au sommaire
La bouche de Halicephalobus mephisto, alias Mephisto, lui permet de brouter les biofilms présents sur les parois des fissures qui parcourent les roches à grande profondeur. © Université de Gand/Gaetan Borgonie
Ils l'ont appelé Halicephalobus mephisto, en l'honneur du Méphistophélès de la légende de Faust, démondémon des profondeurs. Le nom de baptême de cette nouvelle espèce traduit l'étonnement de ses découvreurs. Tullis Onstott, un géomicrobiologiste de l'Université de Princeton (New Jersey) l'a trouvé dans des échantillons prélevés à 1,3 kilomètre de profondeur, dans une mine d'or sud-africaine, à 240 kilomètres au sud de Johannesburg.
On connaît déjà des bactéries souterraines qui vivent dans les fractures des roches jusqu'à plusieurs kilomètres de profondeur. Les conditions physico-chimiques de tels milieux avaient déjà de quoi surprendre les scientifiques : températures élevées, absence de lumièrelumière, absence ou grande rareté de l'oxygène... Longtemps, il a semblé impossible que la vie se soit installée là. En 2006, Lisa Pratt avait découvert, près de l'endroit où vit Mephisto, un écosystème étrange où un peuple bactérien se nourrit d'hydrogènehydrogène et de sulfates, lesquels sont produits par l'irradiationirradiation de la roche et de l'eau par l'uraniumuranium présent en grandes quantités... D'autres bactériesbactéries ont été trouvées prospérant sous 3 kilomètres de glace au Groenland. À l'inverse, des bactéries vivent dans la stratosphère. On pourrait même dire que les bactéries sont partout, comme nous l'explique la microbiologiste Virginie ChaponVirginie Chapon.
Mais que des organismes multicellulaires, voire des animaux, puissent vivre à 4 kilomètres dans le sous-sol, voilà une idée qui semblait fortement hypothétique. D'ailleurs, Tullis Onstott est « géomicrobiologiste » : son métier est donc d'étudier des microorganismesmicroorganismes (bactéries ou archéesarchées) dans les formations géologiques. La géobiologie est une discipline encore inexistante... Peut-être va-t-il falloir la créer après la découverte de ces nématodes de 0,5 millimètre dans la mine Beatrix. Ces animaux appartiennent à une grande famille, très diversifiée, que l'on trouve dans les océans (où il en existe de 30 centimètres), chez des plantes ou des animaux qu'ils parasitent (comme l'ascaris chez l'Homme) ou encore dans les sols, où ils représentent la plus grosse biomasse.
La géomicrobiologiste Lisa Pratt avait découvert en 2006 des populations bactériennes dans une mine d'or d'Afrique du Sud, près de Johannesburg, et vivant au sein de roches irradiées par de l'uranium. On la voit ici dans une mine canadienne. © Lisa Pratt
Trop chaud, trop profond, trop obscur, et pourtant…
Mephisto a été découvert dans un milieu à 37 °C, une température bien trop élevée pour les nématodes des sols que l'on connaît jusqu'à maintenant. Pour vérifier qu'il ne s'agissait pas d'une contaminationcontamination ni d'animaux emportés par des infiltrations d'eau, par exemple provenant du forage, l'équipe qui s'est constituée autour de Tullis Onstott a étudié plusieurs autres mines (cinq en tout), et... y a découvert d'autres nématodes, dont une espèce déjà connue, vivant à 900 mètres, à 24 °C, et une autre espèce inconnue à 3,6 kilomètres, où la température atteint 48 °C ! Les chercheurs ont également daté l'eau dans laquelle baignent ces nématodes. Elle a quitté la surface il y a 3.000 à 12.000 ans, affirment-ils.
Conclusion : ces nématodes n'ont pas été récemment emportés dans les profondeurs où ils seraient en train de mourir. C'est là leur habitat. Ces vers se nourrissent manifestement des bactéries vivant en colonies (ou biofilms) sur les parois des fractures au sein de la roche. Élevés au laboratoire, ces nématodes ont marqué une préférence pour les bactéries issues des mines plutôt que d'espèces communes. D'après les auteurs, c'est un bon argument en faveur d'un écosystème bien établi.
La surprise est totale pour les biologistes. « Cela n'arrive pas souvent de repousser les limites de la biosphère d'une planète » s'émerveille Gaetan Borgonie, spécialiste des nématodes de l'Université de Gand, en Belgique, et membre de l'équipe, qui s'exprime dans le magazine en ligne de Nature.
C'est bien de cela qu'il s'agit. Encore une fois, les frontières qui définissent les milieux propices à la vie ont encore été élargies d'un cran. Les biologistes ne manquent pas de faire remarquer, comme à chaque découverte de ce genre, que cet écosystème vivant dans des conditions apparemment très hostiles doit amener à reconsidérer les possibilités de vie extraterrestre dans notre Système solaireSystème solaire ou ailleurs. Le sous-sol martien, par exemple, recèle des environnements de ce genre.