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Les traces laissées sur des deux os sont manifestement la trace d'un outil de pierre utilisé pour trancher la viande. Il y a plus de trois millions d'années, des êtres qui nous ressemblaient découpaient leurs proies avant de les manger. © Dikika Research Project
Au nord-est de l'Ethiopie, sur le site de Dikika, l'équipe de Zeresenay Alemseged, anthropologue à l'Académie des Sciences de Californie, a mis au jour deux os portant des marques. L'un était un fémurfémur d'un mammifère qui devait ressembler à une antilope et l'autre une côte ayant appartenu à un bovidé. Les marques, elles, semblaient avoir été réalisées à l'aide d'un outil tranchant, comme faites de main d'homme, ou au moins d'hominidé, ce qui était tout à fait inattendu.
Ces ossements, en effet, datent de 3,24 à 3,4 millions d'années alors que, jusqu'ici, les premières traces connues d'utilisation d'outils remontaient à 2,5 ou 2,6 millions d'années. Il faudrait donc repousser cette date de 600 à 900 milliers d'années. Quels hominidés vivaient là à cette époque ? La question est résolue depuis longtemps : ils étaient des australopithèques. C'est à proximité que la célébrissime LucyLucy a été exhumée en 1974 par Yves CoppensYves Coppens, Donald Johanson et Maurice Taïeb. Datée à environ 3,2 millions d'années, Lucy nous faisait découvrir son espèce, Australopithecus afarensis, dont un autre représentant bien plus ancien, Kadanuumuu, a été mis au jour non loin de là entre 2005 et 2010.
Plus près encore, à quelques centaines de mètres du site d'où ont été extraits les deux os, le même Zeresenay Alemseged avait découvert en 2000 le squelette de Selam, une très jeune australopithèque âgée de trois ans, de la même espèce que Lucy et qui a vécu il y a 3,3 millions d'années. Pour l'équipe, qui publie ses résultats dans Nature, il n'y a guère de doute que ces hominidés sont les auteurs des traces sur les deux os.
Encore fallait-il prouver que ces marques ont bien été réalisées à l'aide d'un outil. Les chercheurs ont utilisé les classiques méthodes d'études de ce genre de traces sur les os ou la pierre, bien rôdées et qui n'ont rien à envier à celles de la police scientifique. L'analyse chimique a démontré que ces traces ont été réalisées sur l'os avant sa fossilisationfossilisation. A l'observation au microscopemicroscope, des détails caractéristiques apparaissent. Ici, les entailles avaient la forme d'un V et ont donc été créées par un objet tranchant. A l'intérieur des irrégularités témoignent de mouvementsmouvements de grattage. Enfin, en d'autres endroits, des traces de coups sont visibles. Globalement, ces marques ressemblent à celles laissées par les utilisations d'outils les plus anciennes et attribuées à des hominidés.
Trouvés ou façonnés ?
Conclusion des chercheurs : c'est un travail de boucherie. Les auteurs de ces traces ont utilisé des outils de pierre pour trancher les muscles d'un cadavre d'animal et en découper les morceaux avant de les manger.
Cette innovation est sans doute marquante pour l'histoire des humains. Actuellement, au sein des hominidés, qui comprennent les gorillesgorilles, les hommes se classent un peu à part, dans le groupe des homininéshomininés où ils voisinent avec les chimpanzéschimpanzés et les bonobosbonobos. Or, même si ces proches cousins savent fabriquer des outils depuis longtemps, ils ignorent les carcasses d'animaux et personne n'a jamais observé un tel comportement chez eux.
Une grande question reste en suspens : celle de l'origine des outils. Ont-ils été trouvés dans la nature ou bien Lucy et ses collègues savaient-ils les fabriquer ? Les vieux outils datés de 2,5 millions d'années ont bel et bien été taillés. Comment ce savoir-faire a-t-il été acquis ? Rapidement ou après des millions d'années d'utilisation de pierres naturelles ou grossièrement transformées ? C'est peut-être un pan de l'histoire de l'apprentissage de la fabrication des outils qui s'ouvre grâce à cette découverte. Pour le préciser, les scientifiques n'ont qu'une hâte : retourner sur le terrain pour creuser encore et dénicher des outils d'australopithèques voire une éventuelle carrière où ils auraient pu être taillés.