Des chercheurs ont retrouvé la trace et les restes d’une sorte de mille-pattes de 27 cm de long capable de se déplacer dans la vase. Une grand première, alors que la plupart des animaux de l’époque étaient passifs et incapables de prendre des décisions.
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« Le signe le plus évident du premier animal doué de mobilité » : c'est ainsi que Shuhai Xiao, professeur au Virginia Tech College of Science (États-unis), qualifie la découverte d'un nouveau fossile âgé de 550 millions d'années. L'animal, nommé Yilingia spiciformis, a été trouvé dans des couches de roche de la région des gorges du Yang-Tzé dans le sud de la Chine. Ce n'est pas la première fois que des chercheurs affirment avoir trouvé des traces d'animaux aussi anciens.
En 2018, une étude affirmait avoir identifié un fossile animal datant de 558 millions d'années enfoui dans une falaise en Russie, mais sans que l'on puisse déterminer si ce dernier était capable de se mouvoir. Des dizaines d'autres traces de déplacements datant de l'Édiacarien (-635 à -542 millions d'années) ont été découvertes en Australie, aux États-Unis, au Canada, en Afrique, mais sans certitude quant à l’espèce qui les a laissées. Ce qui est ici exceptionnel est que parmi les 35 fossiles de l'échantillon de roche, l'un comprend non seulement la trace laissée par l'animal dans la vase, mais aussi des morceaux de l'animal lui-même.
Yilingia spiciformis évoluait dans la vase, laissant derrière lui une trace des sédiments déplacés sur son passage. © NPG Press
Une sorte de mille-pattes de 27 cm de long
Publiée le 4 septembre dans la revue Nature, l'étude décrit Yilingia comme une sorte de mille-pattesmille-pattes mesurant de 5 à 26 mm de large pour une longueur pouvant atteindre 27 cm. Son corps se compose d'une cinquantaine de segments identiques, chacun composé d'un lobe central et de deux lobes latéraux orientés vers l'arrière. Cette segmentation, qui caractérise les vers, a joué un rôle important dans la mobilité animale. Malgré sa ressemblance avec le mille-pattes, Yilingia n'est toutefois pas un arthropode à proprement parler ; il se rapprocherait plutôt des annélides (vers), estiment les chercheurs.
Explosion d’Avalon : l’apparition d’une étrange faune sur Terre
« La locomotion a contribué à façonner la Terre telle que nous la connaissons », assure Shuhai Xiao. Jusqu'à cette époque, les animaux se contentaient d'être fixés au fond de l'eau ou de flotter passivement au gré des courants marins. D'après les chercheurs, cette découverte constitue aussi le premier signe de prise de décision de la part d'un organisme vivant. « La capacité à fournir un effort pour se rapprocher ou s'éloigner de quelque chose de façon volontaire implique l'existence d'un système nerveux sophistiqué », explique Shuhai Xiao. De quoi permettre par exemple de fuir un prédateur ou de chercher activement de la nourriture. Aucune trace d'organe interne n'a malheureusement été conservée.
“Le premier signe de prise de décision de la part d’un organisme vivant”
La faune de l'Édiacarien -- la période précédant le Cambrien et marquant l’apparition extrêmement rapide des principaux groupes d'animaux sur Terre -- fait l'objet de grandes interrogations de la part des scientifiques. D'étranges formes de vie complètement différentes de celles que nous connaissons ont été identifiées, sans que l'on sache vraiment s'il s'agit d'animaux ou de végétaux, à l'instar des rangéomorphes, d'immenses fougèresfougères que certains classent parmi les animaux. Cette période a été nommée « explosion d'Avalon ».
La vie se déplaçait déjà sur Terre il y a plus de 2 milliards d'années
Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 12/02/2019
Les archives géologiques de la Terre n'ont pas encore livré tous leurs secrets. On a découvert il y a plus de 10 ans que les organismes pluricellulaires étaient plus anciens qu'on ne le croyait. Aujourd'hui, le même site au Gabon montre que ces organismes étaient déjà capables de se déplacer il y a 2,1 milliards d'années.
On se souvient, il y a presque neuf ans, de l'annonce spectaculaire publiée dans le journal Nature. L'article rendait compte du travail d'analyse effectué sur une découverte faite fortuitement, en 2008 par Abderrazak El Albani, sédimentologue du laboratoire CNRS Hydrasa (HydrogéologieHydrogéologie, argilesargiles, sols et altérations, Poitiers) et Frantz Ossa, alors étudiant gabonais, près de Franceville (Gabon). Il s'agissait rien de moins que de la mise en évidence de restes fossilisés d'environ 250 organismes pluricellulaires dans des roches sédimentairesroches sédimentaires dont l'âge est d'environ 2,1 milliards d'années.
