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La suie et en particulier le carbone noir absorbent beaucoup le rayonnement solaire, et s'échauffent. À la surface d'un glacier, une couche fine de particules de ce type peut fournir beaucoup de calories pour la fonte de la glace de surface. © Ville Miettinen, Wikipédia, cc by 2.0
Dans le monde de la climatologie, la fin du petit âge glaciaire est l'une des énigmes les plus intrigantes. Les glaciers alpins ont commencé à se retirer dans les années 1860 tandis qu'il n'y avait pas de hausse sensible de la température, ni de diminution de précipitations. Les pluviomètres et thermomètres indiquent qu'en ne considérant que ces paramètres, les glaciers n'auraient pas dû se retirer avant 1910, période où la température a sensiblement commencé à grimper. Pourtant, la chaîne alpine a entamé son déclin dès 1860. Une nouvelle étude, publiée dans les Pnas, met en cause l'émissionémission anthropique de suie.
La fonte des glaciers dépend des flux d'énergieénergie à leur surface. L'énergie disponible permettra en effet à la glace d'entrer en fusionfusion, et donc de conduire au retrait du glacier. Le rayonnement solairerayonnement solaire est la première source d'énergie. En moyenne, seulement 30 % de ce rayonnement est absorbé. L'atmosphèreatmosphère et les nuages rayonnent aussi, mais dans de plus grandes longueurs d'ondelongueurs d'onde (dans l'infrarougeinfrarouge pour l'essentiel). Ils contribuent à fournir de l'énergie de fontefonte. La turbulenceturbulence de l'airair, c'est-à-dire le ventvent et la température de l'atmosphère, fournissent aussi de l'énergie, il s'agit du flux de chaleurchaleur sensible. Enfin, les changements de phase de l'eau, soit la condensationcondensation, l'évaporation ou la sublimationsublimation, nécessitent beaucoup d'énergie, le flux de chaleur latente est donc très important.
L'influence des forçages radiatifsforçages radiatifs est définie par un paramètre appelé albédoalbédo. Il caractérise la quantité de radiations réfléchies par la surface du glacier. S'il est de 0,7, cela veut dire que 70 % du rayonnement total est réfléchi et ne contribue donc pas à la fonte du glacier. À la fin du petit âge de glace, le flux de chaleur sensible n'a pas réellement été modifié. Le rayonnement solaire non plus. En revanche, d'après l'étude menée par le Jet Propulsion LaboratoryJet Propulsion Laboratory, les émissions de suie ont considérablement augmenté et de façon abrupte, au milieu du XIXe siècle dans l'Europe de l'ouest.
Les cryoconites (les trous coniques) se forment localement autour d'une particule au fort pouvoir radiatif. On en observe régulièrement sur les glaciers. L'albédo de la particule diminue localement l'albédo du glacier et la glace se met à fondre autour de la particule. © Curd W., Wikipédia, cc by sa 2.0
La suie noircit les glaciers
La suie est le résultat de la combustioncombustion incomplète de combustiblescombustibles fossilesfossiles (essence, gazole, fioulfioul, charboncharbon...). C'est un aérosol goudronneux, noir et riche en carbonecarbone. Son forçage radiatif est énorme. Il aurait ajouté au bilan énergétique des glaciers alpins entre 13 et 17 W/m2 entre 1850 et 1880, entre 9 et 22 W/m2 au début du XXe siècle. En saisonsaison de fonte, c'est-à-dire principalement durant les mois d'avril, mai et juin, la suie sur les glaciers pouvait apporter jusqu'à 35 W/m2 de plus !
Une mince couche de suie favorise l'absorptionabsorption des caloriescalories. L'albédo chute et la glace absorbe beaucoup plus de chaleur que si elle était pure. Localement, la glace chauffe, et encore aujourd'hui, on observe régulièrement des cryoconites, des trous au fond desquels se trouvent des particules sombres qui ont localement entraînées la fonte autour d'elles. Dans les années 1860, la suie était si abondante qu'elle aurait suffisamment recouvert les glaciers pour entraîner une fonte de 0,9 m d'équivalent d'eau par saison de fonte.
Au milieu du XIXe siècle, les glaciers alpins étaient déjà étroitement surveillés. Cette étude se base donc avant tout sur les données historiques de bilan de massebilan de masse, de température et de précipitations. L'équipe a aussi analysé les carottages de divers glaciers, tant en Italie, qu'en Suisse ou qu'en France. Ils ont ainsi pu quantifier la quantité de suie, et en particulier de carbone noir, apportée chaque année sur les glaciers. Ils se sont ensuite servis d'un modèle numériquemodèle numérique, qui simule la dynamique des glaciers, pour vérifier la plausibilité de leur théorie. Les conclusions de l'article sont sans équivoque : modèles et données d'archives convergent vers l'idée que le dépôt de la suie sur les glaciers est un facteur, peut-être le principal, impliqué dans la fin du petit âge glaciaire.