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Carte de la Manche montrant la situation de la barrière rocheuse de Weald-Artois voici plus de 200 000 ans. Crédit Imperial College of London.
Utilisant des sonarssonars à haute résolutionrésolution, les professeurs Sanjeev Gupta, Jenny S. Collier, assistés de Andy Palmer-Felgate et Graeme Potter du Department des Sciences terrestres, ont mis en évidence la trace d'une gigantesque vallée large de plusieurs dizaines de kilomètres et profonde d'une cinquantaine de mètres creusée dans le sol crayeux de la Manche, depuis sa partie méridionale jusqu'à sa communication avec l'Océan Atlantique. Selon les chercheurs, cette cicatricecicatrice aurait été provoquée par le passage brutal d'énormes quantités d'eau.
Selon les géologuesgéologues, une arête rocheuse dénommée Weald-Artois s'étendait autrefois entre les emplacements actuels de Calais et Douvres, et retenait un gigantesque lac glaciaire situé au nord-est. Celui-ci, alimenté par des glaciers ainsi que par les eaux de la Tamise et du Rhin et d'autres rivières, était lui-même délimité à sa partie septentrionale par un bouclier de glace. Sa surface s'élevait jusqu'à quelque 30 mètres au-dessus du niveau moyen de la mer.
Pour une raison que l'on ignore encore, cette barrière rocheuse a cédé voici 450.000 à 200.000 ans, et l'énorme massemasse d'eau et de glace s'est mise à déferler, creusant le chenal détecté par l'équipe du Collège Impérial de Londres et séparant définitivement le territoire britannique du continent. Les scientifiques estiment le débitdébit des eaux à environ un million de mètres cubes par seconde durant plusieurs mois.
Les conséquences de cette gigantesque inondation ont été considérables. La topographie des lieux a été complètement bouleversée, créant des barrières naturelles aux migrations humaines, aboutissant à l'absence de toute population il y a environ 100.000 ans. Les scientifiques pensent aussi que les parcours du Rhin et de la Tamise ont été complètement modifiés, aboutissant à la formation du célèbre Channel (entre la Mer du Nord et l'océan Atlantique).
L'importance de cette découverte est tout aussi considérable au niveau de la connaissance de notre civilisation, car elle explique enfin pourquoi son évolution s'est brusquement arrêtée il y a 120 à 100.000 ans en Angleterre. Elle ouvre aussi la voie à une meilleure compréhension de la topographie de l'Europe centrale et de son évolution durant le dernier million d'années, avec des répercussions insoupçonnées dans de nombreux domaines tels la prospection minière et pétrolière en Manche et Mer du Nord.
Notons que l'étude du fond marin à l'origine de cette découverte avait été à l'origine instiguée par le UK Hydrographic Office and the Maritime Coastguard Agency (MCA), dans le cadre de recherches pour l'amélioration de la sécurité maritime. Le rapport complet a été publié dans la revue Nature du 19 juillet 2007 sous le titre "Catastrophic flooding origin of shelf valley systems in the English Channel".
Note - Au sujet de l'article du 21 juillet dernier où il était question de l'origine du Pas-de-Calais, la rédaction a reçu le message de Jean-Yves ReynaudJean-Yves Reynaud, chercheur du Muséum National d'Histoire NaturelleMuséum National d'Histoire Naturelle, qui souhaite réagir sur cette information : La carte des vallées sous-marines de la Manche orientale a été établie dans les années 1970 par des équipes universitaires (notamment de l'Université de Caen pour la partie française). Dès cette époque, l'utilisation de la sismique réflexion permettait de « voir » sous le fond marin les remplissages sédimentaires de ces vallées et d'estimer la profondeur maximale de leur creusement. La dernière figure présentée dans la communication de Futura-Sciences du 21 juillet est une reproduction de cette carte. Un certain nombre de fosses ont été également cartographiées avec ces données, dont les fosses du Pas-de-Calais, dans le secteur couvert par les collègues de l'Imperial College. Dès 1972, une publication évoquait, sur la base de ces données, l'origine glaciaire « catastrophique » de ces fosses. Si les cartes détaillées du fond marin qui sont publiées par les collègues de l'Imperial College sont donc de nature à compléter cette hypothèse, elles n'en sont certainement pas à l'origine. L'article original publié par ces collègues dans la revue Nature est d'ailleurs prudent sur ce point. Pour mémoire, l'interprétation glaciaire a été généralisée aux fosses de la Mer du Nord dans les années 1990. Dans le même temps, plusieurs programmes français et européens d'océanographie permettaient de compléter la cartographie des incisions sous-marines de la Manche jusqu'à son débouché sur l'Atlantique.
Contact : Jean-Yves Reynaud, [email protected]