Plusieurs extensions du modèle standard, comme la technicouleur ou la compositness, prévoient l’existence de leptoquarks, des particules capables de changer des quarks en leptons et de provoquer la désintégration du proton. Traqués depuis des décennies, ils sont aussi chassés au LHC.

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    Au LHC, des faisceaux de protons circulent depuis dix ans. Les collisions avec prise de données dans les détecteurs géants comme Atlas et CMSCMS ont pu avoir lieu un peu moins de deux ans après ses débuts. La quête s'est poursuivie avec la découverte du boson de Brout-Englert-Higgs (BEH) et l'étude de quelques-uns de ses modes de désintégration, accréditant l'idée que les particules de matière (quarks et leptons) possèdent également une massemasse grâce à des couplages avec le champ du boson BEH.

    Toutefois, ces avancées ne faisaient finalement que confirmer les concepts théoriques du milieu des années 1970. Bien d'autres théories sur les particules de matière et de forces ont été développées depuis entretenant l'espoir que le LHCLHC découvre rapidement des manifestations du zoo des particules supersymétriques. Ces particules ont les bonnes propriétés pour résoudre plusieurs problèmes de la théorie standard de la physiquephysique des hautes énergiesénergies et aussi expliquer plusieurs énigmes de cosmologiecosmologie, comme la matière noirematière noire et l'énergie noireénergie noire.

    La nature semble avoir choisi une autre voie, si l'on peut dire, de sorte que la déception et le doute sont palpables aujourd'hui en physique des particules. Mais il est encore trop tôt pour abandonner, ne serait-ce parce que toutes les données collectées par les détecteurs géants n'ont pas encore été complètement analysées et que la collecte va se poursuivre, en particulier avec un LHC à haute luminosité.


    Une présentation de l'expérience CMS. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © CMS Experiment

    Des particules transmutant quarks en leptons et vice versa

    Les chercheurs sont toujours aussi sur la piste de particules d'un nouveau genre et ont bon espoir de découvrir des leptoquarks. Ces particules portent des sortes d'analogues des charges électriques associées aux quarks et aux leptons (techniquement, ce sont les nombres baryonique et leptonique qui se conservent lors des réactions connues entre particules). Cette propriété les autorisent à transformer les premiers en les seconds et vice versa.

    Ces leptoquarks apparaissent dans plusieurs théories proposées pour aller au-delà de la théorie standard. Par exemple, la théorie technicouleur et ses variantes supposent que le boson BEH est en fait un état composite de deux particules liées par une nouvelle force, analogue à l'interaction nucléaire forte collant les quarks dans les hadronshadrons, et en particulier dans les pions, aussi appelés mésonsmésons de Yukawa. Dans la même veine, la théorie de la compositeness et ses variantes postulent que tous les quarks et les leptons sont des particules composites formées de particules génériquement appelées des préons. Ces théories laissent penser que les leptoquarks sont lourds et doivent se manifester directement à des énergies au moins de l'ordre du TeV (mille fois la masse nécessaire pour créer un proton)

    Comme Futura l'expliquait dans un précédent article (voir ci-dessous), les leptoquarks ont été chassés au LHC, notamment avec le détecteur géant CMS, et le sont encore, comme le montre un communiqué récent du CernCern à ce sujet et un article déposé sur arXiv.

    La théorie standard de la physique des particules sépare les particules élémentaires constituant la matière en deux familles : les leptons et les quarks. Chaque famille compte six particules, regroupées par paires ou « générations ». Les particules les plus stables, qui sont les plus légères, constituent la première génération, alors que les plus lourdes et moins stables appartiennent à la deuxième et à la troisième générations. Les six sortes de leptons sont regroupés en trois générations – l'électron et le neutrino de l'électron, le muon et le neutrino du mu, et enfin le tau et le neutrino du tau. De même, les six sortes de quarks sont regroupées par paires dans chacune de ces générations – le quark u et le quark d forment la première génération, puis viennent le quark c et le quark s, et enfin le quark t et le quark b. © Daniel Dominguez, Cern

