L'eau a été vitale pour l'apparition de la Vie sur Terre et pour permettre son évolution. Elle influe aussi sur l'existence de la tectonique des plaques en modifiant les propriétés du manteau sur lequel se déplacent les plaques. Les géologues, planétologues et astronomes cherchent à connaître son origine grâce à la cosmochimie et la cosmogonie du Système solaire. Une nouvelle théorie fait intervenir un nouveau minéral prédit par un algorithme et dont les implications s'étendraient jusqu'aux exoplanètes.


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    Au cours des années 1970 et 1980, il était encore courant d'expliquer l'origine de l'eau des océans sur Terre comme provenant d'un intense dégazage de son manteaumanteau pendant l'Hadéen, dégazage produit par un volcanisme beaucoup plus actif il y a plus de 4 milliards d'années qu'aujourd'hui. Les gaz volcaniques émis, qui étaient alors encore plus riches en vapeur d'eau que ceux que l'on étudie avec les volcans actuels, se seraient ensuite refroidis et auraient formé les premiers nuages. La condensationcondensation de l'eau et son refroidissement se seraient poursuivis jusqu'à produire ensuite sur la Terre un déluge primitif de pluies qui aurait peu à peu formé et rempli les océans.

    Mais les progrès de la géochimie, de la cosmochimie et plus généralement des théories de cosmogonie du Système solaireSystème solaire vont compliquer cette théorie.


    Le Système solaire est un laboratoire pour étudier la formation des planètes géantes et l'origine de la Vie que l'on peut utiliser conjointement avec le reste de l'Univers, observable dans le même but. MOJO : Modeling the Origin of JOvian planets, c'est-à-dire modélisation de l'origine des planètes joviennes, est un projet de recherche qui a donné lieu à une série de vidéos présentant la théorie de l'origine du Système solaire et en particulier des géantes gazeuses par deux spécialistes réputés, Alessandro Morbidelli et Sean Raymond. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français » © Laurence Honnorat

    Des chondrites à enstatite ou des chondrites carbonées ?

    Même en supposant qu'elle soit vraie, il faut toujours rendre compte de la présence de l'eau initialement dans le manteau de la Terre. On sait qu'elle s'est formée par accrétionaccrétion de corps célestes essentiellement rocheux, dont des fragments représentatifs sont encore dans la Ceinture principale d'astéroïdesastéroïdes dont nous parviennent la plupart des météoritesmétéorites retrouvées aujourd'hui sur Terre.

    Or si l'on suppose, comme l'indiquent certaines données chimiques sur la composition globale de la Terre, que la majeure partie de notre Planète bleuePlanète bleue vient de corps célestes dont la composition est similaire à celle des météorites appelées des chondrites à enstatite, alors son stock d'eau initial semble insuffisant pour rendre compte de l'eau des océans. Ou pour le moins, c'est ce que l'on a pensé jusqu'à tout récemment encore.

    Mais on peut faire intervenir en complément un apport sous forme de chondriteschondrites carbonées, qui sont elles particulièrement riches en eau. Toutefois, il va toujours se poser la question de la quantité totale d'eau apportée, et surtout piégée, initialement. En effet, on a des raisons de penser que la Terre très primitive possédait un océan de magmamagma global, notamment après sa collision avec ThéiaThéia qui aurait été à l'origine de la LuneLune. On ne sait pas très bien à quel point le chauffage intense de la Terre à sa naissance lui aurait fait perdre son stock d'eau hérité de sa formation. C'est pourquoi on a envisagé aussi des apports plus tardifs, une fois sa température nettement moins élevée, qui auraient compensé la perte voir la disparition de l'eau initiale.

    De plus, on a proposé de faire intervenir à la place ou en complément d'un bombardement plus tardif d'astéroïdes riches en eau un apport en provenance des comètescomètes. Depuis quelques décennies, le balancier a fréquemment oscillé entre les deux hypothèses, qui ne sont nullement incompatibles.


