Une mutation génétique entraîne chez l’escargot le développement de la coquille dans le sens inverse. Un gène que l’on retrouve chez l’humain et qui pourrait déterminer pourquoi nos organes sont placés à gauche ou à droite ou pourquoi nos intestins s’enroulent d’un certain côté.


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    La plupart des animaux et l'Homme sont biologiquement asymétriquesasymétriques : nous avons par exemple le cœur à gauche, le foiefoie à droite, et nos intestins s'enroulent dans un sens précis, ce qui leur permet de « tenir » dans un espace restreint. De même, le fait d'être droitier ou gaucher dépend de la position de nos organes internes et notamment la localisation de certaines aires cérébrales. Selon une nouvelle étude publiée le 14 mai dans la revue Development, cette asymétrie serait déterminée par un gènegène au tout premier stade du développement, alors même que l'organisme se résume à une seule cellule.

    Les escargots dont le gène <i>Lsdia1</i> a été désactivé ont une coquille qui tourne dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. © Hiromi Takahashi, Kuroda Laboratory
    Les escargots dont le gène Lsdia1 a été désactivé ont une coquille qui tourne dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. © Hiromi Takahashi, Kuroda Laboratory

    Pour tester cette hypothèse, Reiko Kuroda et Masanori Abe, biologistes et chimistes à l'université de Tokyo, ont utilisé CRISPRCRISPR/Cas9 pour inverser le sens de la coquille d'une Grande limnée (Lymnaea stagnalis), un escargot d'eau douce commun. Chez cette espèce, la coquille s'enroule normalement vers la droite dans le sens des aiguilles d'une montre. Mais dans de rares cas, elle tourne vers la gauche en raison d'une mutation génétiquegénétique. Les chercheurs avaient déjà identifié le gène Lsdia1 comme possible responsable de cette mutation. Ils viennent à présent d'en avoir la preuve vivante, avec des escargots mutants. Ces derniers ont généré par la suite une lignée complète de cinq générations d'individus, tous avec une coquille à contresens.

    De l’asymétrie intracellulaire à l’asymétrie intercellulaire

    Mais comment un unique gène au stade unicellulaire peut-il influer sur la morphologiemorphologie entière de l'animal ? Lsdia1 code une protéineprotéine appelée formine, impliquée dans la régulation du cytosquelettecytosquelette de la cellule. La mutation de cette protéine entraîne la division des cellules en forme de spirale, ce qui provoque l'activation de deux autres gènes, nommés nodal et Pitx, dans un seul côté de l'embryonembryon. Les raisons de cette activation unilatérale demeurent encore assez mystérieuses, mais il est certain que Lsdia1 joue un rôle déterminant dans la symétrie, affirment les chercheurs.

    Une personne sur 5.000 à 10.000 souffre d’une pathologie d’asymétrie droite/gauche. © eveleen007, Fotolia
    Une personne sur 5.000 à 10.000 souffre d’une pathologie d’asymétrie droite/gauche. © eveleen007, Fotolia

    Or, ce gène est largement présent dans tout le règne animal, y compris chez l'humain. « Cela pourrait expliquer pourquoi certains bébés naissent avec des malformationsmalformations comme un cœur à droite », note Reiko Kuroda. On estime ainsi qu'une personne sur 5.000 à 10.000 souffre d'une pathologiepathologie d'asymétrie droite/gauche.

    Ces gènes qui font tourner les organes à l’envers

    Néanmoins, Lsdia1 n'est sans doute pas le seul gène en cause. En 2006, des chercheurs du CNRS avaient identifié chez la drosophile un gène nommé Myo31DF dont la mutation entraîne un situs inversussitus inversus, c'est-à-dire une inversion complète de l'axe droite/gauche, tous les organes tubulaires (intestin, spermiductespermiducte) étant enroulés à l'envers. Un gène dont on retrouve là encore une version approchante chez l'Homme. En 2007, d'autres chercheurs avaient assuré avoir découvert le « gène du gaucher », ce dernier modifiant l'asymétrie du cerveaucerveau. D'autres études avancent elles des causes mécaniques : lors de la gastrulation se forme une structure nommée nœudnœud ventral, avec des cellules pourvues de cilscils à leur surface. Ces cils étant inclinés vers le côté postérieur de l'embryon, ils entraînent un flux de liquideliquide de la droite vers la gauche ce qui provoque une expression asymétrique du gène nodal. Mais tout ceci n'explique toujours pas pourquoi seulement 10 % des gens sont gauchers.


    De l'avantage pour un escargot d'être gaucher

    Article de Christophe Orly publié le 30/03/2006

    Aussi étonnant que cela puisse paraître, les escargots senestresescargots senestres - dont la coquille est enroulée à l'envers et tournée vers la gauche - sont plus aptes à se défendre contre les prédateurs que les escargots « droitiers ». En effet, les crabes Calappa flammea seraient dans l'incapacité de les manger. Mais alors, si leur chance de survie sont supérieures, pourquoi les escargots senestres demeurent-ils aussi rares ?

    (a) et (c) : Coquilles d'escargots senestres<br />(b) et (d) : Coquilles d'escargots "droitiers"<br />(Courtesy of G Dietl/J Hendricks/Biology Letters)
    (a) et (c) : Coquilles d'escargots senestres
    (b) et (d) : Coquilles d'escargots "droitiers"
    (Courtesy of G Dietl/J Hendricks/Biology Letters)

    Face à un escargot senestre, les prédateurs sont bien perplexes. Et tout particulièrement les crabes Calappa flammea qui, lorsqu'ils prennent un tel escargot dans leurs pinces, n'arrivent pas à les manger.

    Pourquoi les Calappa flammea sont-ils pris au dépourvu ? Selon une étude parue ce mois-ci dans les Royal Society Biology Letters, ces crabes sont dans l'incapacité de les décortiquer, pour la simple raison qu'ils n'ont l'outil nécessaire - une dent qu'ils utilisent comme ouvre-boîte - que sur leur pince droite. Aussi, ils éprouvent autant de mal face à la coquille d'un escargot senestre que vous pourriez en éprouver face à une boîte de conserve, en utilisant un ouvre-boîte pour droitier avec votre main gauche !

    Malgré l'avantage indéniable dont jouissent les escargots dont l'ouverture se trouve à gauche, ces derniers sont très rares dans la nature, ce qui, de prime abord, semble aller à l'encontre de la sélection naturellesélection naturelle. Pourquoi un tel paradoxe ? Si les chercheurs n'ont encore aucune explication, ils pensent néanmoins que si les escargots senestres venaient à être plus nombreux, les crabes trouveraient tout simplement un moyen adéquat pour les manger !

    Ce serait donc la rareté de ces escargots qui serait leur principal atout. En tous cas, étant donné la probabilité d'une telle rencontre, quand un Calappa flammea croise un escargot senestre, ce n'est vraiment pas son jour de chance !