l'expliquaient dans les vidéos ci-dessous.
Le compositeur Gérard Grisey et l'astrophysicien Jean-Pierre Luminet parlent de leur œuvre Le Noir de l'Étoile. Interview par Véronique Ataly au Radiotélescope de Nançay. Extrait du magazine Cassiopée n° 9 « Sommes-nous seuls dans l'univers ? » (1996). Réal. D. Thiel © Jean-Pierre Luminet
Rappelons que les pulsars sont des objets fascinants que les astrophysiciens étudient depuis leur découverte, en 1967, par Jocelyn Bell. Ils sont en fait étudiés théoriquement depuis plus longtemps que cela puisqu'il s'agit d'étoiles à neutrons (on le sait en effet depuis 1971 et les travaux du prix Nobel de physiquephysique Riccardo Giacconi) et que l'existence de celles-ci a été prédite en 1933 par Zwicky et Baade. La première description théorique détaillée des étoiles à neutrons a ensuite été donnée en 1939 par Oppenheimer et Volkkoff, et c'est vers la fin des années 1960 que les astrophysiciens Franco Pacini et Thomas Gold, respectivement italien et britannique, comprennent que ces objets peuvent se comporter comme les pulsars de Jocelyn Bell.
Une autre interview de Jean-Pierre Luminet sur Le Noir de l'Étoile. © Jean-Pierre Luminet
Les pulsars, des étoiles mortes laissées par des explosions de supernovae
Point final de l'évolution de certaines étoiles qui ont explosé en supernovasupernova SNSN II tout en s'effondrant gravitationnellement, les étoiles à neutrons, dont la massemasse est de l'ordre de celle du SoleilSoleil, possèdent un diamètre de quelques dizaines de kilomètres tout au plus et ressemblent à un gigantesque noyau d'atomeatome. La densité, le champ de gravitationgravitation et le champ magnétiquechamp magnétique y sont donc extrêmes et presque toute la physique est nécessaire pour comprendre les propriétés d'une étoile à neutrons : la relativité générale bien sûr mais aussi la magnétohydrodynamique, la théorie de la superfluiditésuperfluidité et celle de la supraconductivitésupraconductivité.
Extrait du documentaire Du Big Bang au vivant, associé au site du même nom, un projet multiplateforme francophone sur la cosmologie contemporaine. Jean-Pierre Luminet parle de la mort des étoiles massives, leur explosion en supernova et la formation de pulsars. © ECP Productions, YouTube
Comme leur nom l'indique, les pulsars émettent des ondes radio à un rythme rapide et régulier. Pour comprendre la raison de ce phénomène, il faut savoir que toutes les étoiles tournent sur elles-mêmes. Or, de même qu'une patineuse voit sa vitesse de rotationvitesse de rotation accélérer lorsqu'elle rassemble ses bras vers son corps, une étoile en effondrementeffondrement voit sa vitesse de rotation augmenter. C'est une conséquence de la conservation du moment cinétiquemoment cinétique, l'une des lois les plus fondamentales de la physique. Ainsi, une étoile possède un champ magnétique qui doit s'amplifier par conservation du flux lorsqu'elle se contracte. Juste après sa formation, le cœur chaud et dense d'une étoile devenue une étoile à neutrons doit donc tourner assez rapidement. Un mécanisme s'enclenche, lié au champ magnétique, qui conduit l'astre à rayonner puissamment en émettant un faisceau d'ondes radio collimatées à la façon d'un phare. Lorsque ce faisceau coupe l'orbite de la Terre, il se manifeste dans un radiotélescope comme une série régulière de bips.
La grande majorité des pulsars possède une période de rotationpériode de rotation comprise entre 0,1 et 10 secondes. En perdant de l'énergie cinétiqueénergie cinétique de rotation par l'intermédiaire du flux d'ondes radio, ils ralentissent lentement et, en une dizaine de millions d'années tout au plus, leur vitesse de rotation devient trop faible pour générer une émission radio.
Ce qu’il faut
retenir
- Il y a presque 30 ans, de 1989 à 1990, le compositeur français de musique spectrale Gérard Grisey faisait équipe avec l'astrophysicien Jean-Pierre Luminet pour créer une œuvre musicale, Le noir de l'Étoile, utilisant les impulsions radio périodiques de pulsars dans la Voie lactée, ces étoiles à neutrons hyperdenses plus petites qu'une montagne mais aussi lourdes que le Soleil.
- Le Hubble russe de la radioastronomie, RadioAstron, a permis aujourd'hui une mise en scène artistique et musicale de ces étoiles paradoxalement défuntes via une vidéo publiée par l’agence spatiale russe Roscosmos (Роскосмос en russe).