    Dans cette vidéo, Alessandro Morbidelli nous explique les raisons qui font que l'on pense savoir que l'eau sur Terre n'a pas été apportée majoritairement par les comètes mais bien par certains corps célestes rocheux dont la composition était proche des chondrites trouvées sur Terre. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Laurence Honnorat

    Le deutérium des comètes et des océans

    Des questions se sont posées aussi sur la forme du stock d'eau initial de la Terre, pas seulement sur la manière dont il a été affecté par le chauffage par accrétion primitif mais aussi sur sa localisation. Est-elle uniquement dans le manteau ou aussi dans son cœur ? Sous quelles formes de minérauxminéraux hydratés (l'eau y étant sous forme d'atomeatome d'oxygène et d'hydrogènehydrogène pas forcément directement associés) se trouve cette eau ?

    Plusieurs arguments reposant sur les mesures des abondances de certains isotopesisotopes et la modélisationmodélisation de l'évolution du disque protoplanétairedisque protoplanétaire du Système solaire ont été avancés pour tenter d'y voir plus clair. On a par exemple cherché à départager la théorie d'un apport essentiellement cométaire de la théorie d'un apport essentiellement sous forme de chondrites carbonées, en comparant le rapport d'abondance du deutérium (D) sur l'hydrogène (H) dans les météorites, les comètes et les roches du manteau de la Terre.

    Rappelons qu'il existe ainsi deux types d'eau, l'une, ordinaire, est faite d'atomes d'hydrogène H avec un seul protonproton pour noyau ; l'autre, dite lourde, est faite avec des atomes de deutérium D, donc un noyau avec un proton et un neutronneutron. Ainsi, l'eau lourdeeau lourde est formée de moléculesmolécules HDO contre H2O pour l'eau ordinaire.

    L'étude des météorites de type chondrite carbonée sur Terre a permis d'établir qu'en moyenne, le rapport D/H était de l'ordre de 140 ppmppm alors que ce rapport, lorsqu'on l'a déterminé dans plusieurs comètes, était compris entre 150 et 300 ppm. Comme sur Terre il est d'environ 150 ppm, l'hypothèse cométaire est défavorisée, ou pour le moins, les comètes ne seraient pas, et de loin, la source principale de l'eau sur Terre.

    Pour une revue de l'ensemble des hypothèses proposées pour rendre compte de l'origine de l'eau de la Terre, on peut consulter l'article déposé en 2019 sur arXiv par Karen Meech et Sean N. Raymond.

    Vladimir Vernadski (1863-1945) est un minéralogiste et chimiste russe et ukrainien. Il est avec le Norvégien Victor Goldschmidt et l'Américain Frank Wigglesworth Clarke l'un des fondateurs de la géochimie moderne et de la biogéochimie. On lui doit d’ailleurs la notion de biosphère. © DP
    Vladimir Vernadski (1863-1945) est un minéralogiste et chimiste russe et ukrainien. Il est avec le Norvégien Victor Goldschmidt et l'Américain Frank Wigglesworth Clarke l'un des fondateurs de la géochimie moderne et de la biogéochimie. On lui doit d’ailleurs la notion de biosphère. © DP

    La minéralogie et la géochimie sur ordinateur

    Une nouvelle et très intéressante pièce concernant l'origine de l'eau de la Terre vient d'être apportée au débat sous la forme d'un article publié dans Physical Review Letters. On peut le trouver en accès libre sur arXiv.

    On sait que la Russie a une longue tradition d'excellence en physiquephysique du solidesolide, en chimiechimie, en minéralogie et en géochimie. On peut s'en convaincre en citant Lev Landau et Dmitri MendeleïevDmitri Mendeleïev qui sont sans doute les exemples les plus connus à ce sujet, mais il faudrait citer aussi le chimiste et minéralogiste Vladimir Vernadsky, l'un des pères de la géochimie et à l'origine avec le géologuegéologue, paléontologuepaléontologue et philosophe français Pierre Teilhard de Chardin du concept de noosphère, l'esprit collectif en quelque sorte des Homo sapiensHomo sapiens, après celui de biosphèrebiosphère.

    Bien que l'équipe de chercheurs derrière l'article en question soit essentiellement d'origine chinoise et dirigée par le professeur Xiao Dong de l'Université de Nankai, en Chine, son travail n'a été rendu possible que par l'existence de celui d'un de leurs collègues russes.

