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L'être humain dispose d'une qualité assez exceptionnelle : son langage articulé, qui lui permet de communiquer à un niveau de complexité probablement inégalé dans le reste du monde sauvage. Mais d'où vient cette aptitude ? Les études précédentes menées sur les primates non-humains révèlent l'importance du geste dans l'échange entre individus. Notre parler serait donc né d'une danse. En revanche, les vocalisations ont été associées à la manifestation des émotions : le cri d'alarme par exemple caractérise la peur d'un danger, ce que les autres membres du groupe comprennent et fuient. Il n'y aurait donc aucune intentionnalité de communiquer, ce ne serait qu'une réponse presque réflexe à un stimulus donné.
Mais ce concept très cartésien a déjà été écorché en 2009 par une étude démontrant que les mones de Campbell, des singes cercopithèques, maniaient une forme de syntaxe en mélangeant des préfixes et des suffixes pour préciser la nature d'un danger et sa localisation. Il vient à nouveau d'être battu en brèche par des scientifiques de l'université d’York, au Royaume-Uni, qui expliquent que cette danse aurait bel et bien été accompagnée d'une musique. Ils viennent d'apporter des éléments convaincants dans la revue Plos One, qui montre que les cris de nos plus proches cousins sont utilisés à bon escient, et dans le but précis de partager des informations.
Des cris d’alarme émis avec intentionnalité
Katie Slocombe, Anne Marijke Schel et leurs collègues se sont rendus en Ouganda, dans une forêt où vivent des chimpanzés sauvages, dont ils ont pu s'approcher. Leur artifice : un faux pythonpython de Seba, fabriqué depuis la peau récupérée auprès d'un serpent mort. Relié à un fil de pêche transparenttransparent, les scientifiques le faisaient bouger près des grands singes. Là, ils observaient la réaction du premier individu qui prenait conscience du danger.
La peur, chez l'Homme comme chez le chimpanzé, se manifeste par des cris. Mais aussi par d'autres signes caractéristiques de l'émotion, comme les expressions faciales. © patries71, Flickr, cc by nc nd 2.0
Dans le cas où les vocalisations n'entrent pas dans la communication avec les congénères, le singe doit alors se mettre à crier sa peur, jusqu'à ce qu'il soit à l'abri. Mais ce n'est pas ce qui a été constaté. Lorsqu'il y avait des voisins dans les parages, il se mettait à sonner l'alarme, jusqu'à ce que tout le groupe soit hors de portée du python. Il ne s'agit donc pas simplement d'un réflexe, mais bel et bien d'une communication.
Et celle-ci est même plus complexe que cela. Les auteurs précisent que l'émetteur adaptait ses vocalisations en fonction des individus, de leur compréhension, mais aussi en fonction des affinités qui les unissaient. On s'inquiète toujours plus pour un ami. Il prenait également en compte l'attention que lui adressait le destinataire. L'orientation de son regard, relevée par les scientifiques, montre qu'il se préoccupait bien de la portée de son message.
Le langage, un mélange de gestes et de mots
Il y a donc bien une intentionnalité dans les cris d'alarme du chimpanzéchimpanzé, ce qui constitue un élément de base de notre langage. Car bien qu'il arrive de se parler à soi-même, nos mots sont plutôt destinés à nos semblables, de la même façon, semble-t-il, que ces vocalisations étaient émises dans le but de prévenir d'un danger.
Ce résultat est important, car il recourt aux mêmes méthodes que celles utilisées pour démontrer l'importance du geste dans la communication des primates. De quoi imaginer donc, que notre ancêtre communancêtre commun avait également le potentiel de se servir de ces deux modalités pour échanger avec ses congénères. Nous aussi, aujourd'hui, nous ne nous exprimons pas que par des mots : nous parlons avec les mains et nous utilisons nos expressions faciales pour manifester des émotions. Nos plus proches cousins utilisent donc les mêmes moyens.