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C'est clairement l'étude choc de cette rentrée. Après cinq années de travail dans la clandestinité, le biologiste Gilles-Éric Séralini et ses collègues de l'université de Caen et d'ailleurs viennent de sortir un véritable brûlot contre les OGMOGM alimentaires dans les colonnes de la revue américaine Food and Chemical Toxicology. Tumeurs fréquentes et précoces, troubles hépatiques ou rénaux : les rats nourris de ces céréalescéréales génétiquement modifiées avec ou sans herbicideherbicide semblent prouver la dangerosité de ces cultures pour la santé animale, et probablement humaine.
Récoltant 3,2 millions d'euros de fonds de la part de fondations ou de grandes marques de la distribution, ils ont entrepris depuis quelques années, dans le plus grand secret, de réaliser une recherche qu'ils voulaient indiscutable pour vérifier ou non l'innocuité des OGM.
Des scientifiques devenus agents secrets
Pour éviter les pressionspressions économiques ou politiques, les biologistes ont pris un maximum de précautions afin que rien ne se sache sur l'étude en cours. Le Nouvel Observateur raconte que les échanges étaient réalisés à travers des e-mails cryptés et que les protagonistes s'interdisaient les communications téléphoniques, propos confirmés à Futura-Sciences par Robin Mesnage, un des coauteurs de cette recherche.
Voici une partie des scientifiques impliqués dans cette étude avec, de gauche à droite : Robin Mesnage, Steeve Gress, Joël Spiroux de Vendômois, Gilles-Éric Séralini et Nicolas Defarge. © DR
Le maïs OGM NK603, tolérant à l'herbicide Roundup, tous deux de la firme Monsanto, a été choisi par les scientifiques pour sa représentativité. Les plants ont poussé là encore dans le plus grand secret, dans une école agricole québécoise. Ils ont ensuite traversé l'Atlantique par voie maritime jusqu'au Havre, dans des sacs anodins en toile de jute, pour ne pas éveiller les soupçons. Les céréales ont servi à fabriquer des croquettes pour rongeursrongeurs dont les concentrations en OGM étaient contrôlées : 11, 22 ou 33 %.
Deux cents rats albinos ont été répartis en dix groupes de vingt. Les animaux étaient nourris selon les différentes doses de maïs transgéniquetransgénique, qui avait ou non été traité au Roundup. Trois lots supplémentaires se désaltéraient dans une eau enrichie avec trois concentrations différentes d'herbicide. Enfin, 20 rats ne mangeaient ni OGM ni pesticidepesticide et servaient de témoins.
Les rats nourris aux OGM se portent mal
« Nous nous sommes lancés dans une étude qui n'était pas vraiment de notre responsabilité puisque nous n'avons pas vocation à interdire ou autoriser la mise en circulation d'aliments, précise Robin Mesnage à Futura-Sciences, mais nous savions que quelqu'un devait la mener. En revanche, nous ne pouvions pas prévoir ce que nous allions trouver, ce qui nous a parfois obligés à remanier le protocoleprotocole au fur et à mesure de l'expérience. »
Ainsi, les scientifiques ont eu à analyser dans le détail plus de 100.000 valeurs et données qu'il a fallu ensuite trier et ordonner. Bilan : beaucoup de similarités, mais aussi des différences sur la santé des rats, à la défaveur des OGM. Les rongeurs nourris au maïs transgénique, peu importe la dose et que ce soit avec ou sans Roundup, se portaient moins bien que leurs congénères. Cancers mammaires pour les femelles, lésions hépatiques ou rénales pour les mâles qui eux aussi présentaient deux à trois fois plus de tumeurs que ceux du lot témoin. L'espérance de vie en est également affectée, puisqu'elle est raccourcie de 2 mois et demi dans certains groupes, ce qui est beaucoup pour des animaux censés vivre 2 ans.
Les rats nourris au maïs OGM (GMO) ou au Roundup (R) ont présenté de nombreuses tumeurs, bénignes ou malignes, extrêmement volumineuses. Pour certaines femelles, elles pouvaient peser jusqu'à 25 % de leur poids. © Criigen
Danger des OGM : des précisions restent à apporter
Comment ce maïs NK603 pourrait-il être toxique en lui-même ? La réponse pourrait venir de l'enzymeenzyme EPSPS, qui confère au maïs son pouvoir de résistancerésistance face à l'herbicide de Monsanto. « Nous supposons que cette protéine, surexprimée dans l'OGM, perturbe le métabolismemétabolisme de la plante, et nous avons observé que celle-ci synthétise moins de composés protecteurs contre certaines maladies, comme de l'acideacide férulique et caféique, deux moléculesmolécules au pouvoir antioxydantantioxydant et mammoprotecteur pour lesquels une déplétiondéplétion à été mesurée dans l'OGM par rapport à sa contrepartie non transgénique, reprend Robin Mesnage. Les rats ne profitent donc pas d'une nourriture d'aussi bonne qualité et présentent diverses pathologiespathologies. »
Cependant, on n'entend rien d'affirmatif du côté de l'équipe de Gilles-Éric Séralini. « Nous n'avons fait que débroussailler le sujet en étudiant un maximum de paramètres biochimiques et histopathologiques. Mais par manque de moyens, il nous a été impossible de réaliser des études génomiques, transcriptomiques ou métabolomiques qui apporteront inéluctablement des précisions supplémentaires. »
Quelle suite à donner ?
Pour le moment, la réponse de la communauté scientifique et des firmes alimentaires ne s'est pas encore fait entendre. Et pour cause, elle prend le temps d'analyser les documents disponibles uniquement depuis 15 h ce mercredi. Mais celle-ci ne tardera pas à venir, notamment de la part de l'Efsa, l'instance européenne qui autorise la mise en circulation des aliments, ou de la multinationale Monsanto.
Il faut savoir que Gilles-Éric Séralini est controversé dans son propre milieu. Ses précédentes études sur le sujet lui ont valu de nombreuses critiques de la part de chercheurs, ceux-ci remettant en cause la pertinence de son travail. Il se prépare donc, avec ses collaborateurs, à recevoir de nouveaux assauts de détracteurs, mais certaines de leurs répliques sont déjà prêtes. Pour désamorcer cette bombe, le scientifique annonce mettre à disposition de quiconque toutes les données brutes, de manière à laisser l'opportunité de recalculer les statistiques, démarche qui n'est pas entreprise par les firmes agroalimentaires qui mènent leurs propres études sur l'innocuité de leurs produits.
« Il nous a fallu plusieurs années pour mener cette étude, avec sa mise en place, l'expérimentation elle-même et l'analyse des résultats, poursuit Robin Mesnage. Plusieurs années seront donc nécessaires avant qu'une autre équipe ne puisse contredire nos résultats. » Et en attendant, que fait-on alors ?