    Xiao Dong et Xiang-Feng Zhou sont en effet d'anciens membres du groupe de recherche mené par Artem  Oganov, co-auteur de la découverte révélée dans Physical Review Letters.

    Futura a parlé à plusieurs reprises de ce physicienphysicien, chimiste et cristallographe, en poste à Moscou au Skolkovo Institute of Science and Technology (Skoltech) que l'on peut considérer comme l'équivalent russe du MIT aux États-Unis.

    Comme l'explique la vidéo ci-dessous, ses contributions scientifiques, qui lui ont valu une renommée mondiale, concernent la physique et la chimie exotiqueexotique des hautes pressionspressions et la découverte de nouveaux matériaux dont l'existence et les propriétés physico-chimiques ont été initialement prédites grâce à des simulations numériquessimulations numériques conduites avec un algorithme nommé Uspex (Universal Structure Predictor : Evolutionary Xtallography), dont Artem Oganov est le créateur.


    Une présentation d'une star de la physique russe et de ses travaux en physique du solide. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en russe devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Skoltech

    Uspex est utilisé par plus de 7.000 chercheurs dans le monde car il permet de prédire victorieusement (en russe uspekh signifie « succès ») la structure cristalline que vont adopter les atomes formant un matériaumatériau d'une composition chimique initiale donnée dans des conditions de pressions et de températures très variées.

    Uspex permet de plonger virtuellement à l'intérieur des planètes pour explorer une physique et une chimie des hautes pressions que l'on ne sait que très difficilement étudier en laboratoire et à l'aide principalement de cellules à enclumes de diamantdiamant. Il ne s'agit pas de simples curiosités car les propriétés de la matièrematière dans les conditions régnantes au cœur des géantes gazeusesgéantes gazeuses et de glaces du Système solaire, et même de leurs cousines parmi les exoplanètesexoplanètes, conditionnent la structure et les propriétés de ces géantes.

    Uspex permet bien sûr de plonger également à l'intérieur des planètes rocheusesplanètes rocheuses, comme la Terre ou Mars, et donc d'explorer la physique et la chimie du noyau et du manteau de notre Planète bleue, en aidant potentiellement à tester et développer les théories sur l'origine de l'eau dont on a déjà parlées dans les précédents articles ci-dessous et dans la vidéo, un peu plus loin, mise en ligne par la Société Française d'ExobiologieExobiologie.

    Mais quelle est donc la découverte spectaculaire qui a été rendue possible avec Uspex et qui concerne l'origine de l'eau de la Terre ? On peut la trouver simplement exposée avec des commentaires de Artem Oganov dans un communiqué de Skoltech.

    Un nouvel hydrosilicate de magnésium

    La majeure partie des roches du manteau de la Terre sont formées à partir de silicatessilicates ferromagnésiens, c'est-à-dire qu'il s'agit d'un assemblage d'atomes d'oxygène, de siliciumsilicium, de ferfer et de magnésiummagnésium. Le noyau de la Terrenoyau de la Terre, lui, est un alliagealliage de fer et de nickelnickel presque pur.

    Cette structure s'est formée il y a environ 30 à 60 millions d'années après la naissance de la Terre, quand elle était particulièrement chaude et qu'un processus de différenciation a fait chuter les éléments lourds, comme le fer et le nickel, au centre de la Terre pour former le noyau. On se pose la question depuis quelques années de la présence d'hydrogène ou non dans le noyau et une partie du manteau de la Terre, hydrogène qui avec l'oxygène des minéraux de l'intérieur de la Terre aurait pu se combiner en donnant de l'eau qui aurait ensuite rejoint l'atmosphèreatmosphère de la Terre par dégazage volcanique.

    Artem Oganov et ses collègues ont donc annoncé que, selon les calculs basés sur la mécanique quantiquemécanique quantique et menés avec Uspex, l'hydrosilicate de magnésium de formule Mg2SiO5H2 serait non seulement stable dans les conditions de pression et de température de la région du noyau de la Terre mais surtout contiendrait alors 11 % de son poids en eau. Ce silicate cesserait d'être stable dans les conditions de température et de pression que l'on trouve dans le manteau de notre Planète. On peut alors imaginer le scénario suivant.