Plusieurs des collègues d'Abderrazak El Albani avaient bien du mal à prendre au sérieux cette découverte car jusque-là, les plus vieux fossiles d'organismes pluricellulaires connus étaient ceux d'organismes à corps mou que l'on a trouvés près de la localité d'Ediacara Hills au nord d'Adélaïde, en Australie. Cela avait conduit à définir la période de l'Ediacara qui s'étend de -650 à -543 millions d'années, mais les dates diffèrent quelque peu selon les auteurs. Elle était suivie de la fameuse explosion cambrienneexplosion cambrienne mise clairement en évidence par les schistes de Burgess.
Rien n'est pourtant venu démentir la découverte d'Abderrazak El Albani et Frantz Ossa depuis lors et on parle même d'un nouveau biote, le Gabonionta, pour désigner le groupe fossile de Franceville, révélant vraisemblablement des organismes qui vivaient en colonies au fond de la mer, à 30 ou 40 mètres de profondeur, dans un écosystèmeécosystème constitué par des macro et des micro-organismesmicro-organismes.
Futura en avait rendu compte à l'époque (voir précédent article ci-dessous). Et aujourd'hui, c'est toujours la stupéfaction en prenant connaissance d'un nouvel article publié cette fois-ci dans Proceedings of the National Academy of Sciences (Pnas). Abderrazak El Albani et d'autres collègues y annoncent que non seulement la vie était déjà suffisamment complexe il y a 2,1 milliards d'années pour être sous formes d'organismes pluricellulaires diversifiés, mais qu'elle avait déjà fait la découverte de la mobilité.
Des terriers dans des sédiments marins
Les chercheurs en veulent pour preuve les analyses de ce qui apparaît comme les restes de 80 galeries sinueuses traversant les stratesstrates d'argiles noires, toujours sur le site de Franceville, dans la province du Haut-Ogooué. Ces galeries font penser à celles que l'on connaît sous les fonds marins peu profonds de nos jours et qui ont été creusés par des animaux, comme on peut le voir dans l'un des documentaires du commandant Cousteau. Dans le cas présent, elles mesurent jusqu'à 170 millimètres de long et 6 millimètres de large ; il s'agirait donc de la plus ancienne preuve de l'apparition des premiers mouvementsmouvements chez des êtres multicellulaires sur Terre connue à ce jour.
Animation 3D obtenue par micro-tomographie. Mise en évidence de la morphologie 3D interne et externe des tubes pyritisés et de la trajectoire de leurs déplacements à travers la roche. © CNRS News
Comme pour les formes de vie marine actuelles, on peut penser que certains des organismes du Gabonionta creusaient à travers les sédimentssédiments et les tapis microbiens en strates à la recherche de nutrimentsnutriments et peut-être aussi de zones plus riches en oxygène. En effet, l'apparition de ces organismes complexes semble pouvoir être reliée à la fameuse grande oxydationgrande oxydation dans les océans à ce moment-là, il y a 2,4 milliards d'années. Ainsi, comme l'explique Abderrazak El Albani dans un article du journal du CNRS à propos de cette découverte : « L'accroissement à cette période du taux d'oxygène dans les océans a pu apporter l'énergieénergie nécessaire au métabolismemétabolisme et au développement de ces êtres multicellulaires et également à leur mise en mouvement ». Et en ce qui concerne la question de savoir quel était l'aspect des organismes ayant creusé ces galeries, le géologuegéologue y répond par : « Ils étaient peut-être similaires aux amibesamibes coloniales qui, lorsque les ressources deviennent rares, s'agrègent pour former une sorte de limace capable de se déplacer comme un unique organisme, à la recherche d'un environnement plus favorable. »
Une évolution contingente
Toutefois, il y a 2 milliards d'années environ, le taux d'oxygène dans les océans a commencé à chuter, ce qui aurait entraîné leur disparition. Les océans auraient ensuite été relativement anoxiquesanoxiques pendant un milliard d'années avant qu'un second pic d'oxygène n'accompagne l'apparition des organismes de l'Ediacara. On serait donc en présence d'un scénario qui s'est reproduit, soulignant à nouveau la contingence de la Vie mais aussi visiblement sa propension à se complexifier.
