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Notre société moderne cherche souvent à fuir l'ennui, considéré comme un fléau. Mais l'ennui reste présent... Des chercheurs ont même découvert un nouveau type d'ennui, qu'ils ont baptisé « ennui apathique », car proche de l'état dépressif. Une classe d'ennui qui leur avait échappé jusqu'alors.
Les faits : une nouvelle forme d’ennui
Dans cette nouvelle étude, des chercheurs allemands ont recruté 143 étudiants et lycéens qu'ils ont équipés d'un petit ordinateur de poche. L'appareil émettait des signaux à différents moments de la journée et les incitait à répondre à des questions comme « dans quelle activité principale êtes-vous engagé en ce moment ? », « au cours de cette activité, quels niveaux d'ennui, bien-être, satisfaction, plaisir, colère et anxiété, ressentez-vous ? ». Chaque sentiment était évalué avec une note allant de 1 (pour « pas du tout ») à 5 ( « très fortement »). Lorsque de l'ennui était perçu, d'autres questions évaluaient l'état d'éveil (de 1, « calme », à 5, « agité ») et le ressenti, allant de « positif » (1) à « négatif » (5).
Les chercheurs ont alors retrouvé les quatre catégories d'ennui qu'ils connaissaient déjà, mais ont eu la surprise d'identifier un cinquième type d'ennui. Cette nouvelle forme correspondait à une association entre un ressenti très négatif et un état d’éveil très bas, d'où le nom qui lui a été attribué d'« ennui apathique ». Cette nouvelle classe d'ennui, tout de même présente chez 10 % des étudiants et 36 % des lycéens, se caractérisait par un sentiment d'impuissance, ce qui le rapprochait d'un état dépressif.
Einstein a souvent raconté s’être ennuyé enfant. Un état peut-être indispensable à l’innovation ? © Oren Jack Turner, Princeton, Wikimedia Commons, DP
Décryptage : l’ennui, une émotion complexe
Pas si simple de s'ennuyer ! L'ennui revêt de nombreuses facettes : il peut être lié à la consommation d'alcoolalcool, de drogues, au stress, à des problèmes de santé, au décrochagedécrochage scolaire, à l'échec, etc. Alors, comment définir l'ennui ? En 2006, les mêmes auteurs avaient classé l’ennui en quatre catégories. Pour cela, ils avaient demandé à des élèves de décrire ce qu'ils ressentaient quand ils s'ennuyaient. Ceci leur avait permis de définir quatre types d'ennui dans un modèle à deux dimensions, en utilisant des critères d'éveil et de valencevalence. En psychologie, la valence évalue si un sentiment est plutôt agréable (valence positive) ou déplaisant (valence négative).
Le premier type d'ennui, ou ennui « indifférent », était caractérisé par un état d'éveil bas et une valence légèrement positive : le sujet est détendu, fatigué, mais plutôt heureux, indifférent au monde extérieur. Dans l'ennui « de calibragecalibrage », l'individu est un peu plus éveillé, mais son ressenti plus négatif : ses pensées se promènent, il ne sait pas quoi faire, sans chercher activement à faire autre chose. Dans l'« ennui de recherche », le sujet est encore plus éveillé et son sentiment encore plus négatif. Il cherche activement des actions à accomplir pour sortir de ce sentiment d'ennui, il a besoin d'activité. Le dernier type d'ennui, dit « réactifréactif », a les niveaux d'éveil les plus élevés et ceux de valence les plus négatifs : l'individu est très motivé à quitter sa situation d'ennui ; il s'agit d'un sentiment très déplaisant et de la forme d'ennui la plus négative.
Dans leurs nouveaux travaux, les chercheurs ont collecté les impressions des étudiants au moment où ils ressentaient de l'ennui, ce qui leur a permis de trouver l'ennui « apathique » : caractérisé par un haut niveau de valence et un faible niveau d'éveil, il est aussi déplaisant que l'ennui « réactif », mais s'en différencie par un état complètement relâché.
No panic : des bons côtés de l’ennui
Ce tableau des différentes formes d'ennui vous plonge dans un état dépressif ? Vous vous dites que vous avez toute une vie pour expérimenter ces formes d'ennui ? Peut-être pas, car d'après Thomas Goetz, coauteur de ces travaux, nous ne faisons pas forcément l'expérience de toute cette gamme d'ennuis : en fonction de sa personnalité, chacun subirait plutôt une certaine classe d'ennui. En définitive, une meilleure compréhension de l'ennui pourrait aider les psychiatres à développer de nouveaux moyens pour détecter et traiter les troubles dépressifs associés à l'ennui.
Mais l'ennui n'a pas que des aspects négatifs. Il représente aussi un état qui peut précéder un processus créatif. L'ennui expérimenté dans l'enfance développe l'imagination ; il permet au jeune de se construire et de gagner en autonomieautonomie.