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L'une des particularités de notre espèce est qu'elle a colonisé le monde entier, à l'exception des terres (ou plutôt des glaces) trop inhospitalières de l'Antarctique. Si les Hommes sont nés en Afrique, ils n'y sont pas tous restés. Certains ont migré, à la découverte de mondes nouveaux, et sont devenus des pionniers, ou ont parfois rencontré des populations humaines déjà présentes avant eux, avec lesquelles ils se sont mélangés.
Tant bien que mal, les paléoanthropologues arrivent partiellement à reconstruire certains de ces mouvementsmouvements migratoires, surtout grâce à l'ADN, lorsqu'ils peuvent en récupérer des échantillons. Et Eske Willerslev, chercheur à l'université de Copenhague (Danemark), s'est rendu en 2009 au musée de l'Ermitage, à Saint-Pétersbourg (Russie), pour y récolter un échantillon d'ADNADN depuis les restes fossilisés d'un enfant mort à Mal'ta, en Sibérie, il y a 24.000 ans. Il s'agit des plus anciennes traces de génomegénome des Hommes modernes. Que peut-on en tirer ?
L'analyse du scientifique et de son équipe révèle des informations probablement importantes pour expliquer la conquête de l’Amérique depuis le détroit de Béring par l'Homme. Dans Nature, ils lèvent le voile sur un mystère qui intriguait les scientifiques depuis longtemps en expliquant que certains des ascendants de ces populations ayant colonisé le Nouveau Monde venaient en fait d'Europe, et pas seulement d'Extrême-Orient.
Le garçon de Mal’ta, un Européen à la croisée des chemins
Jusqu'à présent, les scientifiques étaient un peu dans le flou. L'histoire veut que les premiers Américains, ancêtres des Indiens d’Amérique, aient traversé le détroit de Béring à pied, il y a environ 15.000 ou 16.000 ans, avant de se répandre progressivement sur tout le continent. L'hypothèse la plus plausible considère que cette population pionnière venait de l'Asie de l'est. Mais les analyses génétiquesgénétiques ne semblent pas aussi formelles : s'il existe inéluctablement un lien, les Amérindiens portent également les traces caractéristiques des Européens. Une anomalieanomalie que certains scientifiques veulent expliquer en imaginant une migration à travers l'Atlantique depuis le Vieux continent, hypothèse jugée par d'autres comme un peu trop fantasque...
Aujourd'hui, l'Alaska (États-Unis, à droite) et la Tchoukotka (à gauche, Russie) sont aujourd'hui séparés de moins de 100 km. Il y a 15.000 ans, alors que la Terre n'était pas encore sortie d'une ère glaciaire, ces deux régions étaient reliées par la glace. Les populations de l'époque ont pu aller d'un continent à l'autre avant que la mer de Béring ne les sépare. © DrJohnBullas, Flickr, cc by nc nd 2.0
Le garçon de Mal'ta pourrait détenir la clé du problème. Les analyses de son ADN mitochondrial, permettant de retracer la lignée maternelle, montrent qu'il était porteur de ce que les scientifiques appellent l'haplogroupe U, caractéristiques des populations d'Europe, du nord de l'Afrique et d'Asie méridionale. En revanche, on n'en avait jamais retrouvé les traces jusqu'aux rives du lac Baïkal, où l'on pensait que seules des peuplades extrême-orientales avaient pu vivre. L'échantillon était-il contaminé ?
Eske Willerslev l'a cru, et a même mis ses résultats de côté durant une année. Puis il s'est intéressé au chromosome Y de l'enfant de Mal'ta, qui retrace quant à lui la lignée paternelle. À sa grande surprise, les résultats confirment les précédents. Plus fort encore : les scientifiques ont même retrouvé des marqueurs génétiques caractéristiques des populations amérindiennes, déjà présentes avant le débarquement de Christophe Colomb et des conquistadors après lui.
Les premiers Américains n’ont-ils que 15.000 ans ?
Pour les auteurs, le verdict est clair : la lignée de cet enfant s'est mélangée, et à plusieurs reprises, avec une population d'Extrême-Orient, et ce sont leurs descendants qui sont partis conquérir l'Amérique. L'idée est la suivante : des peuples d'Asie orientale seraient remontés vers le Nord, où ils auraient croisé des groupes humains venus d'Europe ou d'Asie occidentale.
C'est une hypothèse qui se tient. Mais il reste à déterminer s'il y a eu un seul ou plusieurs mouvements migratoires de l'Asie vers l'Amérique. La question reste en suspens.
D'autre part, une étude tout juste publiée dans Proceeding of Royal Society B pourrait remettre à plat toute l'histoire. Ce travail s'est focalisé sur des fossiles de paresseux géants datés d'il y a 30.000 ans, et semble révéler des marques d'agressions humaines sur les squelettes retrouvés. Des Hommes auraient-ils vécu au Nouveau Monde depuis si longtemps ? Les auteurs le pensent, et suggèrent même une migration directement depuis l'Afrique, dans des temps plus anciens encore, sur des bateaux qui auraient tenté leur chance vers l'ouest, et quelques-uns d'entre eux, portés par les ventsvents et les courants, auraient pu atteindre les côtes du Brésil. Il se pourrait donc qu'il reste encore beaucoup de mystères à révéler.