Outre-Manche, des scientifiques ont réussi à former des photorécepteurs depuis des cellules souches embryonnaires de souris, qu’ils ont ensuite implantés dans des rongeurs aveugles. Ces cellules en bâtonnet, indispensables pour la vision, ont bien pris position dans la rétine et ont même établi le contact avec le cerveau. Voilà peut-être un traitement d’avenir contre des formes courantes de cécité.

C'est un vieux fantasme humain : comment aider les personnes non-voyantes à retrouver ce sens qu'elles ne possèdent plus ? La médecine moderne semble montrer que l'exploit est de l'ordre du possible, surtout que l'œil est particulièrement étudié et l'un des premiers organes à bénéficier des thérapies les plus modernes : rétines artificiellesthérapie génique et thérapies cellulaires.

La transplantation de cellules rétiniennes conçues à partir de cellules souches embryonnaires (CSE) n'est pas nouvelle. Par la taille de l'œil, qui ne nécessite pas l'implantation de millions ou de milliards de cellules, et la faiblesse du système immunitaire dans cette région, la réussite d'une telle entreprise est crédible. 

Des chercheurs américains ont même entamé des essais cliniques sur la question, afin d'aider des personnes atteintes de rétinopathie (ici des patients touchés par la maladie de Stargardt ou la DMLA) à recouvrer leurs capacités visuelles. Dans ce cas précis, signalé l'an dernier, les CSE sont transformées en épithélium pigmentaire, des cellules de soutien pour les photorécepteurs, ces cellules en forme de cône ou de bâtonnet, directement impliquées dans la vision et connectées au cerveau, afin qu'il traduise le signal en information visuelle.

Des cellules souches aux photorécepteurs fonctionnels

Désormais, des scientifiques britanniques de l'University College de Londres dirigés par Robin Ali ont franchi un nouveau cap. Ce ne sont plus les cellules de soutien qui ont été conçues depuis des CSE, mais bel et bien des photorécepteurs. Et comme ils l'expliquent dans la revue Nature Biotechnology, une fois transplantées chez l'animal, ces cellules semblent occuper leur position et jouer leur rôle en établissant les liaisons avec le nerf optique.

Les cellules souches embryonnaires ont la particularité de pouvoir se différencier en n'importe quel tissu adulte, si tant est qu'on les place dans le milieu de culture adapté. Dans cette expérience, elles sont devenues des photorécepteurs. © Eugene Russo, <em>Plos One</em>, cc by 2.5

Les cellules souches embryonnaires ont la particularité de pouvoir se différencier en n'importe quel tissu adulte, si tant est qu'on les place dans le milieu de culture adapté. Dans cette expérience, elles sont devenues des photorécepteurs. © Eugene Russo, Plos One, cc by 2.5

Les auteurs ont réalisé une culture en trois dimensions de CSE de souris, de manière à les pousser vers une destinée de photorécepteurs. Pour s'assurer de la bonne différenciation des cellules, ils ont vérifié que les gènes exprimés étaient biologiquement équivalents. Une rétine de synthèse a ainsi pu croître en boîte.

Environ 200.000 de ces photorécepteurs artificiellement créés ont alors été transplantés dans la rétine de souris aveugles. Trois semaines après l'opération, les cellules avaient migré et avaient trouvé leur position dans l'œil de leur hôte. Elles avaient l'aspect de cellules en bâtonnet matures normales, et étaient toujours sous cette forme six semaines plus tard. Des synapses, les connexions avec le système nerveux, ont même pu être observées.

Un futur traitement contre de nombreuses formes de cécité ?

La description s'arrête là : on ne sait donc pas si les rongeurs ont retrouvé au moins une partie de leur vision. Pour Robin Ali, si seulement 20.000 des 200.000 cellules transplantées prennent, cela devrait être suffisant pour redonner la vue. Cependant, il semble que seules 1.000 d'entre elles aient réellement trouvé leur place. La technique est à perfectionner pour augmenter le ratio et donc améliorer le traitement.

D'ici cinq ans, le Britannique espère pouvoir entamer les essais cliniques chez l'Homme, après avoir ajusté le protocole et obtenu les accords nécessaires. Si la thérapie cellulaire aboutissait, elle pourrait aider des personnes atteintes de maladies oculaires dégénératives, comme la rétinite pigmentaire, la DMLA, la maladie de Stargardt ou les cécités provoquées par le diabète de type 2, de retrouver goût à la vue.