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La grotte du Cavallo (flèche rouge) s'ouvre sur la baie d'Uluzzo, située dans le Parc régional naturel de Portoselvaggio (Pouilles, sud de l'Italie). © Annamaria Ronchitelli
Les premiers Hommes modernes (Homo sapiens) seraient arrivés en Europe il y a environ 45.000 ans, soit plusieurs millénaires avant la date communément admise jusqu'ici. Fruit d'une collaboration entre treize équipes européennes, à laquelle participent deux chercheurs français du CNRS et de l'université Bordeaux 1, ce résultat s'appuie sur de nouvelles analyses de deux dents de lait découvertes il y a une cinquantaine d'années dans une grotte préhistorique italienne, et qui avaient été attribuées à tort à des Néandertaliens.
Ces restes humains, datant d'il y a environ 45.000 ans, s'avèrent appartenir à Homo sapiens. Ils constituent les plus anciens témoignages d'Hommes modernes européens connus à ce jour. Publiés le 3 novembre dans la revue Nature, ces travaux apportent de nouveaux éléments pour mieux comprendre la diffusiondiffusion des premiers Hommes modernes en Europe, ainsi que la période dite de « transition », allant de leur arrivée en Europe à la disparition des Néandertaliens.
Artefacts uluzziens de la Grotta del Cavallo (Pouilles, sud de l'Italie). © Annamaria Ronchitelli et Dr. Katerina Douka
Selon l'hypothèse la plus largement partagée à ce jour, la disparition de l'Homme de Néanderthal, qui a vécu en Europe pendant plus de 200.000 ans, aurait un lien avec l'arrivée sur ce même continent des Hommes anatomiquement modernes (Homo Sapiens). Encore largement débattue dans la communauté scientifique, la question complexe de leur extinction vient de recevoir de nouveaux éléments de réflexion, grâce à une collaboration scientifique européenne qui s'est intéressée à deux dents de lait retrouvées par Arturo Palma di Cesnola (université de Sienne), dans la Grotta deldel Cavallo, située près de la petite ville d'Uluzzo, au sud de l'Italie.
La grotte du Cavallo, trésor archéologique mais pas néandertalien
Découverte en 1960, cette grotte contient des dépôts archéologiques témoignant de la période pendant laquelle les Néandertaliens ont été remplacés par les Hommes modernes. Décrite à partir de plus de vingt sites archéologiques en Italie, la culture « uluzzienne » est caractérisée par la présence d'objets (ornements personnels, outils en os, colorants, etc.) typiquement associés à un comportement symbolique des Hommes modernes. Or, lors de précédents travaux, les dents de Cavallo furent attribuées aux Néandertaliens. Ces derniers ont alors été considérés comme les artisans des ornements et des outillages caractéristiques de la culture « uluzzienne ».
À gauche : vue mésiale du spécimen Cavallo-B (première molaire déciduale supérieure gauche), le premier Homme anatomiquement moderne d'Europe. La barre blanche dans la figure est équivalente à 1 cm. À droite : reconstruction numérique en 3D de Cavallo-B (première molaire déciduale supérieure gauche). L'émail est en transparence pour montrer la dentine de la couronne. © Dr. Stefano Benazzi
L'Homme de Néandertal et l'Homme moderne ont coexisté
De nouvelles analyses effectuées par une équipe internationale impliquant deux laboratoires français viennent contredire ces précédentes conclusions. Les reconstructions en 3D, issues d'enregistrements par microtomographie RX, des restes humains de Cavallo ont été comparées à un large échantillon de dents néandertaliennes et modernes. En analysant les paramètres de leur structure interne et externe (en particulier l'épaisseur de l'émailémail et le contour des couronnes dentaires), les chercheurs ont mis en évidence que les deux dents de Cavallo appartenaient à des Hommes modernes. D'autre part, la datation au carbone 14 par méthode AMSAMS sur des coquilles perforées, issues des mêmes niveaux archéologiques que les dents, a montré que ce matériel serait vieux d'environ 43.000 à 45.000 ans.
Ces résultats indiquent une arrivée plus précoce d'Homo sapiens en Europe. Ils confirment la longue période de coexistence des Hommes modernes avec les Néandertaliens. De plus, cette étude suggère que, contrairement à ce qui a été affirmé par le passé, les Hommes modernes seraient les artisans de la culture uluzzienne. Cette découverte apporte de nouvelles données pour comprendre le développement des comportements symboliques des populations du Paléolithique. Issue de la réévaluation des deux dents de Cavallo, elle n'aurait pas été possible sans une collaboration entre plusieurs institutions européennes et le recours aux innovations techniques développées au cours de la dernière décennie.