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La petite lémurienne Ida, alias Darwinius masillae, attendait depuis 47 millions d'années de se montrer à ses descendants humains. © Jens L. Franzen et al. / PlosOne
Un « chaînon manquantchaînon manquant ». C'est avec cette expression scientifiquement sans signification mais qui frappe toujours les esprits que ce petit squelette de mammifère a été présenté à la presse à l'American Museum of Natural History de New York. La nouvelle a fait mouche et les journaux du monde entier font écho à cette présentation, orchestrée par deux paléontologuespaléontologues, l'Allemand Jens Lorenz Franzen et le Norvégien Jorn Hurum, très connu dans son pays comme grand vulgarisateur et partout ailleurs (y compris à Futura-Sciences) comme découvreur d'un reptile marin géant, entre autres trouvailles.
La première surprise vient du remarquable état de conservation de l'animal, daté de 47 millions d'années, c'est-à-dire de l'éocène moyen. Le squelette, long de un mètre avec la queue, est complet à 95% et comporte des traces de quelques parties molles et même du contenu de l'estomacestomac... On sait ainsi que ce mammifère était un herbivore se nourrissant de fruits, de graines et de feuilles.
Avec son pouce opposable, ce fossile est celui d'un primate et son âge le situe avant la séparationséparation des deux lignées menant, pour l'une, aux singes (dont les hommes) et pour l'autre aux lémuriens et aux autres primates prosimiens. D'ailleurs, ses caractéristiques générales sont celles d'un lémurien mais d'autres, comme l'absence d'une griffe sur l'un des doigts (utilisée par les lémuriens pour se nettoyer le pelage) ou la structure d'un os du pied, l'astragaleastragale, le rapprochent des singes. L'animal appartient donc à un groupe dont nous faisons nous-mêmes partie aujourd'hui.
Ida et Jorn Hurum devant la caméra de NRK NetTV. Cliquer sur l'image pour écouter cet entretien, en norvégien. © NRK NetTV
Une jeune femelle nous raconte l'histoire des primates
L'analyse du crânecrâne (par radiographieradiographie car les os n'ont pas été dégagés de leur gangue pierreuse) a révélé que l'animal était jeune et l'étude du reste du corps fait penser qu'il s'agit d'une femelle, de 650 à 900 grammes, morte dans sa première année. Jorn Hurum lui a donné le nom de sa fille, Ida, et décrit l'animal, avec Jens Franzen et d'autres collègues, dans la revue PlosOne (à l'accès libre). Son nom officiel est désormais Darwinius masillae, les auteurs ayant créé pour Ida une nouvelle espèce et un nouveau genre. Masillae rappelle que le fossile provient de Messel, en Allemagne, près de Darmstadt, le site fossilifèresite fossilifère le plus riche du monde pour l'éocène.
Les auteurs expliquent l'histoire de la découverte d'Ida, assez étonnante elle aussi. Le fossile a en fait été trouvé en 1983 mais pas par des paléontologues. Ses découvreurs l'ont coupé en deux parties, vendues séparément. L'une d'elles a été retouchée pour avoir meilleur aspect et s'est finalement retrouvée aux Etats-Unis dans un musée privé du Wyoming, pour tomber sous les yeuxyeux de Jens Franzen. Le paléontologue a réalisé qu'une intervention avait été effectuée. L'autre partie a été finalement acquise par le musée d'histoire naturelle de l'université d'Oslo, en Norvège, où travaille Jorn Hurum.
C'est l'étude de ce puzzle reconstitué qui a permis de comprendre tout l'intérêt de ce squelette unique en son genre. « Ce fossile va figurer dans tous les ouvrages didactiques des cent prochaines années », estime Jorn Hurum, cité par l'AFP. L'histoire des primates est en effet encore riche en lacunes. Nul doute que Ida vient combler l'une d'elles...