Pour se débarrasser de leurs ennemis, les bactéries stockent dans leur génome des copies de leurs gènes. Surprenant, le mécanisme est aussi incompréhensible… mais peut-être bientôt utilisable par l'industrie.

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    A l'instar des éleveurs protégeant leurs cheptels des attaques de parasitesparasites, les industriels qui mettent au travail des troupeaux de bactéries (dans l'agroalimentaire, la pharmacie ou les biotechnologiques) veulent aussi aider leurs protégées à lutter contre leurs ennemis. Les plus redoutables sont les virus bactériophages, sortes de seringues à ADN, capables de s'agripper à la bactérie puis à en percer la paroi pour injecter tout leur génome.

    Mais les bactéries savent se défendre. On s'en doutait mais on ignorait le mécanisme. Un début de réponse vient d'être donné par deux chercheurs canadiens du Département de biochimiebiochimie et de microbiologie, Sylvain Moineau et Hélène Deveau, à l'université de Laval (Québec). Ils ont collaboré avec des scientifiques américains et français employés par Danisco, fabricant de produits lactiques pour l'agroalimentaire, et directement intéressé par la lutte contre les bactériophages.

    Un bactériophage, ici le T4, qui s'attaque notamment à la célèbre Escherichia coli, est composé d'une tête à facettes contenant le génome. Les pattes forment un système d'amarrage sur la bactérie. La tige, ou queue (tail sur le dessin), se contracte, pour injecter le génome viral dans la bactérie. Crédit  : Petr Leiman (Purdue University) / Fred Eiserling (UCLA)

    Un bactériophage, ici le T4, qui s'attaque notamment à la célèbre Escherichia coli, est composé d'une tête à facettes contenant le génome. Les pattes forment un système d'amarrage sur la bactérie. La tige, ou queue (tail sur le dessin), se contracte, pour injecter le génome viral dans la bactérie. Crédit : Petr Leiman (Purdue University) / Fred Eiserling (UCLA)

    Récupération de gènes

    Les chercheurs ont mis en présence une population de bactéries du lait et un virus connu pour les attaquer. A l'issue de ce combat microscopique, la population bactérienne était presque décimée. Presque mais pas tout à fait : certaines avaient trouvé la parade et menaient une vie normale. Le génome des survivantes a été analysé et il a révélé une caractéristique particulière : l'abondance de séquences dites CRISPR (Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic RepeatsClustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats). Cette curiosité de la biologie des bactéries, connue dans leurs deux grandes lignées (les EubactériesEubactéries et les Archées), consiste en de courtes portions d'ADN (10 à 50 nucléotidesnucléotides) répétées à l'identique un grand nombre de fois (jusqu'à 140) et séparées entre elles par une séquence qui, elle, reste unique et que l'on appelle faute de mieux un espaceur.

    La surprise n'était pas totale car on soupçonnait déjà ces séquences répétitives de jouer un rôle dans ce qui ressemble à un véritable système immunologique des bactéries. Mais l'équipe en apporte la preuve formelle avec une découverte étonnante : quatre espaceurs présentent des codes génétiquescodes génétiques similaires à celui des bactériophages qui ont attaqué les bactéries. Les survivantes ont donc intégré une partie du code génétique du virus pour lutter contre lui. Les chercheurs ont ensuite vérifié l'hypothèse en intervenant génétiquement sur les bactéries pour ajouter ou retirer des espaceurs. Ils ont bien observé que ces derniers sont indispensables aux bactéries pour lutter contre le virus. Les multiples séquences CRISPR des bactéries seraient donc le souvenir de mauvaises rencontres. Un peu comme une vaccinationvaccination, ces copies de génomes viraux dans les espaceurs serviraient par la suite à se défendre contre un attaquant de la même famille.

    Le mécanisme en cause reste inconnu mais Sylvain Moineau penche pour une interférenceinterférence ARNARN. Ce phénomène, par lequel un ARN inactive les ARN messagersARN messagers chargés de construire de protéinesprotéines, est considéré comme une défense contre les virus. Même si on ne comprend toujours pas comment la bactérie utilise ces espaceurs, il sera peut-être un jour possible d'en tirer profit pour aider les travailleurs bactériens dans leur lutte contre leurs ennemis ancestraux.