    La formation de la Terre par accrétion suppose initialement qu'elle est plus ou moins homogène avant sa différenciation. La région interne qui deviendra son noyau pouvait donc être riche en hydrosilicates de magnésium stables, mais qui selon les lois de la géochimie vont être progressivement éjectés du noyau au fur et à mesure qu'il se forme. Un réservoir de minéraux hydratés pouvait donc exister pendant des dizaines de millions d'années très en profondeur à l'intérieur de la Terre et donc protégés des hautes températures et de la vaporisationvaporisation, faisant perdre l'eau de la partie supérieure de notre Planète alors que le bombardement météoritique accompagnait l'existence d'un océan de magma global, lui-même en partie hérité de la collision avec Théia à l'origine de la Lune.

    Une fois à l'extérieur du noyau, l'hydrosilicate de magnésium se serait ensuite lentement décomposé et l'eau formée dans le manteau aurait in fine donné les océans terrestres.

    Pour Artem Oganov, la découverte théorique de cet hydrosilicate : « C'est aussi une histoire sur la façon dont un matériau qui a existé pendant un bref instant sur l'échelle de temps planétaire a eu un impact massif sur l'évolution de la Terre. Cela va à l'encontre de l'état d'esprit géologique habituel, mais à bien y penser, un biologiste de l'évolution, pour qui une grande partie de ce que nous voyons aujourd'hui a évolué à partir d'espècesespèces aujourd'hui disparues, ne serait guère surpris, n'est-ce pas ? ».

    Le scientifique ajoute, toujours dans le communiqué de Skoltech, qu'il voit de nombreuses implications possibles au-delà du cas de la Terre : « Mars, par exemple, est trop petite pour produire les pressions nécessaires pour stabiliser l'hydrosilicate de magnésium. Cela explique pourquoi elle est si sèche et cela signifie que quelle que soit l'eau qui existe sur Mars, elle provient probablement de comètes. »

    Tout comme son collègue Xiao Dong, il pense également à appliquer leurs travaux au cas des exoplanètes et en particulier des superterres : « À des températures supérieures à 2.000 °C, l'hydrosilicate de magnésium doit conduire l'électricité, les protons de l'hydrogène servant de porteurs de charge. Cela signifie que notre hydrosilicate contribuera aux champs magnétiqueschamps magnétiques des super-Terressuper-Terres. »


    Webinaire de la Société Française d'Exobiologie par Laurette Piani, Chargée de recherche CNRS au Centre de Recherches Pétrographiques et Géochimiques de Nancy (CRPG). La Terre est la seule planète connue à posséder de l’eau liquide à sa surface, une caractéristique fondamentale pour l’apparition et le développement de la vie sur notre Planète. Mais cette eau était-elle présente dès l’origine dans les roches qui ont formé notre Planète ? A-t-elle été apportée plus tard par des astéroïdes et comètes ayant bombardé la Terre ? Ou est-elle un mélange de ces deux sources ? Au cours de ma présentation, je vous parlerai des travaux récents réalisés par notre équipe sur des météorites de composition analogue à celle de la Terre, les chondrites à enstatite. Nos mesures montrent, contrairement à ce qui était supposé auparavant, que les chondrites à enstatite possèdent des quantités non négligeables d’hydrogène avec un rapport isotopique coïncidant avec celui de la Terre. Elles pourraient ainsi expliquer la totalité de l’eau contenue dans le manteau de la Terre et une partie de l’eau des océans. © Société Française d'Exobiologie

     

     


    Le cœur de la Terre pourrait contenir les restes de l'équivalent de 70 océans

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 18/05/2021

    La composition exacte du noyau de la Terre se discute depuis un demi-siècle. Que ce dernier soit majoritairement composé d'un alliage de fer et de nickel ne fait pas débat mais le mystère reste entier quant à la nature exacte des éléments légers dont la présence est exigée par les données de la sismologiesismologie. Des expériences de physique des hautes pressions suggèrent qu'il pourrait y avoir au moins de l'hydrogène provenant d'un important apport initial en eau pour la Terre lors de sa formation par accrétion.