    La théorie standard de la physique des particules sépare les particules élémentaires constituant la matière en deux familles : les leptons et les quarks. Chaque famille compte six particules, regroupées par paires ou « générations ». Les particules les plus stables, qui sont les plus légères, constituent la première génération, alors que les plus lourdes et moins stables appartiennent à la deuxième et à la troisième générations. Les six sortes de leptons sont regroupés en trois générations – l'électron et le neutrino de l'électron, le muon et le neutrino du mu, et enfin le tau et le neutrino du tau. De même, les six sortes de quarks sont regroupées par paires dans chacune de ces générations – le quark u et le quark d forment la première génération, puis viennent le quark c et le quark s, et enfin le quark t et le quark b. © Daniel Dominguez, Cern

    Les premières campagnes de chasse aux leptoquarks traquaient des transitions entre quarks et leptons d'abord de première génération puis de seconde génération. Ces expériences se sont déroulées d'abord dans les collisionneurs de particules SPS, puis LEPLEP au Cern. Au Tevatron a ensuite été menée la première traque des leptoquarks de la troisième génération (LQ3), avant le LHC. Les leptoquarks devaient y transformer un lepton, qui pourrait être un tau ou un neutrinoneutrino du tau, en un quark tquark t ou un quark b.

    La chasse au LQ3 avec les données collectées cette fois-ci dans des collisions à 13 TeV avec CMS en 2016 n'a toujours pas apporté de découvertes. Mais de nouvelles bornes ont été posées sur les masses et les caractéristiques de ces particules dont on soupçonne également l'influence dans certaines anomaliesanomalies détectées par les expériences menées avec LHCb pour mesurer les propriétés des mésons Bmésons B.

    Là encore, toutes les données déjà prises en 2017 et 2018, également par Atlas, n'ont pas encore été exploitées. De sorte que l'on pourrait avoir des surprises dans les années à venir, alors que le LHC sera arrêté deux ans pour des upgrades.


    Le LHC sur la piste des leptoquarks avec CMS

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco du 09/11/2012

    Plusieurs extensions du modèle standardmodèle standard, en particulier des théories de Grande Unificationthéories de Grande Unification comme celle de Pati-Salam, prévoient l'existence de leptoquarks, de nouvelles particules capables de changer des quarks en leptons et de provoquer la désintégration du proton. Ils sont aussi chassés au LHC avec le détecteur CMS.

    Au début des années 1970, les succès grandissants du modèle des hadrons basé sur la théorie des quarks et les premières confirmations de la pertinence des théories de jaugethéories de jauge, en particulier du modèle électrofaible de Glashow-Salam-Weinberg, poussent quelques théoriciens audacieux à franchir une étape de plus en envisageant déjà des théories unifiées des forces alors que ni la chromodynamique quantique, et encore moins la théorie électrofaiblethéorie électrofaible, n'étaient encore assises sur des bases indiscutables.

    C'est ainsi que dès 1972, Jogesh Pati et Abdus Salam vont développer une théorie unifiant à la fois les quarks et leptons et les forces nucléaires fortes et électrofaibles.

    Jogesh C. Pati (né en 1937 à Baripada, Orissa, Inde) est un physicien théoricien américain d'origine indienne ayant proposé des théories importantes pour unifier les forces et les particules de la nature. © Slac, <em>Stanford University</em>

    Jogesh C. Pati (né en 1937 à Baripada, Orissa, Inde) est un physicien théoricien américain d'origine indienne ayant proposé des théories importantes pour unifier les forces et les particules de la nature. © Slac, Stanford University

    Des préons composant quarks et électrons

    Une seconde version naîtra à partir de 1975, faisant intervenir une structure composite pour les quarks et les leptons qui cessaient donc d'être des particules élémentairesparticules élémentaires. De nos jours, on connaît ces travaux sous le nom de modèle de Pati-Salam.

