Si notre ventre est le repaire de milliards de bactéries, celles-ci sont elles-mêmes la cible de virus, ou bactériophages. Ces microorganismes seraient responsables de notre confort digestif et pourraient même être à l'origine des allergies alimentaires.

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    Les bactériophages, virus spécifiques des bactéries, seraient impliqués dans le métabolisme digestif humain. Crédits DR.

    Les bactériophages, virus spécifiques des bactéries, seraient impliqués dans le métabolisme digestif humain. Crédits DR.

    Chaque être humain possède dix mille milliards de bactéries dans son système digestif. Il faut alors plutôt bien s'entendre avec elles... En temps normal, tout va bien. Elles sont même indispensables à notre confort digestif puisqu'elles se chargent de dégrader les aliments que nos pauvres enzymesenzymes humaines sont incapables de digérer, comme les sucres complexes ou certaines protéines. De plus, elles synthétisent un grand nombre de vitamines, d'acides aminés essentiels, des facteurs anti-inflammatoiresanti-inflammatoires... Bref, notre corps ne pourrait pas vivre sans ces microorganismesmicroorganismes symbiotiques.

    Une hypothèse avait été proposée pour expliquer la progression des allergies alimentaires ou de l'obésité dans les pays développés. Les bactéries intestinales pourraient-elles être responsables de ces problèmes ? Mieux, l'hygiène excessive serait-elle un frein à la colonisation de notre système digestif par les bactéries, et donc responsable de notre intolérance à certains aliments, pourtant inoffensifs ?

    Pour vérifier cette hypothèse, les chercheurs doivent d'abord se confronter microbiomemicrobiome humain, l'analyse de la population microbienne propre à chacun, encore peu étudiée. Chaque être humain possède en effet son propre lot de bactéries, il est donc important de recenser les espècesespèces bactériennes intestinales pour essayer de corréler les problèmes alimentaires aux microorganismes présents. Pourtant, jusqu'à présent, peu de chercheurs se sont intéressés à un autre paramètre, tout aussi primordial : la présence de bactériophagesbactériophages, ces virusvirus qui s'attaquent aux bactéries.

    Rôles des protéines identifiées lors du séquençage des selles des jumelles et de leurs mères. Nomenclature de chaque échantillon (à gauche) : F, famille (1 à 4), T, jumelle (1 à 2), M, mère, suivis du numéro du prélèvement (1 à 3). Chaque couleur correspond à une voie fonctionnelle des protéines. En haut : protéines du virome. En bas : protéines bactériennes. © <em>Nature</em>

    Rôles des protéines identifiées lors du séquençage des selles des jumelles et de leurs mères. Nomenclature de chaque échantillon (à gauche) : F, famille (1 à 4), T, jumelle (1 à 2), M, mère, suivis du numéro du prélèvement (1 à 3). Chaque couleur correspond à une voie fonctionnelle des protéines. En haut : protéines du virome. En bas : protéines bactériennes. © Nature

    Un écosystème propre à chaque individu

    Les scientifiques de l'Université Washington à Saint Louis ont donc recherché la présence de ces virus dans les selles de quatre paires de vraies jumelles adultes et de leurs mères. Pour ces travaux publiés dans le journal Nature, l'identité des bactériophages a été déterminée par séquençageséquençage de l'ADNADN.

    Si une certaine similarité au sein de la population bactérienne existe entre deux individus reliés génétiquement, la population virale, ou viromevirome, est, quant à elle, vraiment unique. De plus, seuls 20% des virus rencontrés étaient connus : 80% de ces bactériophages ont donc été découverts lors de cette étude.

    Sur les trois prélèvements effectués, sur une duréedurée de 1 an, la variabilité du virome n'était que de 5% pour un même individu. Ces virus existeraient donc sous forme d'une population extrêmement stable dans le côloncôlon, plus stable que dans beaucoup d'autres écosystèmesécosystèmes.

    De plus, la majorité des bactériophages se présente sous la forme de prophagesprophages, c'est-à-dire l'intégration du génomegénome du virus dans le génome de la bactérie. Sous cette forme, le virus est en quelque sorte endormi : la bactérie n'en souffre pas, et surtout, n'en meurt pas. A l'inverse de ce qui se passe habituellement dans la nature, il s'agit donc plus ou moins d'une relation symbiotique entre le bactériophage et la bactérie, plutôt qu'une relation prédateur-proie.

    Même endormi, le bactériophage peut faire exprimer certains de ses gènesgènes par la bactérie. Les chercheurs ont ainsi pu mettre en évidence certaines protéines, jamais encore détectées dans un virus de bactérie. Ces protéines ont des rôles variés, dans le métabolismemétabolisme bactérien des carbohydrates ou dans la synthèse d'acides aminés. Si les bactéries ont un métabolisme modifié par les bactériophages, il y a fort à parier que le métabolisme de l'hôte, l'homme, soit lui aussi influencé.

    Les résultats vont dans le sens de l'hypothèse de départ, mais beaucoup de travail reste à faire pour comprendre le fonctionnement de notre système digestif.