    Sur cette image, une coupe de la météorite Gibeon, une sidérite octaédrite classée IV A, trouvée en Namibie en 1836. La belle structure de ses figures de Widmanstätten et son excellent état de conservation en font la météorite la plus utilisée en bijouterie mais, pour les géologues, elle donne des indices sur l'aspect du noyau en fer et en nickel de la Terre. © L. Carion, carionmineraux.com
    Sur cette image, une coupe de la météorite Gibeon, une sidérite octaédrite classée IV A, trouvée en Namibie en 1836. La belle structure de ses figures de Widmanstätten et son excellent état de conservation en font la météorite la plus utilisée en bijouterie mais, pour les géologues, elle donne des indices sur l'aspect du noyau en fer et en nickel de la Terre. © L. Carion, carionmineraux.com

    La première moitié du XXe siècle nous a donné les outils et les théories permettant de comprendre l'origine et la structure de la Terre, sismologie, spectrométrie de massespectrométrie de masse, physique des hautes pressions etc... Dans les trente années qui vont suivre, avec l'essor de la planétologie comparée rendue possible par l'ère spatiale, un modèle riche et cohérent va donc pouvoir être construit sur cette base. Le chemin parcouru se mesure en consultant le traité du Pape de la géophysique des années 1920 à 1950, le britannique Harold Jeffreys, celui de Don Anderson, Theory of the Earth, ou encore les cours du MIT.

    L'étude des météorites s'est trouvée être précieuse elle aussi. Ainsi, au début des années 1950, le grand chimiste Harold Urey a exposé les résultats de ses travaux sur les météorites et, notamment, celles appelées chondrites qui sont particulièrement âgées puisqu'elles datent d'environ 4,56 milliards d'années, c'est-à-dire le début de la formation des planètes. Avec son élève Harmon Craig, il a classé les chondrites en fonction de leur richesse en fer et, surtout, selon leur contenu en particules de fer ou en fer oxydé lié à des silicates.

    Il s'est avéré qu'une classe particulière de chondrites, les chondrites à enstatite, était en mesure d'illuminer le mystère de l'origine de la Terre et surtout de sa structure différenciée avec un noyau, un manteau et une croûtecroûte mise en évidence par les géologues et géophysiciens, notamment via la sismologie. En effet, lorsque l'on retire d'une chondrite à enstatite les particules de fer natif qu'elle contient, le résidu est chimiquement très proche des péridotitespéridotites et autres roches qui constituent le manteau de la Terre. Mieux, le rapport entre la proportion de fer dans une chondrite à enstatite et ce résidu silicaté est également proche de celui entre le contenu en fer du noyau de notre Planète et son manteau silicaté.


    « La géochimie et la cosmochimie, c'est l'étude des éléments chimiques pour comprendre l'histoire de la Terre et des planètes... ». Entretiens avec Manuel Moreira, professeur à l'Université Paris Diderot, et des membres de son équipe il y a huit ans. © Chaîne IPGP

    Un noyau plus léger que prévu

    C'est un résultat non trivial qui nous incite fortement à penser que la Terre est le produit de l'accrétion de nombreuses chondrites à enstatite. La chaleurchaleur d'accrétion libérée lors de leur chute sur la proto-terre, ainsi que celle issue des désintégrations radioactives, aurait ainsi conduit la Terre à fondre partiellement et les matériaux les plus lourds à percoler vers le centre de notre Planète pour former son noyau constitué d'un alliage de fer et de nickel. Ce scénario de différenciation s'est sans aucun doute reproduit pour des embryonsembryons de planètes au début de la formation du Système solaire. Les météorites que l'on appelle de sidéritessidérites seraient des vestiges des cœurs métalliques de ces corps célestes détruits par des collisions géantes.

    Or, il existe une énigme en ce qui concerne le cœur de la Terre. Tous calculs faits à partir des données géophysiques et géologique, ce cœur est plus léger que s'il était constitué uniquement de fer et de nickel. On sait que certains éléments sont sidérophilessidérophiles et d'autres lithophiles. Comme ces noms l'indiquent, les derniers préfèrent se retrouver avec des silicates contenant de l'oxygène et les premiers avec des composés ferreux. On doit cette classification au chimiste Victor Goldschmidt.

