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Le virus des taches en anneaux du tabac se transmet notamment par le pollen, comme 5 % des virus de végétaux. Nous savions déjà que les abeilles pouvaient le transporter. En revanche, personne ne se doutait jusqu’à présent que ces pollinisatrices pouvaient être infectées. © Autan, Flickr, cc by nc nd 2.0
Depuis 1998 en Europe et 2006 aux États-Unis, un nombre anormalement élevé de populations d’abeilles (Apis mellifera) dépérit chaque année. De nos jours, les causes précises de ce phénomène restent méconnues, et font donc l'objet d'études. Certains scientifiques se penchent sur le cas des pesticides ou des acariens tels le varroa. D'autres, en revanche, pensent plutôt que la cause du syndrome d'effondrement des colonies d'abeilles (CCDCCD, pour Colony Collapse Disorder) est à rechercher dans le monde des virus.
Plusieurs de ces agents pathogènes sont déjà connus pour leurs effets néfastes sur les populations d'abeilles. Par exemple, on peut citer le virus de la paralysie aiguë (ABPV, pour Acute Bee Paralysis Virus), qui s'active et paralyse les abeilles infectées lorsqu'elles sont parasitées par le varroa. Pour sa part, le virus du couvain sacciforme (SBV, pour Sacbrood Virus) provoque une forte mortalité des larves en forme de sac, ce qui dès lors affaiblit la ruche. Ces différents « parasites parfaits » sont connus depuis plusieurs décennies. Ainsi, ils font régulièrement l'objet de dépistagesdépistages.
C'est justement durant l'une de ces opérations que Ji Jian Li (Chinese Academy of Agricultural Science) et ses collaborateurs ont fortuitement découvert un nouveau virus s'en prenant aux abeilles. Cet agent pathogènepathogène n'était pas inconnu pour autant, car il s'en prend fréquemment à certains végétaux (phytovirus). Il s'agit du virus des taches en anneaux du tabac (TRSV, pour Tobacco ring spot virus), qui provoque l'apparition de marbrures jaunes sur les feuilles de plantes tel le tabac, le concombreconcombre ou l'aubergineaubergine. Comment expliquer sa détection ?
Le virus des taches en anneaux du tabac (TRSV) appartient à la famille des secoviridés, ce qui signifie que ses virions font 25 à 30 nm de diamètre. Il est également transmis de plante en plante par les vers nématodes. © R.J. Reynolds Tobacco Company Slide Set, Forestry Images, cc by 3.0
Les abeilles sont infectées, mais pas le varroa
Le TRSV est un virus à ARN linéaire à simple brin appartenant à la famille des secoviridés. Il se caractérise par un important taux de mutation, ainsi que par l'absence d'un système de contrôle du matériel génétiquematériel génétique répliqué. Ainsi, lorsqu'il se multiplie, cet agent infectieux donne naissance à de nouveaux virus qui lui sont apparentés, mais dont le patrimoine génétique varie légèrement (formation d'une quasi-espèce viralequasi-espèce virale). Dans certains cas, les mutations procurent de nouveaux avantages, comme la capacité à s'en prendre à un nouvel hôte, même s'il s'agit dans le cas présent d'un animal.
Les abeilles examinées ont présenté des infections dans tout leur corps, ce qui prouve bien que le virus s'y développe. En revanche, il a aussi été décelé chez le varroa, mais uniquement dans le tractus intestinal. L'acarien n'est donc pas attaqué par le virus, qu'il a probablement attrapé en suçant l'hémolymphehémolymphe d'un insecteinsecte. Autre conclusion : il peut servir de vecteur, et donc transmettre l'agent infectieux d'abeille en abeille, dans le cadre d'une dispersion horizontale. Par ailleurs, selon l'étude parue dans mBio, les œufs pondus par les reines infectées sont aussi contaminés, ce qui traduit une dispersion cette fois verticale, de la mère à l'enfant.
Reste une question, le TRSV intervient-il dans le syndromesyndrome d'effondrementeffondrement des colonies ? Pour le savoir, des ruches qualifiées de fortes ou de pauvres ont fait l'objet de plusieurs analyses. Le virus et d'autres de ses congénères ont été retrouvés en plus grand nombre dans les colonies affaiblies, qui commencent à dépérir à l'automneautomne, pour totalement mourir avant le mois de février. De leur côté, les colonies fortes, avec moins de virus, ont passé l'hiverhiver. Ainsi, le TRSV pourrait effectivement jouer un rôle dans cette problématique. Cependant, étant donné qu'il était présent au sein d'un cocktail viral, il est difficile de tirer une conclusion ferme. De nouvelles études sont donc requises, tout comme une meilleure surveillance des changements d'hôtes de certains virus.