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L'image est légendaire dans le monde de la physique. En 1930, lors du 6e congrès Solvay, EinsteinEinstein en est sûr, il tient sa revanche sur Niels BohrNiels Bohr. Bien que le plus lucide dès le début sur la véritable nature de la théorie quantique, dont il est incontestablement un des fondateurs, Albert Einstein ne pouvait pas adhérer à l'interprétation dite de Copenhague de la mécanique quantique, mise en avant par Heisenberg, Born et surtout Niels Bohr.
Einstein et Bohr en pleine réflexion. © Ehrenfest
Rappelons quelques faits
Dès 1905, et avant tout le monde, Einstein comprend que les quanta de PlanckPlanck ne sont pas juste des restrictions aux échanges d'énergie entre la matière et le champ électromagnétiquechamp électromagnétique, mais que l'énergie même de la lumièrelumière doit être sous forme granulairegranulaire. Le premier, dès 1917, lors de ses travaux sur la dérivation de la loi du corps noircorps noir de Planck à partir de l'atome de Bohratome de Bohr, il introduisit le calcul des probabilités pour décrire les transitions atomiques et en arrive à la conclusion que les grains de lumière doivent posséder une impulsion, et qu'ils sont bien des particules. De ce travail découlera très directement la mécanique matricielle de Heisenberg et la mécanique ondulatoiremécanique ondulatoire de De Broglie.
Pourtant, en 1927, lors du 5e congrès Solvay, le fondateur de la théorie de la relativité générale désavoue la forme donnée à la théorie quantique, ne pouvant supporter la dissolution de la représentation spatiotemporelle de la dualité onde-corpusculedualité onde-corpuscule d'une part, et le rôle fondamental donné aux probabilités dans l'interprétation du vecteur d'état de l'équation de Schrödingeréquation de Schrödinger d'autre part.
Ses premières passes d'armes avec Bohr et Heisenberg pour contourner les trois premières inégalités de Heisenberginégalités de Heisenberg ont échoué en 1927, mais en cette année 1930, il détient un argument dévastateur contre la mécanique quantique, il sait comment violer la quatrième inégalité de Heisenberg !
Il suffit pour cela de considérer une boîte aux parois parfaitement réfléchissantes et dotée d'une horloge qui actionne un petit levier ouvrant un clapet à une date donnée. Un photonphoton d'énergie inconnu est piégé entre les parois de la boîte, laquelle est suspendue à un ressort ce qui permet de la peser en fonction de l'élongationélongation de celui-ci. Or, d'après la théorie de la relativité restreinterelativité restreinte, toute forme d'énergie a une massemasse et donc elle possède un poids. Au moment où l'horloge va provoquer l'abaissement du clapet, le photon quittera la boîte et celle-ci, allégée, remontera. La différence de poids donnant l'énergie du photon, on aura donc mesuré précisément à quel moment un système quantique possède une énergie donnée.
La boîte d'Einstein. © Niels Bohr
Selon la quatrième inégalité de Heisenberg, un des piliers de l'interprétation de Copenhagueinterprétation de Copenhague, ceci est impossible !
Il n'est pas possible à un système quantique de posséder une énergie précise à une date t. Tout ce qu'on peut avoir, c'est que le produit de la dispersion des mesures en énergie sur ce système par un intervalle de temps donné ne doit pas être plus petit que la constante de Planckconstante de Planck divisée par 4π. Si l'on veut attribuer une énergie précise à un système, on ne pourra pas dire à quel moment il avait cette énergie donnée. Inversement, si on considère un intervalle de temps de plus en plus court, le système pourra se retrouver avec une énergie de plus en plus importante lors d'une mesure. Et cela de façon complètement aléatoire !
Bohr est ébranlé, Rosenfeld raconte que, alors qu'Einstein rentrait paisiblement dans son appartement en fin de journée, affichant même un certain sourire, Bohr regagnait le sien à l'hôtel, à la fin des conférences du jour, dans un état de grande excitation.
Le lendemain, Bohr est arrivé à la nouvelle journée de débat, totalement apaisé. Pour mesurer le poids de la boîte sans le photon, il fallait mesurer une élongation du ressort et donc faire intervenir les autres inégalités de Heisenberg, celles portant sur la position et la vitessevitesse. Mais surtout, du fait de son changement d'altitude dans le champ de gravitationgravitation de la Terre, le temps mesuré par l'horloge ne s'écoulait pas à la même vitesse, comme un certain Albert Einstein l'avait démontré quatorze années auparavant. Le créateur de la relativité généralerelativité générale avait oublié sa propre théorie !
En tenant compte de tous ces effets, l'inégalité temps-énergie qu'Einstein pensait avoir chassé par la fenêtrefenêtre effectuait un retour triomphant par la grande porteporte, la mécanique quantique était sauve, plus inébranlable que jamais !
C'est précisément ce type d'expérience de pensée qui commence à être réalisable aujourd'hui grâce aux nouvelles technologies en optique quantique.
En effet, pour concrétiser l'expérience d'Einstein, il faut être sûr d'avoir un seul photon dans la boîte, or pour détecter un photon, il n'y avait jusqu'ici qu'une seule façon de faire : le détruire ! L'acte de détection consistant justement à l'absorber, ce que fait une plaque photographique, une caméra électronique et tout simplement notre rétinerétine. La solution passe par la réalisation d'une cavité optique avec deux miroirsmiroirs supraconducteurssupraconducteurs presque au zéro absoluzéro absolu et dans laquelle se trouve un atome de Rydbergatome de Rydberg.
Rappelons qu'un tel atome possède un électronélectron tellement excité qu'il se trouve sur une orbiteorbite haute de l'atome, orbite tellement haute que la trajectoire de l'électron fait presque sens et que la taille de l'atome est beaucoup plus grande que dans son état fondamentalétat fondamental. L'atome ne demande qu'à se désexciter, mais la façon dont il le fera dépendra de la présence ou non d'un photon dans la cavité. Ainsi, sans le détruire, la présence d'un photon dans la boîte à un moment donné peut être mesurée.
Déjà en 1999, Michel Brune, Serge Haroche et leurs collègues, avaient réussi à créer une boîte d'Einsteinboîte d'Einstein à l'aide de niobiumniobium dans un état supraconducteur. Un faisceau d'atomes de rubidiumrubidium, excités en atomes de Rydberg, pénétrait dans la cavité optique. Soigneusement préparés pour ne pouvoir exister que dans deux états possibles, « g » et « e », la plupart n'émergeaient que dans l'état « e » si aucun photon n'existait dans la cavité. À l'inverse, ils émergeaient dans l'état « g » en majorité si existait un seul photon. En mesurant l'énergie de plus d'une centaine d'atomes sortant de la cavité, il a donc été possible d'observer la naissance puis la disparition d'un photon n'émergeant que temporairement du vide quantique.
Ce type de mesure, sans démolition de l'état du système observé, est très important pour sonder le passage du quantique au classique. C'est précisément avec un dispositif analogue que la théorie de la décohérence en liaison avec une expérience type « chat de Schrödingerchat de Schrödinger » avait pu être testée à l'ENS en 1996 par Haroche et Brune.