Une étude sur les drosophiles montre le rôle des bactéries intestinales... dans le comportement sexuel des mouches. Une pierre de plus pour la théorie selon laquelle l'entité subissant l'évolution ne serait pas l'organisme mais plutôt l'holobionte, c'est-à-dire l'ensemble hôte-microorganisme.
La drosophile est un outil performant d'étude de l'évolution, grâce à sa petite taille et sa reproduction rapide. © Aka, Wikimedia CC by-sa 2.5

La drosophile est un outil performant d'étude de l'évolution, grâce à sa petite taille et sa reproduction rapide. © Aka, Wikimedia CC by-sa 2.5

Les bactéries de notre flore intestinale sont essentielles. Elles nous permettent de digérer des molécules contenues dans les aliments que nous mangeons, grâce aux enzymes très efficaces qu'elles synthétisent. Ce que nous savions moins, c'est que ces bactéries influencent aussi notre évolution !

Pour le démontrer, des chercheurs de l'université de Tel-Aviv ont utilisé des drosophiles (Drosophila melanogaster). Surnommées « mouches des fruits », elles adorent le sucre et ont été séparées en deux groupes, chacun nourri par un type de nourriture : de la mélasse, un sirop épais issu du raffinage du sucre, ou de l'amidon, un sucre complexe.

De précédentes études, confirmées ici, avaient montré que les drosophiles préféraient s'accoupler avec des mouches nourries par le même type d'alimentation. Cette préférence s'établit dès la première génération, et se conserve au moins sur les 37 générations suivantes étudiées. La cause restait cependant bien mystérieuse.

Le microbiote modifie la composition des phéromones

D'après l'article publié dans le journal Pnas, la préférence sexuelle s'annule après l'administration d'antibiotiques dans la nourriture des insectes, rendant les accouplements à nouveau aléatoires. Ces résultats suggèrent que la nourriture seule n'est pas responsable d'une modification du comportement des mouches, mais que le microbiote (ou microflore) de la drosophile serait impliqué dans le phénomène.

Pour confirmer cette hypothèse, des bactéries (Lactobacillus plantarum) présentes en plus grandes quantités dans le tube digestif des drosophiles nourries à l'amidon (26 %) comparées à celles nourries à la mélasse (3 %) et tuées par les antibiotiques, ont été réintroduites. Dans ces conditions, la préférence sexuelle réapparaît.

Une alimentation à base de mélasse ou d'amidon modifie la microflore des drosophiles. © Badagnani, Wikimedia CC by 3.0

Une alimentation à base de mélasse ou d'amidon modifie la microflore des drosophiles. © Badagnani, Wikimedia CC by 3.0

D'un point de vue moléculaire, une analyse statistique indique que les bactéries symbiotiques peuvent influencer la préférence d'accouplement en modifiant la composition des phéromones produites par les insectes. Ces molécules attirent préférentiellement certains partenaires et ont donc une influence directe sur le mélange des gènes et ainsi sur l'évolution des espèces.

Théorie de l'hologénome

Ces résultats confortent la théorie de l'hologénome, décrite pour la première fois en 2008 par deux des auteurs de l'étude, Eugene Rosenberg et Ilana Zilber-Rosenberg. Cette théorie alternative de l'évolution considère que l'unité de sélection évolutive n'est pas l'individu isolé mais l'holobionte, c'est-à-dire l'animal ou la plante avec tous les microorganismes qui lui sont associés. L'hologénome représente l'ensemble des gènes appartenant à l'hôte et aux microorganismes.

Cette théorie est basée sur quatre généralisations :

  • tous les animaux ou plantes établissent des relations avec des microorganismes ;
  • les symbiontes sont transmis de générations en générations ;
  • l'association entre l'hôte et le symbionte affecte l'interaction de l'holobionte avec son environnement ;
  • les variations dans l'hologénome peuvent être apportées par un changement du génome de l'hôte ou du microorganisme ; sous un stress, la communauté microsymbiontique peut changer rapidement.

Dans le cas de la drosophile, la nourriture qu'elle ingère modifie l'équilibre des bactéries intestinales : certaines apprécient davantage une sorte de nourriture et se multiplient, alors que d'autres populations bactériennes diminuent ou disparaissent. L'hologénome ainsi modifié a une influence sur l'évolution en modifiant le comportement sexuel des insectes.