Que sait-on exactement du delirium tremens ? Il survient chez des alcooliques chroniques quand ils arrêtent brusquement de boire ou quand ils diminuent notablement leur consommation.

Organisation tridimensionnelle des récepteurs Gaba-A. Chaque sous-unité est colorée différemment. À gauche, vue parallèle au plan de la membrane (non représentée), la face extracellulaire est la plus proche de l'observateur. On distingue le pore central de conduction ionique. À droite, vue perpendiculaire au plan de la membrane (les ions s'écoulent verticalement). © DP

Organisation tridimensionnelle des récepteurs Gaba-A. Chaque sous-unité est colorée différemment. À gauche, vue parallèle au plan de la membrane (non représentée), la face extracellulaire est la plus proche de l'observateur. On distingue le pore central de conduction ionique. À droite, vue perpendiculaire au plan de la membrane (les ions s'écoulent verticalement). © DP

Le syndrome de sevrage alcoolique débute cinq à dix heures plus tard par des tremblements dus à une perturbation du système nerveux autonome qui contrôle les fonctions vitales, ce qui entraîne des palpitations cardiaques et une hypertension artérielle. Le patient ressent un mal-être général, une anxiété et fait des cauchemars. Après 48 heures, il devient confus, c'est-à-dire que ses capacités de raisonnement s'altèrent, que son orientation dans le temps et l'espace est perturbée, que sa conscience s'obscurcit.

Un cerveau imbibé d’alcool

Il est alors sujet à des hallucinations visuelles - il voit des choses sans aucune stimulation - et à des illusions sensorielles - ce qu'il voit est déformé. Souvent, les hallucinations prennent la forme d'animaux inquiétants ; ce sont rarement des éléphants roses, mais plus souvent de petits animaux qui rampent ou trottinent. Des crises d'épilepsie surviennent fréquemment. Dans 5 % des cas, le delirium tremens est très grave, comme pour notre patiente, avec une confusion aiguë et une grande agitation qui mettent en danger son entourage ou elle-même. L'insomnie est totale et le dérèglement végétatif provoque une forte hypertension, une déshydratation, de la fièvre et peut causer la mort.

Pourquoi ces manifestations ? L'alcool agit dans le système nerveux en reproduisant l'effet d'une molécule, l'acide gamma-aminobutyrique (le Gaba). Il s'agit d'un neurotransmetteur - une molécule de communication entre neurones - qui a une action inhibitrice. Ainsi, l'activité électrique des neurones diminue, c'est-à-dire que les messages électriques qu'ils véhiculent sont transmis de façon moins rapide et moins efficace. En se fixant sur le récepteur du Gaba (présent presque partout dans le cerveau), l'alcool reproduit les effets du Gaba.

Cette action inhibitrice de l'alcool explique ses propriétés tranquillisantes à faible dose et sédatives à forte dose (au pire, causant un coma alcoolique). Quand l'alcool est consommé régulièrement, l'organisme contrebalance l'excès d'inhibition en réduisant la production du Gaba inhibiteur et de son récepteur et en augmentant celle de neurotransmetteurs excitateurs - qui augmentent l'activité électrique des neurones - tels que la noradrénaline, la sérotonine, la dopamine et le glutamate. Un nouvel équilibre se crée alors dans le cerveau entre les influences excitatrices et inhibitrices.

Le sevrage alcoolique : une surexcitation du cerveau

En cas d'arrêt de l'alcool, cet équilibre est rompu : la fabrication normale du Gaba n'est pas rétablie et le nombre de récepteurs cellulaires du Gaba reste faible. Inversement, il y a une sécrétion importante de substances excitatrices. Au total, on observe une hyperexcitabilité neuronale globale dans le cerveau, ce qui rend compte des manifestations cliniques du sevrage alcoolique.