    Ce qui est moins connu, c'est que le modèle de Pati-Salam a inspiré la plus célèbre des théories de Grande Unification (GUT) celle de Georgi-Glashow reposant sur le groupe de Lie SU(5). On doit aussi à Jogesh Pati le mot de « préon » pour des particules plus élémentaires que les quarks et les leptons et qu'ils constitueraient. C'est encore le modèle de Pati-Salam qui inspirera la plus célèbre des théories des préons, celle des rishons de Harari.

    Dans ce tableau faisant penser à celui de Mendeleïev, on voit clairement que les quarks et les leptons sont rassemblés en 3 familles (<em>generations </em>en anglais). © Wikipédia

    Dans ce tableau faisant penser à celui de Mendeleïev, on voit clairement que les quarks et les leptons sont rassemblés en 3 familles (generations en anglais). © Wikipédia

    Une des conséquences observables du modèle de Pati-Salam est l'existence de boson Z' et surtout de leptoquarks. Ces leptoquarks permettraient de mieux comprendre l'existence de 3 familles de leptons et de quarks décrits par le modèle électrofaible et la fameuse matrice de Kobayashi-Maskawa. Les régularités que l'on peut voir dans le tableau des particules élémentaires ci-dessus pointent en effet vers une explication en symétrie, comme constaté plusieurs fois dans l'histoire des particules élémentaires. Ces symétries se traduisent souvent par la présence de nouvelles particules.

    Interactions dans CMS enregistrées début 2018. CMS passe au crible les collisions jusqu'à 40 millions de fois par seconde en quête de signaux d'hypothétiques particules comme les leptoquarks. © Thomas McCauley/Tai Sakuma/CMS/CERN

    Interactions dans CMS enregistrées début 2018. CMS passe au crible les collisions jusqu'à 40 millions de fois par seconde en quête de signaux d'hypothétiques particules comme les leptoquarks. © Thomas McCauley/Tai Sakuma/CMS/CERN

    Des leptoquarks chassés avec Super Kamiokande et le LHC

    En l'occurrence, l'existence de leptoquarks impliquerait qu'il soit possible de transformer des quarks dquarks d'une famille en des leptons d'une autre famille et inversement. Ces changements interviendraient avec l'émissionémission ou l'absorptionabsorption de ces nouvelles particules par les quarks et les leptons se transformant les uns dans les autres.

    Ces processus seraient très rares et difficiles à mettre en évidence. Mais comme ils pourraient conduire à une désintégration du proton, on a cherché et on cherche encore à les détecter. De fait, c'est initialement pour observer cette désintégration que l'on a conduit l'ancêtre du détecteur, Super Kamiokande, qui a permis de résoudre l'énigme des neutrinos solaires.

    Les résultats concernant la désintégration du proton sont restés négatifs jusqu'à présent. Mais comme d'autres extensions du modèle standard faisant intervenir des leptoquarks ont été proposées, en particulier avec des masses accessibles aux expériences en accélérateurs, leur existence a été recherchée dans les collisions à très hautes énergies.

    Les membres de la collaboration CMS ont ainsi cherché dans les débris de plus de 500.000 milliards de collisions de protons pendant l'année 2011 des signatures caractéristiques de la présence des leptoquarks. L'une d'elles est la désintégration d'une paire de leptoquark-antileptoquark en deux jets d'hadrons avec deux électronsélectrons. Les chercheurs du Cern ont publié leur résultat dans un article disponible sur arxiv.

    Si quelques événements dans CMS ressemblent effectivement à la désintégration de leptoquarks, on ne peut en déduire que ceux-ci existent. Si tel est pourtant le cas, ils doivent être encore plus massifs que ce que l'on avait déduit comme borne lors de précédentes expériences.