Les cétacés comptent parmi les exceptions chez les mammifères, et même parmi les vertébrés en général. Ils ont presque entièrement perdu le sens du goût et ne perçoivent que le salé, une particularité étonnante puisque ce sens permet notamment de détecter les aliments toxiques. Pourraient-ils se servir autrement de leur langue ?

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    On les savait surprenants. Alors que leurs ancêtres vivaient sur la terre ferme, les cétacés règnent désormais sur les mers et océans du monde. Mais au-delà de leur grande intelligenceintelligence et de leur aptitude naturelle à l'apnéeapnée, ces mammifères aquatiques se distinguent de la grande majorité des vertébrés par un nouveau critère : un sens du goût très peu prononcé.

    Déjà en 2012, une étude menée chez le grand dauphin mettait en évidence l'absence de fonctionnalité des gènesgènes impliqués dans les récepteurs gustatifsgustatifs au sucré et à l'umamiumami (terme japonais pour « savoureux »). Depuis, Huabin Zhao, de l'université de Wuhan (Chine), épaulé par quatre collègues, a voulu voir si cette particularité était répandue chez les cétacés, ou s'il s'agissait d'un cas isolé. Ces recherches, publiées dans Genome Biology and Evolution, révèlent qu'au moins 15 espèces de ces mammifères marins sont concernées. Et probablement plus encore.

    Les mutations qui ne donnent plus de goût

    Les séquences génétiquesgénétiques des récepteurs protéiques gustatifs de ces animaux ont donc été passées au crible. C'est alors que chez les espèces testées, les scientifiques ont remarqué des mutations partagées qui rendaient ces récepteurs non fonctionnels. Les auteurs parlent alors de pseudogènes, des reliquats d'anciens gènes, autrefois effectifs, mais aujourd'hui non utilisés par l'organisme. Ces mammifères se révèlent donc incapables de percevoir le sucré, l'amer, l'acideacide, et l'umami. Seuls les récepteurs au salé ont semble-t-il été préservés.

    Les baleines, comme ce rorqual bleu, avalent de grandes quantités d’eau contenant du krill, de petits animaux dont elles se nourrissent. Ne disposant pas de dents mais seulement de fanons filtrants, ces cétacés ne peuvent pas mâcher et faire ressortir la saveur des aliments : le goût ne leur est pas indispensable. © Michael Dawes, Fotopedia, cc by nc 2.0

    Les baleines, comme ce rorqual bleu, avalent de grandes quantités d’eau contenant du krill, de petits animaux dont elles se nourrissent. Ne disposant pas de dents mais seulement de fanons filtrants, ces cétacés ne peuvent pas mâcher et faire ressortir la saveur des aliments : le goût ne leur est pas indispensable. © Michael Dawes, Fotopedia, cc by nc 2.0

    Rappelons que l'infraordre des cétacés se divise en deux sous-groupes : les mysticètesmysticètes, comprenant les cétacés à fanons comme les baleines ou les rorqualsrorquals, et les odontocètesodontocètes, qui comptent les cétacés pourvus de dents, comme les dauphins, les orquesorques, les narvalsnarvals ou les cachalotscachalots. La séparationséparation entre ces deux ensembles est datée d'environ 36 millions d'années. Or, l'étude ayant été menée chez neuf odontocètes et six mysticètes, les auteurs pensent que les mutations étaient déjà présentes chez l'ancêtre communancêtre commun à tous ces animaux, et remontent au moins à cette époque. En revanche, elles sont postérieures à 53 millions d'années, à l'époque où cette lignée s'est séparée de celle de ses cousins.

    De l’inutilité de la saveur chez les cétacés

    Des conclusions surprenantes, de l'aveu même des auteurs. « La perte de sensibilité au goût amer est une surprise complète », explique Huabin Zhao dans les colonnes de Science Now, « parce que les toxinestoxines naturelles ont typiquement un goût amer ». D'autant plus étonnant pour des animaux descendants d'herbivoresherbivores terrestres, capables de distinguer toutes les saveurs proposées par les plantes, des fruits sucrés et acides aux feuilles aux saveurs quelques fois désagréables et parfois empoisonnées.

    Les zoologisteszoologistes en viennent à se poser des questions. Le goût aurait-il perdu toute son utilité chez les cétacés ? Possible, car la saveur vient en mâchant, activité que ne prennent plus le temps de faire baleines et dauphins en général, qui gobent leurs proies d'une traite (ce n'est pas systématiquement vrai pour les odontocètes). Alors pourquoi garder malgré tout une sensibilité au sel ? Les auteurs pensent que ces récepteurs pourraient intervenir dans la régulation des niveaux en sodiumsodium, élément très présent dans le milieu marin, et au maintien de la pressionpression sanguine.

    Cette incapacité pourrait néanmoins se révéler néfaste. Ces dernières années par exemple, des orques ont été repérées en train de nager dans des nappes de pétrolepétrole, peut-être parce qu'elles n'ont pas distingué le mauvais goût du liquideliquide noirâtre. D'autre part, les processus d'eutrophisationeutrophisation, dus à la libération massive d'engrais qui terminent dans les eaux de ruissellement, facilitant la prolifération d'alguesalgues toxiques qui finissent par s'accumuler dans les estomacsestomacs des poissonspoissons dont se nourrissent les dauphins, peuvent intoxiquer des groupes entiers de ces animaux. L'absence de goût n'était probablement pas un problème pour la survie des cétacés... jusqu'à ce que l'Homme y mette son grain de sel !