    On spécule donc sur les éléments sidérophiles qui auraient percolé avec le fer pendant la formation rapide du noyau de la Terre et qui expliqueraient donc sa densité plus faible que naïvement prédite. Futura a consacré plusieurs articles à cette question dont le précédent ci-dessous. Aujourd'hui, une équipe de chercheurs, japonais pour la plupart, relance le débat quant à l'identité de ces éléments avec une publication dans Nature Communications.


    Pour recréer les conditions régnant dans le manteau terrestre en laboratoire, de très petits morceaux d'oxyde fer magnétique peuvent été placés entre les pointes de deux diamants. Les diamants ont été pressés l’un contre l’autre afin de produire des pressions atteignant 90 GPa. Un faisceau laser infrarouge peut alors chauffer l’échantillon jusqu’à 1.000 °C. Traduction en français en cliquant sur le rectangle blanc en bas à droite, puis sur l'écrou, ensuite sur « Sous-titres » et « Traduire automatiquement ». © Carnegie Science

    70 fois les océans de la Terre piégés dans son intérieur ?

    Les cellules à enclumes de diamant décrites dans la vidéo ci-dessus sont un grand classique des expériences de la physique des hautes pressions. Dans le cas présent, les géochimistes et géophysiciens ont voulu reproduire les conditions de pression et de température régnant à l'interface du manteau et du noyau de la Terre lors de sa différenciation, en l'occurrence entre 30 et 60 gigapascals pour la pression et des températures allant de 3.100 à 4.600 kelvinskelvins.

    Dans des conditions plus clémentes, on savait que des roches silicatées contenant de l'eau, comme celles dans le manteau de la Terre, vont la garder et pas un alliage à base de fer et de nickel. Mais les chercheurs ont découvert que l'hydrogène de l'eau devenait sidérophile alors que l'oxygène restait lithophile, comme ils s'en doutaient.

    Cela change les perspectives en ce qui concerne le contenu en eau de la Terre. En effet, il se pourrait qu'une partie très importante de cette eau qui aurait été apportée au tout début de la formation de notre Planète par l'accrétion de petits corps célestes se soit rapidement retrouvée, au moins en ce qui concerne ses atomes d'hydrogène dans le noyau de la Terre. Ce faisant, de 30 à 60 % du déficit en densité de ce noyau pourrait provenir du fait qu'il contient des atomes d'hydrogène à la place de certains atomes de fer et de nickel.

    Selon les chercheurs, ce pourrait être au moins l'équivalent de 70 fois le contenu des océans de notre Planète bleue qui pourrait ainsi avoir disparu. La part d'hydrogène se retrouvant au cœur de la Terre. Sans cela, peut-être que nous ne serions pas là pour en parler, car la Terre aurait évolué en une vraie planète océan. Il est intéressant de se rappeler que l'on soupçonne la présence de restes d'importantes quantités d'eau associés à un minéralminéral, la ringwoodite, dans le manteau de la Terre.


    Il y aurait bien de l'oxygène dans le noyau de la Terre

    Article de Laurent Sacco publié le 04/08/2014

    On discute de la composition exacte du noyau de la Terre depuis un demi-siècle. Qu'il soit majoritairement composé d'un alliage de fer et de nickel ne fait pas débat mais on ignorait la nature exacte des éléments légers dont la présence était exigée par les données de la sismologie. Des calculs sur ordinateursordinateurs indiquent maintenant qu'il devrait y avoir au moins de l'oxygène.

    L'existence du noyau de la Terre a été établie il n'y a guère plus d'un siècle alors que la sismologie était encore balbutiante. Il faudra attendre 1936 pour que la Danoise Inge Lehman précise sa structure en démontrant qu'à l'intérieur du noyau (que l'on pensait alors liquideliquide et dont le diamètre est de 7.000 km) se trouve aussi une zone sphérique solide de 1.400 km de diamètre : la graine.

    La théorie de l'accrétion homogène, la plus communément admise pour la formation de la Terre, implique que notre planète s'est formée avec une composition chimique relativement homogène mais qu'en moins de 30 millions d'années, elle s'est différenciée avec la chute des éléments lourds (majoritairement le fer et le nickel) vers son centre pour former son noyau. Le même phénomène s'est produit au sein des petits corps célestes rocheux et c'est pourquoi on peut avoir une idée de l'apparence et de la composition de la matière composant le noyau de la Terre en étudiant des météorites, les sidérites.

