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La symbiose entre les plantes et les champignons mycorhiziens est un véritable marché biologique où les espèces coopératives sont récompensées et les tricheurs obtiennent moins de leur symbiote. © Nilsson et al., 2005 - BioMed Central
Depuis la nuit des temps, les plantes - au niveau de leurs racines - et les champignons mycorhiziens vivent selon le principe du troc. Ils sont en symbiose et s'échangent des éléments nutritifs indispensables à leurs croissances respectives. Tandis que la plante propose des sucressucres aux champignons, ceux-ci mettent à disposition des nutrimentsnutriments (phosphorephosphore, azote...), que la plante utilise pour croître (voir schéma ci-dessous).
Dans ce marché biologique, les acheteurs et vendeurs n'ont pas forcément d'exclusivité et ainsi, un champignon peut fournir plusieurs espèces de plantes et les racines peuvent échanger leurs ressources avec plusieurs champignons.
Les tricheurs ne sont pas récompensés
Ce système favorise donc les tricheurs. Puisqu'une plante n'est pas cantonnée à un unique symbiote, un champignon aurait pu évoluer de façon à prendre les ressources qui lui sont proposées sans payer en offrant à son tour du phosphore, économisant ainsi l'énergieénergie normalement dépensée pour l'échange. Mais comme les plantes ont à leur disposition plusieurs espèces avec lesquelles elles peuvent entrer en symbiose, peut-être sont-elles capables de choisir les symbiotes qui ne trichent pas.
La symbiose entre les plantes et les champignons correspond à un échange de nutriments contre des glucides. Les nutriments du sol (ici l'azote N et le phosphore P) sont captés par le champignon. Les atomes de phosphore forment le polyphosphate (Poly-P) qui est capable de fixer l'arginine, formée à partir de l'azote. Les polyphosphates passent la barrière champignon-plante puis ils sont traités par la plante. Le carbone (C) fait le chemin inverse, de la racine au champignon, où il participe à la formation de la chitine. © Bruno Scala/Futura-Sciences
C'est à ces mécanismes qu'une équipe scientifique internationale s'est intéressée. Pour cela, ils ont analysé la symbiose d’une plante (Medicago truncatula) avec trois champignons différents (Glomus intraradices, G. custos, et G. aggregatum). Parmi eux, l'un est coopératif (G. intraradices) tandis que les deux autres ont un faible niveau de coopération. Les résultats de ces expériences, révélés dans la revue Science, attestent que les plantes sont en mesure de lutter contre la malhonnêteté des champignons roublards.
La coopération récompensée dans les deux sens
C'est en suivant le trajet des atomesatomes de carbonecarbone présents dans l'atmosphère (l'atmosphère expérimentale était composée d'un isotopeisotope de carbone pour pouvoir traquer les atomes) que les chercheurs ont ainsi pu voir la quantité de carbone offerte aux champignons en fonction de leur niveau de coopération. Cette technique a permis de mettre en évidence que quand les plantes sont en symbiose avec deux ou trois champignons, ceux qui ont un niveau de coopération plus élevé (donc qui fournissent davantage de nutriments à la plante) récupèrent plus de carbone de la plante (voir graphique ci-dessous).
Attribution des ressources de carbone de la plante à ses différents symbiotes en fonction de leur niveau de coopération. Si la valeur indiquée par le trait dans le rectangle gris est au-dessus de zéro, cela signifie que davantage de carbone a été attribué à l'espèce du haut. Dans le graphe de gauche, les trois champignons sont en compétition, et la comparaison de l'attribution des ressources se fait deux à deux. À droite, deux champignons sont en compétition. On voit que quand elle a le choix, la plante attribue préférentiellement davantage de carbone aux espèces plus coopératives (les deux cas à gauche et celui de droite). © Kiers et al. 2011 - Science
De manière réciproque, les champignons - quel que soit leur niveau de coopération - ont tendance à fournir plus de phosphore aux plantes qui ont un meilleur accès aux glucidesglucides et qui vont donc leur en transmettre davantage. Cependant, les moins coopératifs transmettent ce phosphore sous une forme inutilisable pour la plante. Ce procédé permet de réduire les ressources en phosphore accessibles pour les congénères (avec qui ils sont en compétition) et pour la plante, la maintenant ainsi dans une sorte d'état de dépendance.
Un marché biologique stable
Cette dernière expérience montre en outre que les champignons peu coopératifs ont la capacité de fournir le phosphore dans des quantités semblables à celles fournies par les autres, mais qu'ils ne le font pas. Il s'agit donc bien d'une tromperie.
C'est la première fois qu'un tel système de marché biologique est mis en évidence, suscitant la comparaison avec les marchés économiques humains. La plante, qui a le choix entre plusieurs symbiotes, s'orientera davantage vers ceux qui sont coopératifs et les récompensera en leur apportant des quantités de carbone importantes.