Si la fonte des pôles est souvent évoquée, son impact sur le bilan énergétique l’est moins. En Arctique, la glace fond, rajeunit et s’affine. Par conséquent, le rayonnement solaire est moins réfléchi vers l’atmosphère. Des chercheurs viennent de quantifier la part de rayonnement absorbée par la glace plus fine et donc la part de l’énergie transmise sous la banquise. Qu’en est-il exactement ?

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    De nombreux scientifiques ont souvent mentionné le fait qu'ils n'observaient plus que de la glace de mer saisonnière (qui se forme en hiver et fond presque entièrement en été), ce qui ne permet plus à la banquise de maintenir son épaisseur. En septembre 2012, le constat se poursuit : la glace de mer en Arctique a atteint son record de fonte. Cette dernière décennie marque en effet la période du plus grand déclin de l'étendue de la couverture glaciaire jamais enregistrée. La banquise se réduit, elle devient aussi plus fine et plus jeune.

    Les changements d'âge et d'épaisseur de la banquise modifient le bilan énergétique en surface. L'eau sous forme solidesolide a un fort pouvoir réfléchissant, tandis que l'océan, constitué d'eau sous forme liquideliquide, absorbe presque tout le rayonnement solaire. La capacité réflective d'une surface se quantifie par l'indice d'albédo, calculé par le rapport entre le rayonnement réfléchi (renvoyé dans l'atmosphère) et le rayonnement incident (rayonnement direct du soleilsoleil vers la surface de la TerreTerre). Sur la banquisebanquise, l'albédo est maximal, de l'ordre de 0,8, ce qui signifie que la surface réfléchit 80 % de la lumièrelumière incidente. Toutefois, les modifications de l'épaisseur de la glace tendent à le faire varier et changent donc aussi l'énergie reçue par l’océan Arctique.

    Les changements d'albédo, liés à la fonte des glaces sont beaucoup étudiés. En revanche, ce qui l'est moins, c'est l'accroissement de la quantité d'énergieénergie reçue par l'océan, et son impact. L'énergie solaire étant la principale source énergétique nécessaire à la photosynthèsephotosynthèse, le phytoplancton devrait pouvoir se développer dans un océan Arctique recevant plus de rayons solaires. En 2012, durant une grande campagne, les chercheurs de l'Alfred WegenerAlfred Wegener Institute (AWI) ont pour la première fois réussi à mesurer la transmission de la lumière à travers la banquise arctique, sur une large zone.

    Dans les années 1980, la banquise était plus épaisse que maintenant, et contenait moins de flaques d'eau en été. Le rayonnement incident était alors beaucoup mieux réfléchi (à hauteur de 62 %, sur la figure A). Seule 4 % de la lumière solaire était transmise à l'océan. En 2010, la banquise s'est largement amincie et de plus grandes étendues d'eau se sont formées au-dessus de la glace. L'énergie réfléchie ne représente plus que 37 % du rayonnement incident, et l'océan en absorbe 11 %. © Marcel Nicolaus, Yves Nowak, <em>Alfred Wegener Institute</em>

    Dans les années 1980, la banquise était plus épaisse que maintenant, et contenait moins de flaques d'eau en été. Le rayonnement incident était alors beaucoup mieux réfléchi (à hauteur de 62 %, sur la figure A). Seule 4 % de la lumière solaire était transmise à l'océan. En 2010, la banquise s'est largement amincie et de plus grandes étendues d'eau se sont formées au-dessus de la glace. L'énergie réfléchie ne représente plus que 37 % du rayonnement incident, et l'océan en absorbe 11 %. © Marcel Nicolaus, Yves Nowak, Alfred Wegener Institute

    L’océan reçoit plus d’énergie solaire

    L'analyse, publiée dans la revue Geophysical Research Letters (GRL), a permis de faire une estimation quantifiable de l'impact qu'auraient ces changements. Comme la banquise est plus fine et saisonnière, de vastes étendues d’eau apparaissent sur la glace en été. Les mesures effectuées suggèrent que dans les endroits où des flaques d'eau surplombent la glace, les rayons du soleil peuvent mieux pénétrer la glace et donc atteindre l'océan.

    Ces dernières années, l'équipe de l'AWI a observé un accroissement impressionnant de ces flaques d'eau sur la glace, au cours de ses expéditions estivales dans l'Arctique central. Près de la moitié des surfaces de glace de moins d'un an en sont couvertes. « La couverture de glace pluriannuelle ne se trouve plus en Arctique, tout ce qui est observé est une fine couche de glace qui a à peine un an et sur laquelle les flaques d'eau sont courantes », explique Marcel Nicolaus, principal auteur de l'article.

    Plus de 6.000 mesures sous la glace avec le Rov Alfred

    La glace pluriannuelle, mouvante, formée de plaques se frottant les unes aux autres, crée sur la banquise un paysage chaotique, parsemé de blocs et de crevasses. Si le nombre de flaques est croissant, c'est parce que la glace ne vieillit pas. La surface d'une couverture jeune est lisse, ce qui permet à l'eau de fontefonte de se propager sur de grandes étendues. Si ces flaques sont de plus en plus présentes, le rayonnement solaire est davantage absorbé par l'océan. Les scientifiques ont envoyé un petit véhicule sous-marinsous-marin, le Rov (Remotely Operated VehicleAlfred, mesurer le rayonnement transmis dans l'océan, sous la couche de glace.

    Grâce au brise-glace Polarstern, le Rov a pu enregistrer le rayonnement en 6.000 points distincts, où les propriétés de la glace étaient différentes. Conclusion de l'observation : la glace jeune laisse passer trois fois plus de lumière que la glace pluriannuelle. Elle absorbe en outre 50 % de rayonnement solaire en plus. L'albédo de la banquise parsemée de flaques est de 0,37 contre 0,8 pour une glace plus vieille.

    Les résultats de l'étude menée au pôle Nord nous poussent à nous interroger sur les éventuelles conséquences que cela pourrait avoir sur l'écosystème marin. De nouvelles recherches, en collaboration avec des biologistes, sont en cours pour déterminer quel est l'impact exact de l'augmentation du rayonnement solaire sur la faunefaune arctique.