    Les températures qui règnent dans le noyau sont particulièrement élevées et on pense même qu'elles peuvent atteindre celle de la surface du Soleil, c'est-à-dire 6.000 kelvins. La partie fluide est parcourue par des mouvementsmouvements turbulents et des courants électriquescourants électriques. C'est d'ailleurs à ce niveau qu'est généré le champ magnétique terrestrechamp magnétique terrestre, avec le fameux effet de dynamoeffet de dynamo autoexcitée récemment reproduit en laboratoire par l'expérience VKS. Le noyau est fascinant à plus d'un titre pour un géophysicien, un géochimiste ou un spécialiste de la matière condensée. Depuis 50 ans, il fait l'objet d'un débat concernant sa composition exacte.

    Une vision d'artiste de la Terre alors qu'elle venait juste de se différentier en formant son noyau et son manteau à l'Hadéen il y a plus de 4,5 milliards d'années. Le bombardement de petits corps célestes était encore intense. © Antoine Pitrou, IPGP
    Une vision d'artiste de la Terre alors qu'elle venait juste de se différentier en formant son noyau et son manteau à l'Hadéen il y a plus de 4,5 milliards d'années. Le bombardement de petits corps célestes était encore intense. © Antoine Pitrou, IPGP

    L'analyse des ondes sismiquesondes sismiques permet de remonter à la nature des matériaux dans lesquels elles se propagent et de faire des comparaisons avec ceux obtenus dans des expériences en laboratoire recréant les hautes pressions et températures régnant à l'intérieur de la Terre. Il y a un demi-siècle, Francis Birch, l'un des pionniers de la géochimie des hautes pressions avec Alfred Ringwood et Percy Bridgman, en avait conclu que le noyau était plus léger que s'il était fait uniquement de fer et de nickel. Des éléments plus légers comme l'oxygène, le phosphorephosphore, le magnésium et l'azoteazote pouvaient s'y trouver en faibles quantités, mais sans que l'on puisse savoir lesquels tant qu'il restait impossible de reproduire en laboratoire les conditions régnant dans le noyau.

    Un alliage simulé sur ordinateur à partir de la physique quantique

    Cela vient de changer grâce aux travaux d'une équipe internationale de chercheurs de l'Institut de physique du globe de Paris (CNRS, Paris Diderot, Cité Paris Sorbonne), de l'EPFL (École Polytechnique Fédérale de Lausanne, Suisse) et de l'University College London (Royaume-Uni). Ces chercheurs viennent de publier un article sur cet épineux problème dans la célèbre revue PNAS.

    Des méthodes numériques dites de dynamique moléculaire, dynamique de réseau et de Monte-Carlo permettent de simuler à peu de frais le comportement des solides et des liquides dans des conditions de pressions et de températures extrêmes encore inatteignables en laboratoire. Les chercheurs ont employé la première à l'aide d'un ordinateur. Elle permet de calculer ab initio les forces quantiques entre les atomes formant différents alliages métalliques de fer, nickel et autres éléments légers (carbonecarbone, oxygène, silicium, soufresoufre) ainsi que le comportement de ces alliages lorsqu'ils sont traversés par des ondes sismiques. Il est donc possible d'en tirer un spectrespectre caractéristique pour ces ondes en fonction de la température, de la pression et de la composition de l'alliage et de faire la comparaison avec les données de la sismologie.

    Les géophysiciens pensent qu'ils ont réussi à démontrer que le noyau doit contenir de l'oxygène. Il pourrait aussi contenir en plus du silicium, du soufre ou du carbone. La solution qui reproduit le mieux les observations est celle que l'on obtient en supposant que l'oxygène est le seul élément léger présent et qu'il constitue de 6 à 7 % de l'alliage de fer et de nickel. S'ils ont raison, ce modèle géochimique du noyau pose des contraintes pour les modèles de formation de la Terre construits par les planétologues et les astrophysiciensastrophysiciens qui tentent de comprendre l'origine et l'évolution du Système solaire et des exoplanètes.