Bien conscients de la capacité de la nature à produire des structures géologiques ou des moléculesmolécules qui pourraient provenir de l'activité de formes de vie mais qui en réalité sont abiogéniques, les chercheurs ont effectué plusieurs tests pour vérifier qu'ils étaient bien en présence de galeries laissées par des formes vivantes.
Ainsi, leurs contenus ont été chimiquement étudiés, révélant des traces indirectes de matièrematière organique avec perminéralisationperminéralisation. Comme l'explique toujours dans le journal du CNRS Abderrazak El Albani : « Il peut s'agir soit d'un corps qui se serait décomposé sur place, soit d'un mucusmucus laissé par l'organisme à la manière de la traîne d'une limace, et le géologue de préciser que La forme interne de ces tunnels atteste également qu'ils ne peuvent résulter d'une modification naturelle de la roche, et que ce sont bien des organismes multicellulaires qui s'y sont frayé un chemin. »
Voilà de quoi donner du grain à moudre aux paléontologuespaléontologues et aux biologistes, non seulement pour comprendre l'histoire de la Vie sur Terre, mais aussi les mécanismes de son évolution.
En juin 2012, le Professeur Abderrazak El Albani de l'université de Poitiers et chercheur à l'IC2MP, à la tête d'une équipe de chercheurs représentant plusieurs institutions, est retourné sur le site de la découverte des fossiles témoignant de l'existence d'une vie multicellulaire de plus de 2 milliards d'années. Ce film-documentaire retrace l'histoire de la découverte et met en lumière le travail des chercheurs sur le terrain. © UniversitePoitiers
Il y a 2 milliards d'années, des organismes grouillaient dans l'eau !
Article de Jean-Luc GoudetJean-Luc Goudet publié le 01/07/2010
Ils mesuraient jusqu'à 12 centimètres et vivaient un milliard et demi d'années avant les fossiles les plus anciens connus jusque-là. Et ce ne sont pas de vaguesvagues traces que des chercheurs français ont mis au jour mais 250 organismes, dont certains sont déjà modélisés en 3D ! L'heureux et tenace découvreur nous raconte et lance un appel pour sauver le site, très menacé.
Il n'aurait pas fallu publier cette découverte le premier avril car personne n'y aurait cru. Aujourd'hui elle fait la Une de la revue Nature et les paléontologues mettront plusieurs années à la digérer... Fortuitement, en 2008, Abderrazak El Albani, sédimentologue du laboratoire CNRS Hydrasa (Hydrogéologie, argiles, sols et altérations, Poitiers) et Frantz Ossa Ossa, étudiant gabonais, sont tombés, au Gabon, près de Franceville, sur les restes d'environ 250 organismes manifestement pluricellulaires, c'est-à-dire composés de nombreuses cellules. Bref, une vie organisée, presque moderne. En témoignent leurs formes et leurs tailles, de 1 à 12 centimètres.
Les fossiles étaient bien visibles, comme le neznez au milieu de la figure. Et l'endroit n'est pas une contrée inconnue, c'est une carrière qui a vu passer d'innombrables gratteurs de sol. « Cela fait des décennies qu'on creuse à cet endroit ! » s'étonne Abderrazak El Albani, interrogé par Futura-Sciences.
Vraiment surprenant ? Stupéfiant même, car les terrains sont datés de 2,1 milliards d'années. Or, les plus anciennes traces d'organismes pluricellulaires identifiées jusqu'ici remontent à environ 600 millions d'années... On connaît des traces d'organismes beaucoup plus anciens, qui ont laissé des roches particulières, les stromatolites. Les plus anciennes dont on est absolument sûr qu'elles ont été formées par des organismes vivants datent de 2,7 milliards d'années. De telles roches existaient déjà il y a 3,5 milliards d'années, cependant on discute encore de leur origine biologique. Mais ces fabricants de stromatolitesstromatolites étaient des bactériesbactéries, c'est-à-dire des cellules sans noyau (des procaryotesprocaryotes) et vivant isolément les unes des autres.
Vers -600 millions d'années, les fossiles deviennent nombreux et témoignent d'une vie très diversifiée. Ces organismes de grandes tailles sont nécessairement pluricellulaires, différant largement des bactéries, leurs cellules devant posséder un noyau (ce sont des eucaryoteseucaryotes). Cette période est même décrite comme l'explosion cambrienne, du nom de l'ère géologiqueère géologique. Une vaste réserve de fossiles, baptisée faune d'Ediacara, du nom de la région d'Australie où elle a été trouvée, montre une grande quantité d'organismes à corps mou, dont des alguesalgues.
