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Un échantillon de roche provenant d'un gisement de fer rubané. Le penny en haut à gauche mesure 19 mm de diamètre. © Michael Vanden Berg
Notre civilisation est grande consommatrice de métauxmétaux, à tel point qu'après la crise de l'énergieénergie issue des hydrocarbureshydrocarbures fossiles (dont l'exploitation pose de toute façon un problème avec le réchauffement climatique), commence à poindre le problème de la raréfaction de certains d'entre eux. Une solution existe mais sera difficile à mettre en place : l'exploitation des astéroïdes. En attendant, les géologuesgéologues continuent à explorer les mécanismes à l'origine des gisements de métaux, avec notamment comme objectif de mieux savoir où les chercher.
L'un des métaux clés de notre civilisation technologique est bien sûr le ferfer. La grande majorité des gisements de ce métal se trouve sous la forme dite rubannée, ou BIF (Banded Iron Formation), exploitée en Amérique du Nord, en Australie-Occidentale et en Russie. Les mines de Hamersley en Australie sont particulièrement célèbres. Ces gisements de fer rubanés se sont déposés durant l'Archéen, entre -3,5 et -1,9 milliards d'années. Ils sont constitués de couches d'épaisseurs variables où alternent des lits riches en silice et des lits riches en hématitehématite (un oxyde de fer(III) de formule Fe2O3 avec des traces de titanetitane, d'aluminiumaluminium, de manganèsemanganèse et d'eau). On ne sait pas très bien à quels phénomènes périodiquesphénomènes périodiques et à quelles échelles de temps correspondent ces alternances. Il pourrait s'agir de changements saisonniers. L'origine de ce fer et les raisons de son dépôt sont elles aussi mal connues.
Photosynthèse ou photoferrotrophie ?
Il est certain qu'il s'agit de formations sédimentaires marines, ce qui permet d'envisager différentes hypothèses. Il y a environ 3 milliards d'années, l'atmosphèreatmosphère ne contenait quasiment pas d'oxygène, de sorte que l'altération des minérauxminéraux des continents riches en fer produisait des ionsions ferreux (Fe2+), solubles dans l'eau et donc particulièrement mobilesmobiles. Il n'est de ce fait guère surprenant d'imaginer que ces ions se soient répandus massivement dans l'océan mondial. L'activité volcanique au niveau des sources hydrothermales peut elle aussi contribuer de façon très notable à la présence d'importantes quantités d'ion ferreux en solution à cette époque.
Un gisement de fer rubané de la région de Hamersley en Australie-Occidentale. © U.S. Geological Survey, Beatriz Ribeiro da Luz
Lorsqu'il est oxydé, par exemple sous forme d'oxyde ferrique Fe2O3, et donc d'ion Fe3+ (ferrique), le fer n'est plus soluble. Une hypothèse naturelle pour expliquer la formation des BIF fait donc intervenir des dégagements massifs d'oxygène par des tapis microbiens de cyanobactéries, comme ceux des stromatolites, dans les océans. Elle avait logiquement conduit au scénario de la Grande OxydationGrande Oxydation (« great oxidation event » en anglais), c'est-à-dire la brusque augmentation de l'oxygène dans l'atmosphère de la TerreTerre, une fois achevée la précipitation du fer océanique dans les BIF.
Mais d'autres hypothèses ont été proposées pour expliquer la formation d'oxyde ferrique insoluble. L'une des plus intéressantes fait intervenir une réaction de photosynthèsephotosynthèse exotiqueexotique : la photoferrotrophie, elle aussi pratiquée par des micro-organismesmicro-organismes. Moins efficace que la photosynthèse habituelle, elle consomme des ions Fe2+ qu'elle transforme en ions Fe3+ sous forme d'oxyde ferrique Fe2O3 qui précipite. Cette chaîne de réactions, voisine de la photosynthèse, synthétise comme elle des glucidesglucides à partir de CO2.
La moitié du fer des BIF proviendrait de bactéries
Trois chercheurs en géosciences viennent justement de publier dans les Pnas un article qui éclaire les origines des atomesatomes de fer piégés dans les BIF. Remarquablement, au moment où l'on fête l'Année internationale de la lumière, des faisceaux lasers ont été utilisés pour atteindre ces buts. Ce qui illustre à nouveau l'importance des sciences et des technologies de la lumièrelumière.
Ce travail, réalisé par Clark Johnson et Brian Bearda, du département de géoscience de l'université de Wisconsin-Madison (États-Unis), avec leur collègue Weiqiang Li de l'université de Nanjing (Chine), s'appuie sur des mesures fines des isotopesisotopes de fer et de néodymenéodyme dans des échantillons venus des BIF australiennes. Pendant trois ans, une technique de spectrométrie de massespectrométrie de masse faisant intervenir des laserslasers a été patiemment mise au point pour effectuer ces mesures.
La géochimie a finalement montré une fois de plus sa puissance. Les abondances isotopiques déterminées par les trois chercheurs montrent qu'environ la moitié du fer contenu dans les BIF proviendrait en fait des marges continentales (les zones sous-marines situées au bord des continents dans lesquelles la majeure partie des sédimentssédiments issus de l'érosion du continent est transportée) et que ce métal été mis en solution à cause de l'activité de micro-organismes le métabolisant dans des réactions autre que celle de la photoferrotrophie. Il s'agirait d'un exemple de réduction bactérienne du fer, un cas particulier de ce qui est appelé, en anglais, Dissimilatory metal reduction. Une conclusion que Clark Johnson résume de façon frappante en disant que « ces anciens microbes, en quelque sorte, respiraient du fer comme nous respirons de l'oxygène ». Il se peut d'ailleurs que nous portions en nous la mémoire de cette période de l'Archéen où la vie prospérait grâce au fer. L'importance de cet élément chez les organismes actuels est peut-être la trace du rôle qu'il a joué à ce moment-là, spécule Johnson...