Le récepteur du Gaba (nommé Gaba-A) est une volumineuse molécule (en orange) formant un canal dans la membrane des neurones. Il est présent dans diverses régions cérébrales. Quand il est activé par le Gaba, il s’ouvre et laisse entrer des ions chlore, de sorte que la membrane neuronale est hyperpolarisée (la différence de potentiel de part et d’autre de la membrane est inférieure à celle qui règne à l’état de repos), et il est alors plus difficile d’activer le neurone : ce dernier est inhibé. Dans des conditions normales, les influences excitatrices (engendrées par des neuromédiateurs excitateurs) et inhibitrices (du Gaba) contrôlent l’activité des neurones (a). Au sein de ce récepteur, on trouve un site de fixation de l’alcool, un site de fixation des benzodiazépines ou un autre encore pour les barbituriques. L’alcool imite les effets du Gaba : la prise chronique d’alcool entraîne une désensibilisation du récepteur et une diminution de son activité – comme si le récepteur était en permanence stimulé par du Gaba. Avec le temps, l’inhibition due à l’alcool l’emporte sur l’excitation due aux neurotransmetteurs excitateurs (b). En cas d’arrêt brutal de l’alcool, les influences inhibitrices sur le neurone n’existent plus et, au contraire, les neuromédiateurs excitateurs renforcent une activité déjà trop importante (c). Le neurone est donc suractivé, ce qui favorise les crises d’épilepsie et les manifestations du <em>delirium tremens</em>. Les symptômes de sevrage s’estompent quand la production de Gaba et celle de son récepteur redeviennent normales et compensent la suractivation. © <em>Cerveau & Psycho</em>
Le récepteur du Gaba (nommé Gaba-A) est une volumineuse molécule (en orange) formant un canal dans la membrane des neurones. Il est présent dans diverses régions cérébrales. Quand il est activé par le Gaba, il s’ouvre et laisse entrer des ions chlore, de sorte que la membrane neuronale est hyperpolarisée (la différence de potentiel de part et d’autre de la membrane est inférieure à celle qui règne à l’état de repos), et il est alors plus difficile d’activer le neurone : ce dernier est inhibé. Dans des conditions normales, les influences excitatrices (engendrées par des neuromédiateurs excitateurs) et inhibitrices (du Gaba) contrôlent l’activité des neurones (a). Au sein de ce récepteur, on trouve un site de fixation de l’alcool, un site de fixation des benzodiazépines ou un autre encore pour les barbituriques. L’alcool imite les effets du Gaba : la prise chronique d’alcool entraîne une désensibilisation du récepteur et une diminution de son activité – comme si le récepteur était en permanence stimulé par du Gaba. Avec le temps, l’inhibition due à l’alcool l’emporte sur l’excitation due aux neurotransmetteurs excitateurs (b). En cas d’arrêt brutal de l’alcool, les influences inhibitrices sur le neurone n’existent plus et, au contraire, les neuromédiateurs excitateurs renforcent une activité déjà trop importante (c). Le neurone est donc suractivé, ce qui favorise les crises d’épilepsie et les manifestations du delirium tremens. Les symptômes de sevrage s’estompent quand la production de Gaba et celle de son récepteur redeviennent normales et compensent la suractivation. © Cerveau & Psycho

L'hyperexcitation du système nerveux sympathique (qui contrôle les fonctions vitales) par les amines, telles l'adrénaline et la noradrénaline, accélère le rythme cardiaque, augmente la tension artérielle et la température et déclenche des tremblements. On parle d'« orage adrénergique ». Le sevrage des centres limbiques impliqués dans la dépendance et les émotions entraîne anxiété, panique, agitation et agressivité, mais perturbe aussi le jugement critique.

L'excès du principal neurotransmetteur excitateur, le glutamate, dans certaines connexions synaptiques -- les zones de jonction entre neurones -- rend compte de la confusion mentale et des hallucinations. Celles-ci sont favorisées par la perturbation du sommeil, qui conduit à des états de conscience intermédiaires entre veille et sommeil, ces états favorisant l'intrusion d'images de rêve dans la réalité. Ainsi, les enregistrements de l'activité cérébrale de patients atteints de delirium tremens révèlent une activité entre état de somnolence et sommeil paradoxal (les phases du sommeil durant lesquelles ont lieu les rêves). Bien que ces personnes semblent éveillées, leur cerveau présente un état de demi-conscience avec des intrusions d'images de rêve. En outre, le delirium tremens provoque une hyperactivation des régions corticales visuelles, ce qui fait naître des images mentales et des images de rêve ; il diminue simultanément l'inhibition de structures profondes du cerveau, dont le rôle est d'empêcher le cortex visuel de produire des images de rêve durant l'éveil. Mais les patients, en raison de l'altération de leurs facultés de jugement, ne peuvent faire la différence entre ce qui est réel et ce qui appartient à leur rêve. Les images oniriques se projettent sur les images réelles dans une confusion permanente. On ignore toutefois pourquoi les hallucinations sont souvent des insectes rampants.

Le remède : des anxiolytiques

Dans le pire des cas, les fonctions vitales sont menacées (par l'hypertension), et la mort peut survenir (par infarctus ou par les conséquences d'une déshydratation massive par exemple). Dans des formes moins graves, le rééquilibrage entre les composants excitateurs et le Gaba prend quelques jours. On sait depuis longtemps que ces symptômes du sevrage alcoolique sont corrigés par l'administration d'une classe de médicaments sédatifs et anxiolytiques : les benzodiazépines, dont un représentant est le Valium. Ces molécules agissent aussi sur le récepteur du Gaba en en modulant l'activité. Elles reproduisent en partie l'effet du Gaba et diminuent l'excitation des neurones. Ce mécanisme explique qu'elles soient également efficaces pour traiter l'épilepsie, qui consiste aussi en une hyperexcitation neuronale. Pour traiter un delirium tremens, on donne de fortes doses de benzodiazépines, mais on évite de prolonger la thérapie et on diminue progressivement les quantités administrées. En effet, un traitement trop long induirait de nouveau une diminution de la production de Gaba et, en cas d'arrêt brutal du médicament, le patient risquerait de se trouver en état de sevrage aux benzodiazépines (dont les symptômes sont semblables à ceux du sevrage alcoolique).

Aujourd'hui, en France, on n'observe presque plus de delirium tremens. Un traitement préventif systématique par des benzodiazépines chez tout alcoolique chronique, dès lors qu'il entre à l'hôpital, permet d'éviter ce douloureux épisode. Et si le patient ne juge pas utile de signaler son alcoolisme, les médecins savent le dépister par une prise de sang (la concentration d'une enzyme du foie et le volume des globules rouges sont augmentés).