« Ces fossiles, d'autres ont dû les voir »
Pourquoi une telle diversification à cette époque ? Logique, pensent les paléontologues. Avant cette période, la Terre subissait un long épisode glaciaire, pendant laquelle, probablement, les calottes polairescalottes polaires s'étendaient jusqu'à l'équateuréquateur ou presque (épisode dit de la Terre boule de neige). Avant cette limite fatidique de 600 millions d'années, la vie organisée semblait impossible. Donc inutile d'en chercher des traces. « Ces fossiles, d'autres ont dû les voir, affirme Abderrazak El Albani. Mais personne n'a voulu croire ou s'intéresser à ce qui ressemble à des fossiles dans des couches aussi anciennes... »
Le chercheur français a alors constitué une équipe internationale rassemblant des géochimistes, des minéralogistes et des paléontologues. Deux cents kilos d'échantillons ont pris le chemin de multiples laboratoires pour des analyses et des identifications. La microtomographie X (utilisant le même principe que les scanners médicaux mais avec des doses de rayons bien plus élevées) a permis de préciser la forme et la structure de fossiles inclus dans la roche sans les détruire. Au total, 21 personnes appartenant à 16 institutions signent l'article publié aujourd'hui dans la revue Nature. « Il a été très difficile de convaincre les gens, raconte Abderrazak El Albani. Il nous a fallu effectuer de nombreuses vérifications et vraiment blinder le dossier... »
Aujourd'hui, la place est au bonheur de la découverte et aux discussions qui vont enflammer la communauté des paléontologues. Il reste à poursuivre l'étude des ces organismes et à mieux comprendre cet écosystème. Leur environnement, indiqué par la nature des sédiments, est connue. « Les fossiles se trouvent dans une couche d'argiliteargilite noire et de limonlimon. Il s'agit d'un milieu marin, sous une profondeur d'environ trente mètres et qui subissait des maréesmarées et des tempêtestempêtes (lesquelles laissent des traces qu'on peut lire dans le sédiment). »
« Il faut arrêter le massacre »
Comment une vie aussi organisée a-t-elle pu apparaître si tôt ? A cause de l'oxygène, estime Abderrazak El Albani. Sa quantité dans l'atmosphèreatmosphère a connu un premier pic, qui a culminé vers -2,4 milliards d'années. La teneur a ensuite chuté. « La hausse de l'oxygène a permis aux organismes de cette époque de disposer d'une plus grande quantité d'énergie et d'évoluer vers une plus grande complexité et vers la coopération entre cellules pour former des êtres multicellulaires ».
Ces fluctuations d'oxygène suivent celles du climatclimat. L'explosion cambrienne correspond à la fin d'une longue période glacée et, il y a 2,1 milliards d'années, la Terre sortait aussi d'une grande glaciationglaciation globale. En somme, le scénario serait le même que celui qui, vers -600 millions d'années, a conduit à l'explosion cambrienne. La Terre se réchauffe, les glaces reculent, l'oxygène grimpe, la vie en profite.
Tout cela reste à préciser. Cette découverte induira certainement d'autres études et il y a fort à parier que, en d'autres endroits de la planète, de nombreuses équipes se mettront à creuser dans les couches anciennes à la recherche, cette fois, de fossiles. Quant au site gabonais, il recèle encore certainement d'innombrables trésors. Mais son avenir est très menacé car l'exploitation de la carrière se poursuit. « Il faut arrêter le massacre » clame Abderrazak El Albani, qui souhaite que le site soit désormais protégé. Il faut aussi, rappelle-t-il, « des moyens, des bras et des têtes » pour poursuivre le travail dans ce domaine de la Terre primitive où la recherche française, selon lui, est très en retard.
La faune d'Ediacara, dont les premières découvertes par RegReg Sprigg remontent à 1946, fait toujours parler d'elle aujourd'hui, constituant une référence et une borne. Il en serait probablement de même pour cet écosystème du Gabon (le nommera-t-on ainsi ?), dont on devrait parler longtemps et qui repousse les bornes de la vie beaucoup, beaucoup plus loin...
Ce qu’il faut
retenir
- Yilingia spiciformis est une sorte de mille-pattes d’environ 27 cm de long.
- Cet animal datant de l’Édiacarien (-635 à -542 millions d'années) est le premier à fournir la preuve de sa mobilité.
- Apparenté aux annélides, il devait ainsi disposer d’un système nerveux central sophistiqué pour prendre des décisions.