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Dans l'immensité du Groenland, les scientifiques ont pu suivre plusieurs couples de chouettes harfangs et les jeunes sortis du nid. De quoi en apprendre davantage sur les effectifs et les comportements de l'espèceespèce. L'équipe raconte.
Profitant encore d'une bonne reproduction hivernale, déjà freinée par le retour des hermineshermines, les lemmings ont su maintenir jusqu'à la fonte des neiges des densités dépassant le seuil critique. Au point même que quatre couples de chouettes harfangs se sont partagé la vallée en 2012, venant s'ajouter aux labbes territoriaux et aux familles de renards.
Un tel afflux de prédateurs a ensuite vite éclairci les rangs des lemmings. Rarement un crash nous aura paru aussi flagrant. Abandon des nids de labbes, terriers de renards désertés les uns après les autres, hermines prospectant systématiquement les moindres galeries et autres refuges potentiels de leur proie favorite : l'effondrementeffondrement des effectifs de lemmings semblait vite parachevé.
Parmi les harfangs, un couple s'est éclipsé à peine quelques jours après les premières éclosions. Quant aux trois autres familles, elles ont bien peiné pour élever leurs derniers jeunes comme en attestaient les nourrissages quotidiens de plus en plus espacés et qui bientôt ne se comptaient plus que sur les doigts d'une seule main. Bref, c'est sur ces familles que nous avions jeté notre dévolu pour la pose des balises.
La femelle adulte Timmiaq a ainsi pu être capturée mi-juillet juste avant que ses jeunes ne se dispersent hors du nid. Quant aux trois autres individus équipés de balises, il s'agissait des jeunes de deux autres couples et déjà voletant, repérés loin de leurs nids. Pour ces jeunes, les localisations hebdomadaires ont confirmé leur dispersion hors du site natal à partir de la fin août.
Deux d'entre eux n'ont d'évidence pas survécu à la disette, leurs coordonnées étant restées inchangées par la suite. Quant à l'autre jeune, Nivi, il a vaillamment prospecté les fjordsfjords alentour avant de mettre le cap au sud, bifurquant ensuite vers l'Islande. Une fois de plus, une longue traversée ayant de surcroit coïncidé avec une de ces tempêtes automnales si redoutées par les marins évoluant dans les eaux islandaises semble avoir été fatale, la dernière localisation du 31 octobre l'ayant repéré à 150 kilomètres des côtes.
Mais toute autre est l'aventure que vit Timmiaq qui, comme Nivi, s'est dans un premier temps retirée dans la région des fjords qu'elle a adoptée comme quartier d'hiver pendant toute la nuit polaire, se gardant toutefois de revenir sur l'île de Traill. D'évidence, le retour du jour continu a dû lui donner des ailes : elle a atteint le nord du Groenland par étapes en l'espace de quelques semaines et a poursuivi sa route pour s'installer dans le nord d'Ellesmere, un véritable désertdésert polaire choisi comme quartier d'été, à plus de 82 degrés de latitudelatitude nord, soit à moins de 900 kilomètres du pôle ! Ses va-et-vient espacés de quelques jours n'y ont guère laissé entrevoir une tentative de nidification mais nous avons communiqué ses coordonnées au personnel de la base canadienne d'Alert toute proche et son observation a pu être documentée par des photographies, à plus de 1.500 kilomètres de sa case départ !
On imagine d'ailleurs la surprise des militaires découvrant un oiseauoiseau équipé d'une antenne aux abords de cette base la plus isolée du monde... Avec le retour de la nuit polaire, en l'espace de moins de deux semaines, elle est revenue vers sa case départ pour passer une nouvelle fois son hiverhiver dans la région des fjords, vers 73 degrés de latitude nord, tout en boudant notre vallée où elle avait niché il y a deux ans.
Sous l'épais manteaumanteau de neige tapissant le fond des vallées, les lemmings restent inaccessibles et ses perchoirs sur les versants escarpés suggèrent que cette chouette harfang y cible plutôt les lagopèdes et autres lièvres arctiques privilégiant ces habitats balayés par les ventsvents. Quelle ne fut pas notre nouvelle surprise en constatant, au fil de ses étapes hebdomadaires de ce printemps, qu'elle venait de repartir vers l'extrême Nord, regagnant l'île d'Ellesmere au terme d'un nouveau périple de près de 2.000 kilomètres. Les prochaines localisations rendront leur verdict quant à l'éventualité d'une tentative de nidification en 2014, les pontes des chouettes intervenant généralement dans la seconde quinzaine de mai.
L'International Snowy Owl Working Group au chevet des chouettes harfangs
Créé en marge de la Conférence mondiale sur les hiboux et chouettes de Groningen (NL) en 2007, suite à des indices laissant entrevoir une baisse d'effectifs, notamment en Scandinavie, l'International Snowy Owl Working Group s'est fixé pour objectif de mieux appréhender le statut de l'espèce et d'évaluer ainsi les tendances affichées. Il regroupe dans ses rangs aussi bien des équipes engagées dans des observations en zone de nidification (Alaska, Nord canadien, Groenland, Laponie et Sibérie septentrionale) que d'autres ornithologistes ciblant leurs aires d'hivernage, entre autres dans le sud du Canada et sur la côte est des États-Unis.
Les réunions (Saskatoon au Canada en 2010 et Yamal en Sibérie en 2014) ont ainsi apporté des éclairages inédits sur l'écologieécologie, les mouvements et les effectifs de l'espèce. D'évidence, les estimations antérieures ont dû ainsi être nettement revues à la baisse, plafonnant autour de quelque 15.000 couples pour la population mondiale. Comme c'est le cas au Groenland, les constats de faibles succès de reproduction dans bien d'autres zones de nidification ont aussi motivé une recommandation commune et formulée à l'adresse de Birdlife International et de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICNUICN) pour que l'espèce soit désormais intégrée à la Liste rouge des oiseaux menacés au niveau mondial.
Pour les harfangs du Groenland, population la plus isolée de toute l'aire de répartitionaire de répartition de l'espèce, le défi particulier des longues traversées de l'océan reste une question ouverte. De même, l'évidence de la raréfaction de véritables pics de lemmings depuis une quinzaine d'années est préoccupante, car de telles situations sont déterminantes pour assurer à terme le renouvellement des populations. Une des pistes de recherche porteporte justement sur les effets des changements climatiqueschangements climatiques sur le manteau neigeux, celui-ci étant primordial pour la reproduction des lemmings en hiver. Rejoignant des constats faits dans d'autres régions de l'ArctiqueArctique, ces présentes observations sont régulièrement partagées dans le cadre de l'International Snowy Owl Working Group, ces données contribuant aussi à mieux appréhender le statut de cette espèce dont les présentes menaces sont pour le moins préoccupantes.