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Le Sénégal bientôt englouti par la mer à cause de l'érosion ?
La scène se passe à Rufisque. Cette ville, située à 25 kilomètres au sud de Dakar, est partout débordée par l'avancée de l'océan. Debout, sur le pas de sa porteporte, dans son boubou vert et jaune, Tiébama est intarissable : « Le murmur est tombé juste devant chez moi, déplore-t-elle. Quand la pluie tombe, la mer avance. Dans quinze jours, ma maison sera inondée. »
Déjà, les pluies de l'hivernage s'annoncent et les habitants sont inquiets.
De la côte sablonneuse de Rufisque, les courants emportent le sable pour le déposer plus au sud, sur le littoral. La plage se creuse et peu à peu, le rivage recule. Abdoulaye Ndiaye, un vieux pêcheur qui s'est improvisé guide, assure que plus de cent mètres séparaient autrefois la mer d'une maison dont les ruines sont aujourd'hui léchées par les vagues. « En 1986, quand des tombes du cimetière ont été emportées, les gens ont pris conscience du problème et un mur parallèle à la côte a été bâti en 1991 »,
se rappelle Isabelle Niang- Diop, spécialiste en géologie côtière à l'université de Dakar.
L'érosion du littoral est l'un des problèmes environnementaux les plus critiques pour les pays côtiers d'Afrique de l'Ouest. C'est ce qui ressort du Processus africain, un projet conçu en 1998 lors de la Conférence panafricaine pour l'aménagement intégré des zones côtières (PACSICOM) et soutenu par la Commission océanographique intergouvernementale (COI). À l'initiative de onze pays sub-sahariens, le Processus africain a analysé la situation des côtes dans cette région. Car en Afrique, l'océan Atlantique engloutit en moyenne un à deux mètres de plage par an. Le Sénégal, avec ses 700 kilomètres de littoral, est particulièrement concerné : plus de la moitié de la population vit sur les côtes, où sont installés 85 % des industries et services, notamment les deux premières ressources du pays, la pêche et le tourisme. La menace est bien réelle. À Mbao, au sud de Dakar, une mosquée est déjà tombée dans l'eau. Un peu plus loin à Sally, des installations touristiques ont dû être abandonnées.
Changements climatiques
Le transport naturel de sédiments par les courants est largement renforcé par certaines activités humaines comme l'extraction de sable. On estime par ailleurs que 20 % du phénomène est dû à l'élévation du niveau de la mer. Depuis une vingtaine d'années, la houlehoule semble également plus forte. Les changements climatiqueschangements climatiques, qui modifient les ventsvents d'ouest, sont peut-être aussi en cause. « Il y a des indices, mais les données manquent pour l'affirmer
», regrette Isabelle Niang-Diop.
Dans un tel contexte, l'accès aux données océanographiques est fondamental : la compréhension et la prévision des phénomènes océaniques en dépendent. C'est pourquoi le projet ODINAFRICA a commencé par rendre accessible les données déjà existantes. Les centres d'information ont été connectés à l'InternetInternet afin d'avoir accès aux bases mondiales et aux journaux électroniques spécialisés. Des catalogues de publications scientifiques sur l'Afrique ont été mis en ligne et les données océanographiques disponibles sur chaque pays numérisées. « Nous centralisons aussi les données collectées dans le pays provenant du réseau satellite de la COI, des campagnes océanographiques et de nos sept stations côtières »,
précise Anis Diallo, gestionnaire du Centre de donnéesCentre de données océaniques du Sénégal. Le marégraphe de Dakar, qui devrait être remis à neuf par ODINAFRICA d'ici la fin de l'année, mesurera le niveau de la mer. Une donnée précieuse dans la compréhension de l'érosion côtière.
En attendant, Tiébama s'inquiète de voir son mur effondré. Depuis un an, elle essaie d'attirer l'attention sur son sort. En vain. Bientôt, sa maison sera elle aussi léchée par les vagues. Inexorablement.